Il faut savoir que les barrières à l'entrée empêchent une entreprise de pénétrer un marché dans lequel on a déjà des acteurs. Ces barrières peuvent être de deux types, juridiques et économiques. Je citais l'exemple des mandataires liquidateurs. Dans ce cas, la barrière était juridique. Malgré le fait qu'on demandait à être nommé, on ne pouvait pas l'être en raison de conditions assez restrictives. Il peut aussi s'agir de textes de loi, par exemple pour une profession. Je prends l'exemple de l'avocature qui peut être une illustration assez topique. Si on veut être avocat, la barrière à l'entrée est juridique à travers le certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).
Pour la barrière économique, je prends l'exemple du marché des moteurs de recherche. Une entreprise qui souhaiterait aborder ce marché, au regard de la massification des données, de la trésorerie nécessaire ou du paiement des ingénieurs rencontrerait quelques difficultés pour concurrencer Google de manière immédiate.
Ces barrières à l'entrée peuvent aussi parfois reposer sur l'accès aux données. En l'absence de données relatives aux clients, il s'avère délicat de les prospecter. Souvent, les autorités de concurrence sont intervenues justement pour imposer aux opérateurs dominants de transmettre certaines données afin de dynamiser la concurrence sur le marché, qu'on appelle une injonction de type comportemental dans certaines décisions. Il ne s'agira pas ici de céder des actifs, plutôt d'imposer un comportement à une entreprise afin que la concurrence puisse être rétablie.
L'abus de position dominante en Nouvelle-Calédonie constitue un sujet délicat. L'affaire la plus marquante est celle relative aux pompes funèbres. Notre problématique est l'accès aux preuves. Déterminer une position dominante s'avère compliqué. Il faut d'abord délimiter un marché pertinent, identifier une position dominante au-dessus de 50 % au regard de la jurisprudence, s'intéresser au comportement et démontrer que ce comportement permet d'exclure d'autres entreprises du marché. En Nouvelle-Calédonie, le problème est celui des moyens. Nous manquons déjà de culture de la concurrence dans les territoires ultramarins. Je généralise, mais en tout cas, connaissant la Nouvelle-Calédonie, le marché était très concentré. Une dizaine de familles tenait les entreprises et avait installé une culture de l'entente plutôt qu'une culture de la concurrence. Dès le départ, l'installation apparaissait assez difficile. Pour une Autorité, ce sont les preuves qui permettent de nourrir l'enquête. Les entreprises se montraient rétives à l'idée de saisir l'Autorité. Cette affirmation est aujourd'hui à relativiser puisque depuis la mise en place de l'Autorité il y a cinq ans, la culture de la concurrence commence à se diffuser et s'accompagne de nombreuses saisines. Nous ne sommes plus du tout sur l'auto-saisine, les entreprises viennent nous voir.
En Nouvelle-Calédonie, nous avons la chance d'avoir une Autorité compétente en droit du marché et en droit spécial des contrats et des pratiques restrictives. C'est très important à deux égards. D'un côté, être compétent sur les pratiques réciproques de concurrence permet de sanctionner immédiatement. Il ne s'avère pas nécessaire de développer une argumentation pour démontrer une position dominante. On peut juste constater que tel contrat est déséquilibré, que la partie forte a imposé telle ou telle clause au détriment de l'autre entreprise et on peut sanctionner immédiatement. Le second avantage, et je ne trahirai pas les délibérés ni les auditions, mais en tant que praticiens et membres du collège, grâce aux affaires de pratique restrictive de concurrence, nous avons observé des cas d'ouverture d'affaires en pratiques anti-concurrentielles. Nous avons compris, lors des auditions, que certains opérateurs s'entendaient. Pour une autorité de la concurrence, avoir ces deux fonctions, ce qui n'est pas le cas en métropole, représente un avantage considérable, notamment en termes de charge de la preuve.