Je suis professeur agrégé de droit privé. Je suis également membre de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et j'ai récemment été nommé à l'Autorité de la concurrence nationale au sein du collège en charge des professions réglementées. Je déclare à titre de préambule que je n'ai aucun lien d'intérêt ni avec une entreprise ni avec un quelconque parti politique.
Pour le dire simplement, le droit de la concurrence a une ambition principale : protéger le processus concurrentiel. Autrement dit, appliquer les règles de concurrence, c'est s'assurer que la compétition économique entre les entreprises est possible sur le marché. Mais il ne faut pas se méprendre : protéger le processus concurrentiel, cela ne signifie pas empêcher les entreprises méritantes d'évincer leurs concurrents lorsque ces entreprises ont acquis une position dominante par leurs mérites. Si une position dominante a été acquise, par exemple, en raison de la mise sur le marché d'un produit de qualité adoubé par les consommateurs, le droit de la concurrence n'intervient pas et n'a pas à intervenir. Cela dit, derrière cette simplicité se cache une difficulté. Malgré une législation connue, on se demande encore quels sont les objectifs du droit de la concurrence. Les autorités de la concurrence cherchent à accroître le bien-être des consommateurs. Or, le bien-être du consommateur a une polysémie, car le consommateur n'est pas nécessairement une personne physique.
Certes il peut s'agir, d'une part, de vous ou moi. Si les entreprises se mettent d'accord pour augmenter le prix des bananes, par exemple, c'est bien le consommateur final qui, en bout de chaîne, sera pénalisé. Cependant le consommateur est, d'autre part, très souvent une personne morale, c'est-à-dire une entreprise. Dans l'affaire des poids lourds de Guyane de décembre 2022, une société spécialisée dans le contrôle technique avait profité de sa position dominante sur ce marché pour pratiquer des prix excessifs c'est-à-dire sans rapport raisonnable avec sa valeur économique à l'encontre de certaines sociétés de transport.
Toujours est-il qu'une fois que l'on a dit que le consommateur peut être tantôt une personne physique, tantôt une personne morale, on ne sait toujours pas ce que signifie l'expression : « bien-être du consommateur », et je vais essayer de m'en expliquer. Le bien-être du consommateur traduit une approche essentiellement économique, puisque l'accroissement du bien-être du consommateur conduit à la baisse des prix, à une augmentation de la qualité des produits ou des services et à un meilleur développement de l'innovation. Autrement dit, le bien-être du consommateur est un critère à deux dimensions : d'un côté, il permet de défendre ce que l'on nomme la concurrence statique, à savoir le fait que les consommateurs ne sont pas victimes de surcoûts injustifiés ; d'un autre côté, le bien-être du consommateur permet de défendre la concurrence dynamique, à savoir l'innovation. C'est dire, très simplement, que plus les entreprises seront en compétition, plus elles seront incitées à commercialiser les produits innovants sur le marché et à maintenir leurs parts de marchés, parfois à un niveau très haut.
Concrètement, au travers du critère du bien-être du consommateur, on peut avoir une analyse portée par un horizon à court terme, à savoir la baisse des prix, et une analyse portée par un horizon à long terme, à savoir la préservation de l'incitation à l'innovation.
C'est dire que le droit de la concurrence, dans sa dimension à court terme, peut permettre de lutter contre la vie chère, notamment en sanctionnant des entreprises qui, par leur comportement, augmentent artificiellement le prix de leurs produits ou services. Il faut savoir, en outre, que les autorités de la concurrence peuvent mener une action pour lutter contre la vie chère au moyen de leurs activités consultatives. C'est quelque chose que l'on néglige, mais qui est pourtant fondamental. En effet, en Nouvelle-Calédonie par exemple, l'Autorité avait, en 2019, rendu un avis concernant la profession de mandataire liquidateur, lequel avait permis de mettre en lumière une situation de monopole de fait du mandataire liquidateur local. On s'est alors aperçu que, même s'il n'y avait pas de numerus clausus sur le territoire calédonien, il y avait un défaut de concurrence dans cette profession. L'Autorité avait mis en exergue l'existence de barrières à l'entrée, du fait notamment que de nombreuses tentatives de candidatures locales avaient échoué. L'avis le plus important concerne la formation des prix sur les produits de la grande consommation.
J'ajoute que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie même si l'on s'écarte des compétences de la commission d'enquête est compétente pour donner un avis sur des demandes de mesures de régulation de marché. Qu'est-ce que cela signifie ? Les entreprises calédoniennes ont la possibilité de demander au gouvernement calédonien soit des mesures d'interdiction d'importation on parle de mesures « stop » soit des mesures de taxe de régulation de marché qui permettent finalement de fiscaliser davantage les entreprises qui ne sont pas calédoniennes. L'idée est donc d'avoir une concurrence plus faible que dans un marché libéralisé, puisqu'on va soit interdire à une entreprise extérieure d'importer des produits, soit pénaliser un concurrent en termes de fiscalité.
Dans le cadre de cette présentation, nous allons, avec Me Genty, insister dans un premier temps sur la répression des pratiques anticoncurrentielles, et dans un second temps sur le contrôle des concentrations.