Je vous remercie de me donner l'opportunité d'aborder de manière factuelle et rationnelle le sujet du prix des carburants dans les départements français d'Amérique (DFA), c'est-à-dire la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. Je suis directeur général de la SARA et M. Hardy en est le président et est également directeur général adjoint de Rubis Énergie ; il est présent dans l'environnement de la SARA depuis 2005.
Depuis plus de cinquante ans, sous l'impulsion initiale de l'État, la SARA contribue au développement et à l'autonomie des départements français d'Amérique, à la croisée de toutes les problématiques énergétiques, sociales, sociétales, économiques, voire diplomatiques.
Nous fournissons un milliard de litres de carburant en qualité européenne et en quantité aux distributeurs sur les trois territoires, sans rupture. Il s'agit là d'essence sans plomb, de gasoil, de kérosène aviation et de fuel. L'équipe est majoritairement constituée d'Antillo-Guyanais, à 99 % ; soit 320 contrats à durée indéterminée et une quinzaine d'embauches par an en moyenne, une vingtaine d'alternants, cinquante stagiaires, quatre à cinq doctorants et près de 700 entreprises contractées.
La SARA est également une entreprise française, composée de deux actionnaires industriels engagés sur les territoires ultramarins : Rubis pour 71 % et Sol Parkland pour 29 %. La SARA témoigne depuis 1969 d'un intérêt stratégique avéré d'une raffinerie aux Antilles, à la demande du général de Gaulle en 1964, afin d'assurer l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement des départements français des Antilles en produits pétroliers. Il s'agit de couvrir des besoins locaux en carburants et combustibles pétroliers, afin de garantir une capacité de stockage ajustée à la consommation des Antilles et de la Guyane et de créer un pôle de développement industriel et d'emplois qualifiés.
La SARA est une entité classée organisme d'importance vitale (OIV) pour les armées et le service opérationnel de l'énergie, face notamment aux crises majeures locales et internationales et aux phénomènes climatiques auxquels nous sommes confrontés. La criticité de ce point a été rappelée récemment par le commandement des armées : « En période chaotique telle que la crise que nous subissons entre l'Ukraine et la Russie, l'autonomie de production et de gestion des stocks stratégiques déportées s'est révélée salvatrice. »
Les prix sont régulés par différents décrets. Le dernier en date est le décret n° 2013-1314 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, dit décret Lurel, qui impose un résultat net annuel constant aux producteurs que nous sommes, soit environ un équivalent de 3 centimes du litre de carburant. Ce décret a fait ses preuves et doit aujourd'hui s'adapter aux nouveaux enjeux énergétiques. Nous avons réalisé plus de cinquante millions d'euros d'investissements avec l'accord de l'État ces dernières années pour maintenir et dynamiser l'activité locale.
Le dernier exemple en date concerne notre travail en commun avec l'État et les collectivités pour répondre à la problématique de la disponibilité des bouteilles de gaz à l'ouest de la Guyane, avec un projet de construction d'un centre d'embouteillage. Nous participons à l'indépendance et l'éco-circularité énergétique des territoires sur lesquels nous sommes très impliqués, avec le lancement de la production d'énergies décarbonées, afin de nous inscrire dans le cadre de loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il s'agit de contribuer d'abord à la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) des activités traditionnelles et, ensuite, de diversifier la fourniture de vecteurs énergétiques, notamment pour la mobilité terrestre, maritime, aérienne et spatiale en hydrogène vert, à base de biomasse, et en électricité verte, notamment via la géothermie.
Pour ces raisons, la SARA a l'ambition de devenir d'ici juin la première entreprise à mission des Antilles et de la Guyane, afin d'être toujours plus intégrée dans un tissu industriel territorial. Les porteurs de projet nous approchent pour nous faire part de leurs besoins et, peu à peu, nous participons à la structuration de filières de nouvelles énergies.
SARA est consciente de son rôle et de ses responsabilités. Ainsi, le positionnement de la SARA doit prendre en compte son activité historique et les contextes territoriaux spécifiques, :
un pouvoir d'achat de plus en plus préoccupant ;
l'impact de décisions de l'Union européenne sur l'arrêt de la production des moteurs thermiques ;
les impacts de la fiscalité carbone sur les budgets des territoires ;
des démographies disparates et inquiétantes ;
la menace de pertes d'emplois sensibles sur la filière carbonée ;
la priorité à s'intégrer dans une vraie dimension de raison d'être territoriale à ancrage éco-circulaire ;
l'accession du plus grand nombre de la population aux énergies.
Face à ce contexte local et international, la SARA construit, déploie et conduit une feuille de route économique et industrielle de manière consensuelle, pragmatique et structurée, dédiée à chaque territoire, afin de s'intégrer dans les enjeux des programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) locales, afin de répondre aux objectifs d'autonomie énergétique des territoires, de structurer le développement des usages des nouvelles filières d'énergie nouvelles et renouvelables et afin de contribuer à construire les politiques régionales par une nouvelle offre industrielle, sociale et fiscale attractive.
Nous portons nos efforts sur quatre vecteurs énergétiques :
un cœur de métier toujours moins carboné ;
l'hydrogène ;
l'électricité bas carbone dont la géothermie ;
les atouts de la biomasse.
En termes de contribution à l'amélioration du pouvoir d'achat et en support des autorités, collectivités et États, la SARA a toujours été sur le terrain au côté des populations pour expliquer, comprendre et produire immédiatement ses meilleurs efforts dans son domaine de responsabilité. Nous avons ainsi absorbé sans augmentation des prix des carburants le retrait des aides de l'État en agissant avec l'accord des autorités régulatrices sur le lissage anticipé de la formule des prix.
