Intervention de Stéphane Hayot

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot :

Monsieur le député, vous nous demandez pourquoi nous ne publions nos comptes. Plus de 50 % des entreprises à l'échelle nationale ne publient pas leur compte. En outre-mer, très peu d'entreprises déposent leurs comptes. La seule raison, c'est qu'elles essaient de se protéger et de ne pas confier à leurs concurrents des informations sensibles et importantes. En réalité, nous faisons preuve d'une grande transparence avec l'administration. Quand l'Autorité de la concurrence vient nous auditer en 2009 ou en 2019, elle ne se contente pas de propos lapidaires ni de quelques informations. Elle a un droit de police et elle nous demande des informations excessivement précises et détaillées. Elle nous demande de décortiquer notre mode de fonctionnement de A à Z et d'expliquer toute notre organisation. Pourquoi un produit met-il tant de temps à venir ? Pourquoi coûte-t-il cher ?

Nous déposons bien entendu nos comptes auprès de Bercy et des autorités fiscales. De ce point de vue, nous respectons la loi, mais c'est vrai, comme à peu près la plupart des entreprises d'outre-mer, nous essayons de nous protéger.

Vous avez parlé de position dominante. Nous considérons que nous ne sommes en position dominante nulle part. La position dominante est une position qui vous permet d'agir sans vous préoccuper de vos concurrents ou de vos clients. Dans aucun cas nous ne sommes en situation de nous moquer de ce que peut penser le client ou même de la réaction de nos concurrents. Je vous disais tout à l'heure qu'une entreprise qui n'est pas compétitive, qui n'apporte pas des prix compétitifs à son client, elle meurt. Il y a eu dans l'histoire, y compris de l'outre-mer, beaucoup de cas d'entreprises qui ont oublié cet aspect et qui n'ont pas été au rendez-vous. Quand Vindémia était à vendre, le Groupe Casino était en difficulté. Mais ces difficultés continuent. Nous lisons les journaux. Nous savons que l'un des problèmes de Casino en métropole est d'être très décroché en prix par rapport à ses concurrents. Le même problème était en place à l'île de La Réunion. En réalité, et peut-être que c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nos concurrents ont été si vigoureusement opposés à notre reprise, il était assez confortable d'avoir un nid de marché très faible qui n'investissait pas dans ces magasins, qui avait un positionnement prix catastrophique et qui, au fond, perdait ses clients mois après mois.

Dans la vie de tous les jours, nous sommes tous des consommateurs. Personne ne nous dit ce qu'il faut faire ou il faut aller. À l'époque de Vindémia sous enseigne Casino, de moins en moins de gens allaient dans les magasins parce que, justement, ils ne répondaient pas aux attentes des clients. Depuis que nous avons repris ces magasins, nous avons tenu notre engagement de baisse de prix. Nous n'avons pas baissé les prix de 4 %, mais de 7 %. Nous avons réinvesti des sommes très importantes dans les magasins pour les refaire.

Je regrette que monsieur le député Ratenon soit parti. Je me souviens de l'avoir rencontré à l'époque de la reprise de Vindémia et lui-même admettait que le magasin Jumbo qui était à Saint-Benoît était dans un état pitoyable. Nous l'avons refait intégralement, mais on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Ce n'est pas en refaisant le carrelage et l'éclairage d'un magasin qu'on fait revenir les clients. C'est en améliorant les assortiments et les gammes, c'est en proposant davantage de produits locaux.

Madame, vous m'avez interrogé sur la production locale. Quand nous avons racheté Vindémia, nous sommes passés par les fourches caudines de l'Autorité de la concurrence. Le dossier a été analysé comme aucun dossier ne l'a jamais été en outre-mer. L'Autorité de la concurrence a envoyé des équipes à La Réunion, ce qu'elle ne fait jamais. En général, elle vous convoque à Paris. Dans notre cas, elle a considéré que cela ce n'était pas suffisant et ils ont répondu à la demande des hommes politiques de La Réunion. Les équipes sont venues à La Réunion pour rencontrer les fournisseurs, les industriels, nos concurrents pour sentir les choses sur place. Elles ont décortiqué le marché, elles nous ont demandé des engagements. Elles nous ont demandé de céder les magasins, quatre hypermarchés et deux supermarchés, et elles nous ont demandé des engagements comportementaux, en particulier celui d'assurer à la production locale plus de 30 % de parts de marché dans nos ventes. Nous sommes aujourd'hui, je ne veux pas dire d'erreurs, entre 35 et 36 % très au-delà et nous sommes très heureux d'être à ce niveau-là. L'objectif est d'aller plus loin encore, parce que cela correspond à une vraie conviction chez nous.

Nous avons repris un parc de magasins qui étaient en très mauvais état, où les prix étaient les plus chers du marché. D'ailleurs, beaucoup de nos concurrents se sont beaucoup développés grâce à cette situation. Nous avons baissé les prix, nous avons refait des magasins. Les clients qui, mois après mois, fuyaient cette enseigne, reviennent. La route est encore longue. Nous perdons encore beaucoup d'argent avec Vindémia à La Réunion. Elle n'est pas encore redressée, mais la courbe a changé d'inclinaison. Elle allait dans la mauvaise direction, elle va désormais dans la nouvelle direction.

