Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres de la commission, nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet important et sensible que constitue le coût de la vie dans les collectivités d'outre-mer, plus particulièrement, pour ce qui nous concerne, en Polynésie française.
Il est vrai que nous constatons que les prix sont, chez nous, sensiblement plus élevés qu'en France métropolitaine. Nous allons tenter de vous exposer les raisons pour lesquelles, de notre point de vue, le coût de la vie est plus élevé à Tahiti qu'en France métropolitaine. Nous ne pourrons naturellement nous exprimer qu'en ce qui concerne le métier de la distribution alimentaire, qui est le nôtre. Nous ne pouvons parler pour les autres secteurs.
Je crois que vous avez auditionné l'Institut de la statistique de la Polynésie Française (ISPF) dont le dernier rapport, paru en 2016, indiquait que le niveau des prix, en Polynésie française, était supérieur de 39 % à celui constaté en métropole. Cet indicateur avait été calculé pour l'ensemble des biens à la consommation, y compris l'énergie et les transports.
S'agissant de notre secteur d'activité, nous avons identifié quatre raisons principales venant, au moins en partie, expliquer cet écart. Nous allons revenir sur chacune d'entre elles en tentant d'estimer leur impact sur le prix du produit final pour le consommateur. Nous nous sommes livrés à cet exercice afin d'être le plus précis possible. Pour certaines d'entre elles, des pistes de solutions pourront être ébauchées, à plus ou moins long terme, ce qui pourrait être l'un des points abordés par la suite au cours de la discussion avec les membres de la commission.
La première de ces raisons a trait à l'insularité et à l'éloignement. En 2022, 35 % de nos achats, pour approvisionner nos magasins, ont été effectués par des importations directes, dont la moitié venant d'Europe (essentiellement de la métropole), l'autre moitié provenant d'Asie, d'Amérique, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, 37 % de nos achats sont effectués auprès de fournisseurs locaux, qui sont eux-mêmes des importateurs. Ces fournisseurs locaux sont principalement des agents de marques. Ainsi, 72 % des produits proposés dans nos magasins sont des produits importés. Les 28 % restants sont issus de la production locale, par exemple la pêche et l'industrie locales. Le modèle polynésien repose donc très fortement sur les importations et l'éloignement de notre territoire (qui se trouve par exemple à 18 000 kilomètres de la métropole) induit des surcoûts, que nous appelons, dans notre jargon, les « frais d'approche ». Ceux-ci correspondent aux frais du fret maritime, du fret aérien, aux frais de transit, de débarquement, de dédouanement et aux frais de transport, au départ et à l'arrivée. En moyenne, sur l'ensemble des familles de produits présentes dans nos magasins, ces frais représentent 23 % du prix départ de la marchandise. Lorsqu'il faut réacheminer ces marchandises vers des îles encore plus lointaines, il faut ajouter quelques pour cent pour obtenir le taux de frais d'approche. Nous pouvons néanmoins nous en tenir à Tahiti. À ces frais s'ajoutent des droits et taxes sur lesquels nous reviendrons par la suite. Une fois tous ces éléments pris en compte, nous estimons que les frais d'approche pèsent à hauteur d'environ 10 % du prix final demandé au consommateur.
La deuxième raison est liée à l'étroitesse du marché de la Polynésie française. Celle-ci constitue un territoire à peu près vaste comme l'Europe, avec de nombreux espaces maritimes. Elle compte 289 000 habitants, selon le dernier recensement, dont 210 000 ou 230 000 habitants sur les seules îles du Vent. De très nombreux petits magasins sont ainsi dispersés aux quatre coins de l'île. Une étude de marché réalisée en 2021 dénombre 227 commerces sur l'île de Tahiti, pour une surface totale d'environ 60 000 mètres carrés. Ces magasins ont besoin d'importateurs locaux qui sont très souvent des agents de marques, lesquels, en tant qu'intermédiaires, prennent une marge. Ce type d'intermédiaire n'est pas présent en métropole, où la plupart des grandes enseignes s'approvisionnent directement auprès des centrales d'achat. Dans les territoires ultramarins et particulièrement à Tahiti, qui constitue un tout petit territoire, ces agents de marques ont toute leur raison d'être. Selon nos estimations, cette présence d'intermédiaires, pour 37 % de nos achats, pèse pour 10 % du prix final demandé au consommateur.
La troisième raison du niveau plus élevé des prix dans nos magasins, par rapport à la métropole, a trait à la fiscalité indirecte. Je parle de la taxe sur la consommation. Il existe, comme en métropole, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est en Polynésie française de 5 % pour les produits alimentaires et 16 % pour les produits non alimentaires (contre respectivement 5,5 % et 20 % en métropole). Compte tenu du poids des produits alimentaires dans nos magasins, nous estimons à 7 % le poids de la TVA dans le prix final proposé en Polynésie, alors qu'il serait de 8 % dans un magasin métropolitain. Il faut cependant tenir compte de l'existence d'autres taxes, parmi lesquelles la Contribution pour la solidarité (CPS), instaurée en avril 2022. Son taux est de 1 % mais elle s'applique à l'ensemble des transactions, à toutes les étapes de la chaîne de consommation. Nous estimons que cette taxe représente environ 2 % du prix final du produit. Il existe aussi des droits d'entrée, appelés « octrois de mer » dans les autres départements d'outre-mer. Ces droits d'entrée représentent en moyenne, dans nos magasins, 12 % du « prix départ » du produit. In fine, nous estimons que le prix de détail dans nos magasins est accru d'environ 7 % du fait de cette fiscalité, par rapport aux prix métropolitains.
Enfin, la dernière raison est liée aux mesures protectionnistes en place depuis plusieurs années au profit de filières locales. Plusieurs secteurs de Polynésie française relevant du secteur primaire (agriculture, élevage, pêche et d'autres activités secondaires, notamment l'industrie) sont protégés de la concurrence extérieure. L'objectif initialement poursuivi consistait à préserver l'économie et les emplois, sans que des évaluations pertinentes de cette politique économique n'aient pu toutefois être réalisées. Cette protection se traduit par deux types de mesures :
des mesures non tarifaires, qui se matérialisent par des interdictions ou des restrictions d'importation de certains produits (fruits tropicaux, certains fruits et légumes, certaines viandes et charcuteries, divers produits industriels ménagers) ;
des mesures tarifaires qui se matérialisent par l'application de droits et taxes supplémentaires à l'entrée, lorsqu'un importateur importe des produits similaires.
La taxe la plus courante, en Polynésie, relève de cette seconde catégorie de mesures. Il s'agit de la taxe sur le développement local (TDL), dont le taux varie selon les secteurs d'activité. Plusieurs secteurs sont ainsi protégés : fromages frais, charcuterie, viennoiseries, confitures, jus, glaces, sirops, bières, sodas, eaux de source, certains matériaux de construction. Ce ne sont que des exemples, car la liste est assez longue. Au total, l'ajout de ces droits aboutit au constat de droits et taxes pouvant représenter jusque 200 % de la valeur totale du produit. Ce sont donc des mesures qui pèsent lourd. Ces mesures de protection, qui relèvent du pouvoir politique local, génèrent de l'emploi. Nous ne le nions aucunement. Elles ont cependant un impact significatif sur les prix à la consommation.
Nous sommes conscients que les filières locales doivent continuer d'exister. C'est une évidence. Elles souffrent d'un problème de compétitivité par rapport aux grandes multinationales françaises. Préserver l'emploi local suppose certainement de les aider. Nous n'en disconvenons pas. Peut-être y aurait-il cependant d'autres moyens de les soutenir. Nous pourrions en discuter par la suite.