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Intervention de Michel Verpeaux

Réunion du jeudi 1er juin 2023 à 14h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Michel Verpeaux, professeur émérite à l'université de Paris 1  Panthéon-Sorbonne, président de l'association française de droit des collectivités locales :

J'ai beaucoup de défauts. Je ne suis pas ultramarin, je ne suis pas économiste et je ne suis pas un ancien élu de la Nation ou même un ancien ministre. Mes compétences sont extrêmement réduites sur le sujet. Je vais essayer de réagir surtout à ce que je viens d'entendre, peut-être dans un désordre assez peu cohérent, mais déjà sur la question des articles 73 et 74, je comprends bien que ces deux boîtes, pour reprendre l'image qui a été employée, sont un peu anciennes. J'en connais un peu l'origine. Il y a quand même une distinction importante puisqu'il s'agit bien de deux catégories différentes de collectivités territoriales, avec des préoccupations très différentes. C'est d'une part la question de l'identité, d'autre part, une volonté de différenciation plus ou moins poussée. Le cadre général me paraît encore relativement solide. Mais sur ce plan-là, je serai en léger désaccord avec ce qu'a dit M. Urvoas, dans le sens où je crois que ce n'est pas aussi rigide que cela.

Les choses ont beaucoup évolué, notamment depuis 2003. À l'intérieur même de l'article 73, il y a des différences importantes, entre celles qui sont des départements, des régions, celles qui sont des collectivités uniques. Cela fait quand même des différences importantes, au terme de revendications qui ont été assez longues à mettre en œuvre. Pour sa part, La Réunion a choisi d'avoir un traitement différent, pour des tas de raisons que certains d'entre nous connaissent fort bien.

À l'intérieur de l'article 74, il y a aussi des différences considérables entre les collectivités d'outre-mer qui sont dotées de l'autonomie, et celles qui ne le sont pas ; et même au sein de celles qui ne le sont pas : entre Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, sans jouer sur les mots ni sur la géographie, il y a un monde. La diversité que certains souhaitaient existe déjà, de fait, bien sûr, mais aussi en droit. Cela mérite peut-être de ne pas tout jeter avec l'eau du bain.

Comme l'a très bien dit Mme David, le problème majeur est quand même celui de l'égalité. Mais l'égalité entre qui ? L'égalité entre la métropole et les outre-mer ? Les outre-mer doivent-ils tous être traités de la même manière ? La question de la vie chère et des remèdes possibles doit s'analyser de la même manière entre des territoires aussi divers et aussi éloignés. Toutes les collectivités ne sont pas des îles, ce qui mérite une réflexion. Et à l'intérieur même des collectivités d'outre-mer, entre les habitants d'outre-mer, est-ce que tout le monde doit être traité de la même manière ? Il y a quand même la question importante des agents publics et des salariés du privé. Peut-être que tous ces éléments de réflexion sur l'égalité devraient être pris en compte dans ces différentes causes d'inégalités potentielles.

J'écoutais ce que disait Ferdinand Mélin-Soucramanien à propos de la rémunération. S'agissant de l'outre-mer, ne pourrait-on pas inventer quelque chose qui serait une sorte de Smic outre-mer, c'est-à-dire quelque chose qui permettrait de diversifier le régime des salaires minimums entre la métropole et les outre-mer ? Peut-être que le niveau de ce Smic ne serait pas forcément le même d'une collectivité à une autre, sans reprendre la distinction article 73 et article 74. D'ailleurs, dans cette distinction, on oublie la Nouvelle-Calédonie, qui, elle, a un traitement totalement différent et qui n'est ni l'une ni l'autre – ni 73 ni 74 – mais quelque chose à part dont l'avenir institutionnel est, d'ailleurs, relativement incertain.

Les causes sont nombreuses et essentiellement économiques, et je ne vais pas du tout parler de choses que je ne connais pas. La question est celle des remèdes. Il y a le remède de la déconcentration évoqué par M. Urvoas. Il y a le remède des compétences des collectivités territoriales. Je rappelle une chose. L'article 73 dit que les lois peuvent être différentes en fonction des caractéristiques et des contraintes particulières. Voilà qui permettrait à la loi de traiter les outre-mer, au moins de l'article 73, de manière différente, mais c'est encore plus facile finalement pour les collectivités de l'article 74. Si l'on parle du Smic, voilà quelque chose qui pourrait très bien être réglé de cette manière.

Ensuite, il y a les possibilités qui sont offertes par l'article 73 de ne pas appliquer tout à fait le droit applicable ailleurs, soit sous la forme de mesures locales d'adaptation aux règles nationales. Pour cela, les conditions très strictes de la Constitution pourraient peut-être être assouplies. Les conditions sont qu'il faut que cela entre dans des compétences des collectivités territoriales. Or, la lutte contre la vie chère est-elle une compétence qui peut relever d'une collectivité territoriale ? Et puis, il y a la condition de l'habilitation. Là aussi, il suffirait, si cela entre dans les compétences des collectivités, que la loi habilite ces collectivités à décider des armes pour lutter contre la vie chère.

Nous avons aussi le dernier niveau prévu toujours par l'article 73, c'est-à-dire la fixation par des collectivités territoriales elles-mêmes, de règles qui seraient dérogatoires. Là aussi, il y a des conditions, notamment l'habilitation et puis il y a des exclusions  on laisse de côté La Réunion, qui a souhaité échapper à cette possibilité  c'est-à-dire toute une série de compétences qui ne peuvent pas faire l'objet de dérogations. Or, il se trouve que les questions qui nous occupent ici, qu'elles soient douanières ou économiques, n'entrent pas dans ces exclusions. Donc les collectivités en question pourraient être habilitées à déroger.

Je veux bien que l'on invente des autorités administratives indépendantes (AAI) un peu partout. Simplement, ce sont des institutions essentiellement étatiques. En tout cas, elles sont conçues comme ça, c'est un bras de l'État. Peut-on les concevoir ailleurs qu'en Nouvelle-Calédonie, très accessoirement en Polynésie française ? Et quand on dit « indépendantes », indépendantes par rapport à quoi ? Nous comprenons bien le sens des AAI nationales, mais pour des AAI plus locales, nous aurions un peu de mal à concevoir par rapport à quoi elles devraient être indépendantes.

Nous n'avons pas du tout parlé de la continuité territoriale. Voilà quelque chose aussi qui permettrait peut-être de compenser les handicaps causés par l'éloignement géographique. Je rappelle que la continuité territoriale a été inventée dans un premier temps pour la Corse. La Corse n'est pas l'outre-mer, on est d'accord, mais la continuité territoriale existe aussi. Les îles parfaitement hexagonales connaissent aussi des problèmes de vie chère, même si l'éloignement n'est pas tout à fait le même.

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