Quelle meilleure réponse que celle du client ? C'est lui qui sait. C'est lui qui a le choix. Quand un client sort de chez lui pour aller faire ses courses à l'île de La Réunion en particulier, c'est vrai dans tout l'outre-mer, il a du choix. On n'est pas en monopole ni en oligopole. Vous disiez, monsieur le député, que le marché de La Réunion se concentre, mais ce n'est pas exact. En 2009, l'Autorité de la concurrence, à la suite de la crise, a fait une analyse exhaustive de nos marchés. Le Groupe Casino était à ce moment-là leader. Il avait près de 33 % de parts de marché à l'île de La Réunion. Aujourd'hui, nous avons 26,8 % de parts de marché. Nous sommes très inférieurs à ce qu'était Casino à l'époque. Le groupe Caillé avait 21 % de parts de marché. Il en a 17 aujourd'hui, puisqu'un certain nombre de ses magasins l'ont quitté. Système U était à 18,6 % de parts de marché contre 21 % aujourd'hui. Leclerc est l'acteur qui s'est considérablement développé dans cette période. Mais tout le mérite leur revient, c'est qu'ils ont bien travaillé. Ils avaient 10,8 % de parts de marché et ils en ont 21,5 %.

En réalité, aujourd'hui, le leader est moins fort en parts de marché qu'il ne l'était il y a quinze ans. Et le leader d'il y a quinze ans était un acteur qui n'entretenait pas ces magasins et qui offrait des prix élevés à son client. Aujourd'hui, nous sommes le leader, avec Leclerc qui nous talonne et Système U juste derrière. Nous ne sommes donc pas du tout en duopole, avec Run Market à 11 % à travers l'enseigne Intermarché. L'ensemble du marché est beaucoup plus dynamique qu'il ne l'était.

Vous avez cité beaucoup de produits que nous faisons. C'est vrai. Dans mon propos introductif, je disais que nous avons la conviction que quand une entreprise naît sur un petit territoire, sur un petit marché et que si elle reste sur son marché, si elle ne sort pas de son métier, si elle ne se diversifie pas et si elle n'essaye pas d'aller sur d'autres territoires, elle rencontre plus de difficultés pour traverser le temps. La crise de la Covid-19 a bousculé les métiers de façon extrêmement variable. Nous n'aurions été que dans la location automobile, nous ne serions peut-être plus là aujourd'hui. C'est bien cette chance que nous avons d'être sur plusieurs métiers qui nous permet de traverser le temps.

Faire plusieurs métiers sur plusieurs territoires n'est pas illégal. Ce qui est important, c'est de bien se comporter. Ce qui est important, c'est d'être au rendez-vous des prix et du service. Notre conviction intime est que si vous n'êtes pas à ce rendez-vous, le client va ailleurs, c'est lui le patron.

Vous avez parlé de marques exclusives. Il n'existe aucune marque exclusive. Vous avez cité un certain nombre de marques que nous importerions à La Réunion en exclusivité. Ce n'est pas vrai. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi Lurel, a réglé ce problème.

Je me sens très réunionnais à La Réunion. J'ai commencé ma vie professionnelle à l'île de La Réunion. Ma fille est née La Réunion. Nous avons beaucoup de collaborateurs à La Réunion et nous sommes très fiers de ces équipes. Il y a un mois et demi, nous avons organisé notre réunion annuelle avec l'ensemble de nos équipes. Nous avions 450 cadres dans un amphithéâtre du Stella Matutina. Vous auriez été présents, vous auriez été fiers parce que je pense que 80 % d'entre eux étaient réunionnais.

Nous sommes convaincus que nous devons prioritairement chercher les collaborateurs dans les territoires où nous sommes implantés. Nous multiplions en permanence les actions pour essayer de recruter, et en particulier nos ultramarins. Nous faisons en permanence, à Paris notamment, des actions pour essayer d'aller au contact de ceux qui, à l'âge de 18 ans après leur bac, sont montés dans un avion à un moment où ils ne savent pas ce qu'ils ont envie de faire. Tout l'enjeu pour les entreprises ultramarines comme les nôtres, c'est d'arriver à aller à leur rencontre et de leur présenter les postes ou missions que l'on pourrait leur proposer. Il y a quelques années, une opération, qui s'appelait la, journée outre-mer développement (JOMD) permettait à l'ensemble des entreprises de l'outre-mer d'aller au contact des ultramarins à Paris. Nous avons pu recruter beaucoup d'ultramarins de cette manière. Nous venons de lancer une opération qui s'appelle Avenir outre-mer. Vous verrez qu'un grand nombre de nos collaborateurs se présentent, présentent leur métier. Vous aurez face à vous des gens passionnés, heureux des missions qu'on leur donne. Peut-on faire mieux ? Bien sûr. A-t-on envie de faire mieux ? C'est sûr. Pouvez-vous compter sur nous ? C'est clair.

Le vrai challenge de l'entreprise est de trouver les collaborateurs compétents dont elle a besoin pour pouvoir être performante. Elle a bien sûr intérêt à trouver au maximum des collaborateurs dans les territoires où elle est implantée. Enfin, je pourrais dérouler, mais je vous répondrai par écrit, peut-être pour vous donner toutes les actions que nous essayons de mener dans ce sens.

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