Nous avons participé à tous les ateliers déclenchés par l'État, les collectivités et les associations professionnelles sur la cherté de la vie. Nous avons été au plus près des populations par nos démarches régionales, et notamment un déplacement fondateur dans les zones enclavées à la rencontre des populations du fleuve, sur le Maroni, en Guyane. Nous avons systématiquement cherché à contribuer à l'accessibilité au carburant, d'abord par une surperformance du modèle de la SARA au regard de la moyenne nationale des prix. Pour rappel, sur nos territoires, les carburants sont les seuls produits de consommation à prix sensiblement équivalents voire inférieurs à ceux de l'Hexagone.
Ensuite, nous avons agi pour la protection de marchés de niches, comme le carburant pêche, sans impact pour les consommateurs. Nous avons mis à disposition des cartes de gaz accessibles aux populations d'extrême précarité, pour maximiser l'utilisation des chèques énergie de l'État. Nous avons également proposé de réfléchir à la contribution de toute la chaîne sur la compensation des excès de prix au-delà d'un certain seuil à fixer par l'État et les institutions légitimes, en faveur des familles en état d'extrême précarité sur les trois territoires. Nous n'avons, enfin, pas hésité à ouvrir nos terminaux hors heures ouvrées, pour assurer le maintien de la continuité d'accès au carburant, quelle que soit la période.
Je me permets de m'arrêter en détail sur l'augmentation des prix des carburants aviation de février à mai 2022. Avec l'invasion de l'Ukraine, nous avons subi une flambée des cours mondiaux de kérosène et des différentiels Caraïbe. Je rappelle que la SARA a toujours favorisé l'option de facturation au prix le plus juste et sans marge, afin de ne léser ni les compagnies aériennes ni les consommateurs finaux des carburants administrés. C'est ainsi qu'après concertation avec la direction générale des outre-mer (DGOM) et la préfecture de Martinique, il a été décidé que l'impact du kérosène resterait neutre pour l'automobiliste. Ne pas respecter ce principe pourrait engendrer, selon nos estimations, une augmentation de 4 à 5 centimes du litre sur les carburants à la pompe, du fait de la seule augmentation des prix du kérosène.
Pour aller plus loin, nous avons travaillé au développement des compétences locales autour de la structuration du marché de l'emploi et de la formation. La SARA forme et embauche dans les DFA ou fait revenir ses talents de l'Hexagone, pour les métiers traditionnels ou pour les métiers nouveaux. Nous agissons également par la recherche systématique d'équité de l'accessibilité aux prix régulés. Nous avons notamment attiré l'attention de l'État sur le fait que les zones enclavées de Guyane ne bénéficient pas d'une équité de traitement aujourd'hui. Par exemple, les prix des bouteilles de gaz peuvent monter jusqu'à 100 euros la bouteille le long du fleuve, contre 25 euros sur la côte.
Nous sommes intervenus en outre via l'utilisation de la formule des prix pour répondre aux défis des prix peu attractifs de produits du futur. La SARA est engagée dans la production d'énergie verte pour la mobilité. Une partie de cet effort pourrait être financée vertueusement par la formule de fixation des prix aujourd'hui en place, en incorporant les volumes de carburant énergies nouvelles dans le calcul. Nous proposons de travailler sur ce sujet avec l'État et avec les collectivités.
Il s'agit également d'utiliser la formule des prix pour répondre aux défis des revenus des collectivités associés au taxes des carburants. Incorporer les énergies vertes dans la formule permettrait de rechercher à les taxer selon le même principe. Nous proposons en outre la mise en place d'un fonds d'atténuation des effets de hausse sur les prix, qui permettrait d'anticiper et d'amortir une situation macroéconomique défavorable en toute transparence et de manière indolore pour les consommateurs, avec deux avantages :
agir comme amortisseur face à l'impact de situations exceptionnelles comme la pandémie ou les catastrophes naturelles ;
agir comme compensateur au-delà du seuil d'acceptabilité de la population, à l'évolution haussière mondiale des prix des carburants et de la bouteille de gaz de pétrole liquéfié (GPL).
J'espère que cette introduction factuelle vous aura donné les éléments nécessaires à une vision globale et détaillée, objective et rationnelle de la problématique des carburants dans les Antilles et en Guyane. Je souhaite enfin ouvrir la porte aux questions et au débat par le rappel de quelques principes fondamentaux qui guident nos actions.
D'abord, si vous vous contentez d'être performants sans transformer, vous n'avez aucun avenir. Réciproquement, si vous vous contentez de transformer sans être performants, le présent n'existe pas. Ensuite, la réindustrialisation et le renforcement de l'indépendance énergétique de nos territoires passent par la transition énergétique.
Ne nous y trompons pas : la SARA, par sa présence industrielle et son évolution en marche à partir d'un socle de régulation des prix performant, constitue une formidable opportunité pour les collectivités de répondre aux défis écologiques, énergétiques, sociaux et économiques de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.
Enfin, notre action vise à permettre à l'ensemble de la population d'avoir accès de façon vertueuse à l'énergie à un prix accessible, comme nous le faisons depuis plus de cinquante-trois ans, en proposant aux côtés des collectivités et de l'État des solutions adaptées aux spécificités et aux problématiques de chaque territoire ultramarin.