Évidemment, nous sommes des constitutionnalistes. Je précise tout de suite que je ne suis pas spécialiste des questions économiques ni des questions fiscales, mais simplement une constitutionnaliste spécialisée dans le droit de l'outre-mer, vivant en outre-mer depuis vingt-cinq ans, dont vingt ans en Nouvelle-Calédonie et depuis cinq ans en Martinique. Donc je vis la vie chère et je fais partie de ces personnes qui s'émerveillent des prix en métropole.
S'agissant des aspects institutionnels, j'aurais tendance à raisonner, comme pour d'autres sujets, par le prisme du principe d'égalité de traitement des populations. Ce dont on parle ici, c'est d'une inégalité du niveau de vie des populations, particulièrement dans les collectivités de l'article 73, puisque c'est ce qui justifie aujourd'hui l'uniformité du droit qui leur est applicable sous réserve, on le sait, d'adaptations.
C'est peut-être l'occasion d'enclencher ici une façon différente de raisonner sur l'égalité outre-mer. Quand on parle d'égalité pour l'outre-mer, on parle d'uniformité du droit applicable le plus souvent. C'est quelque chose que je découvre en étant affectée en Martinique. Or, on constate que nombre de rapports institutionnels, de rapports parlementaires, mais aussi émanant de la Cour des comptes ou encore du Conseil économique, social et environnemental pleuvent ces dernières années pour souligner les très fortes inégalités dont souffrent les populations ultramarines, de bien des points de vue.
À mon sens, on confond, quand on parle de principe d'égalité outre-mer, la fin et les moyens. On a oublié que l'égalité doit être le résultat et pas la façon d'y arriver. J'ai pris connaissance de l'ensemble des questions sur lesquelles nous pourrons être interrogés et, selon moi, il faut dire que s'il est nécessaire de déroger au droit commun pour créer une situation d'égalité, il faut le faire. S'agissant du sujet d'aujourd'hui, il est évident qu'il faut faire évoluer les règles pour mettre fin à ces situations de très fortes inégalités de niveau de vie des populations ultramarines. D'un point de vue institutionnel, la question qui se pose ici est la suivante : faut-il gérer localement les questions liées au contrôle des prix ? Faut-il modifier la répartition des compétences liées au contrôle des prix ? Et je dirais plus généralement, qui dit contrôle des prix dit nécessairement intervention dans des compétences de droit commercial, de droit fiscal et de droit douanier. C'est sur l'ensemble de ces compétences qu'il faut se poser des questions.
Faut-il répartir différemment l'exercice de ces compétences ? Si l'on envisage une réponse positive à cette question, on peut peut-être aller s'intéresser aux expériences de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française pour savoir si tout fonctionne mieux lorsque c'est géré localement. Là, on a plusieurs réserves qui apparaissent immédiatement et c'est notamment le caractère récent de l'exercice de la compétence, dont le caractère récent de la création des autorités indépendantes de concurrence. Si l'on envisage de répondre négativement à la question d'une modification de la répartition des compétences, il faut se poser la question de comment réformer le droit applicable pour avoir des dispositifs plus efficaces.
S'agissant d'un exercice local de la compétence, plusieurs questions se posent. Est-il possible de mettre en place des autorités indépendantes locales qui soient véritablement indépendantes et qu'on puisse considérer plus indépendantes que si la compétence est exercée au niveau national ? Je me suis documentée un peu et on a des questionnements liés à une affaire, notamment celle de l'Autorité polynésienne de la concurrence. Mais les mêmes questions se posent aussi au niveau national. Si on est sur l'exercice local de la compétence, on va être dans des configurations différentes, notamment en fonction du statut européen de la collectivité.
Il est bien évident que des collectivités comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, qui ont un statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM), ont des marges de manœuvre plus importantes, bien que le statut de région ultrapériphérique (RUP) permette un certain nombre de dérogations au droit de l'Union européenne. On sait également, parce que le Conseil constitutionnel a pu le dire à l'occasion d'une décision relative à une loi du pays sur la concurrence en Nouvelle-Calédonie, que l'on peut déroger, pour les collectivités, notamment ultramarines, au droit commun, pour tenir compte de spécificités du marché local.
Peut-on assurer une indépendance à des autorités locales ? On peut aussi se demander s'il y a une volonté politique d'exercer la compétence localement. Du point de vue des habilitations, il n'y a pas eu de demande dans ces secteurs.
Quelle serait la capacité de lutter véritablement contre les concentrations d'entreprises au niveau local ? Quand on prend l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, le bilan qui a été fait par la première présidente de l'Autorité locale de la concurrence, qui a quitté ses fonctions en fin d'année dernière, est assez mitigé. On sait très bien qu'aujourd'hui, les prix restent très élevés en Nouvelle-Calédonie, mais à mon sens, c'est une question essentiellement politique.
Le cadre constitutionnel permet-il aujourd'hui de mettre en place des règles adaptées ? J'aurais tendance à dire que oui, mais si et seulement si les collectivités ultramarines évoluent dans le cadre de l'article 74. On retombe donc sur la question de cette catégorisation des collectivités, parce qu'on sait très bien que si les collectivités de l'article 73 veulent prendre en main cette compétence et intervenir dans ce champ, elles n'ont actuellement pas les moyens, parce que leur pouvoir normatif est insuffisant, de mettre en place des règles. Elles ne disposent en effet que d'un pouvoir normatif de gestion et non pas d'un pouvoir réglementaire autonome, comme c'est le cas des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, au premier rang desquelles la Polynésie française.
Oui, le cadre constitutionnel peut suffire, mais il peut suffire à partir du moment où les collectivités peuvent évoluer dans le cadre de l'article 74. Le cadre constitutionnel actuel est insuffisant pour les collectivités de l'article 73.