La richesse de vos questions me renforce dans l'idée que nous avons à travailler dans ce domaine qui préoccupe nos concitoyens. Je vous suis reconnaissant d'approfondir les problèmes pour que nous puissions leur trouver, ensemble, des solutions.
La première question concernait le transfrontalier franco-suisse. Étant moi-même de Moselle, je connais bien le transfrontalier franco-luxembourgeois, le Luxembourg fonctionnant, sur le plan financier, comme une pompe aspirante plus forte encore que la Suisse. Un groupe de travail spécifique a été créé – conformément à l'engagement pris par Jean Castex lorsqu'il était Premier ministre – qui a abordé les questions relatives aux conditions de travail, à la formation et à l'offre de soins. Ses conclusions pourront certainement être reprises pour d'autres secteurs transfrontaliers. Cela souligne l'importance de l'Europe de la santé. Lors de la première vague épidémique, la situation aurait été difficile dans le Grand Est si nos collègues allemands n'avaient pas pris en charge près de deux cents patients en réanimation. Nous avons intérêt à de telles coopérations ; l'Union européenne et le bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé pour l'Europe y travaillent.
Les autorisations d'activité de soins de médecine d'urgence comprennent le champ de la pédiatrie ou concernent des urgences dites générales, la psychiatrie étant traitée à part. Toutefois, ma préoccupation est globale : elle porte aussi sur les maternités ou sur la santé mentale. Les mesures s'adressent à tous les services d'urgences, pédiatriques ou psychiatriques. Je m'inscris en faux contre la rumeur d'une volonté de sous-financer les urgences pédiatriques : c'est la sous-déclaration des effectifs médicaux et paramédicaux qui entraîne un sous-financement. Les professionnels et la direction générale de l'offre de soins travaillent à résoudre ce problème. Quant aux urgences gériatriques, il faut arrêter de créer des urgences pour tout. Les patients de gériatrie se caractérisent par des polypathologies que les urgences savent prendre en charge. Il est cependant essentiel d'avoir des filières spécifiques pour les personnes âgées.
En réponse à la sous-médicalisation des EHPAD, je suis de près le déploiement nécessaire d'infirmiers en pratique avancée, en particulier gériatrique. De manière générale, je suis favorable au développement des IPA en lien avec les spécialités concernées : il est logique qu'il existe un intermédiaire entre les infirmiers, qui étudient trois ans, et les médecins, dont la formation dure douze ou quatorze ans. Les IPA existants montrent leur utilité. Concernant les infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE) souhaitant intégrer la filière, j'attends les conclusions de l'IGAS, sachant que la première année de formation d'IPA prévoit l'acquisition de principes de base en physiologie et anatomie dont les IADE ne bénéficient pas actuellement ; il y aura donc des compléments à prévoir.
Le projet de décret sur la réforme des autorisations des structures d'urgences, qui encadre le fonctionnement des futures antennes de médecine d'urgence, a été transmis au Conseil d'État. Dans cette période estivale, le principe des antennes est déjà appliqué de façon dérogatoire, ce qui va permettre de l'évaluer. Ces services devront toutefois être intégrés à un service d'urgences de pleine activité, dans une logique territoriale.
En ce qui concerne le traitement des pathologies du quotidien en pharmacie, il figure dans le plan Ma santé 2022, mais un décret de 2021 l'autorisait déjà pour certaines. Le transfert de tâches et de compétences sera traité lors de la conférence des parties prenantes. Chacun devra avancer, sur des bases que je souhaite scientifiques, pour être certain qu'il n'y ait pas de perte de chances pour les patients.
S'agissant de l'intérim, nous disposons d'un cadre réglementaire issu de la « loi Rist » qui limite sa place. Mais, sous la pression des hospitaliers, directeurs ou médecins, il n'a pas été appliqué. Comme la morphine, l'intérim donne l'impression d'une amélioration, mais il entraîne une dépendance sans guérir le mal. Il ne faut toutefois pas jeter la pierre : il n'est que le traitement symptomatique de la maladie dont souffre le système de santé. Il faut le combattre, en appliquant la loi, mais de façon éclairée, tout en soignant la pathologie. Si on ne le fait pas et si on arrête le traitement, les choses iront de mal en pis.
La régulation de l'installation des médecins n'est pas un sujet tabou. D'ailleurs, aucun sujet ne le sera. Il faut mettre sur la table l'ensemble des questions et les travailler en amont de la conférence des parties prenantes qui nous conduira jusqu'au début de l'année 2023. Nous éviterons ainsi des décisions précipitées, qui entraveraient la discussion au sein de la conférence.
S'agissant des déserts médicaux, méfions-nous des solutions faciles et des « y'a qu'à, faut qu'on ». Il y a, en réalité, un panel de solutions qui comprend le fait de réaliser des stages, dès le début des études, davantage en périphérie et moins dans les CHU. Il faut aussi pouvoir accueillir les stagiaires, ce qui concerne les élus : faute d'internats dans les hôpitaux, les étudiants doivent se rendre à une heure de route au moins de leur domicile car ils n'ont pas les moyens de louer un second appartement à 150 kilomètres de la faculté. La problématique est globale et doit être envisagée comme telle, là aussi grâce à une boîte à outils.
Je suis particulièrement attentif aux problèmes des outre-mer. La revalorisation des coefficients géographiques fait déjà l'objet d'un rapport au Parlement : nous travaillons à préciser les variations à introduire.
Une réforme des transports sanitaires urgents a été menée. Ses effets sont probablement en deçà des besoins. C'est pourquoi, dans le cadre des mesures d'été, nous avons relevé d'au moins 10 % le volume horaire dédié à ces transports, afin de donner un peu d'air.
Je ne cherche pas à condamner les centres de soins immédiats non programmés : ils répondent à un besoin, mais sont un traitement plus symptomatique que curatif.
Le numerus clausus a été supprimé après des dizaines d'années d'existence. Le numerus apertus ne résout pas tout. En médecine, il n'y a certes pas de redoublement dans le cadre universitaire, mais c'est aussi le cas dans d'autres disciplines. Pour augmenter le nombre d'étudiants, il faut relever celui des formateurs, des enseignants, des hospitalo-universitaires. Il faut s'atteler à tous les aspects du problème. Il convient sans doute d'accroître les effectifs dans de nombreuses spécialités mais, en l'état actuel des choses, cela réduira ceux des autres, même si le nombre d'étudiants reçus à l'examen classant national augmente globalement. Évaluer les besoins de santé, de professionnels de santé et de spécialités médicales dans les années à venir est donc indispensable pour définir les effectifs des spécialités. Pour les médecins intensivistes, par exemple, il faut réfléchir à quinze, vingt ou trente ans.
Libérer du temps médical est l'objectif des transferts de tâches et de compétences, un sujet certainement central lors de la conférence des parties prenantes. Tous les professionnels devront s'asseoir autour de la table pour que ces transferts se fassent dans le respect des règles de la science. Il ne faudra pas oublier les assistants médicaux, qui permettent d'augmenter de 10 % la clientèle d'un médecin en libéral. Je compte aussi réduire la charge administrative des soignants à l'hôpital qui, pour certains d'entre eux, occupe 50 % de leur temps de travail, et leur rendre du temps soignant. Il s'agit de l'un de mes objectifs principaux.
La prime d'exercice en soins critiques a été versée à 30 000 infirmiers et transposée dans le privé. Nous réfléchissons à son extension. J'accepte sa logique, consistant à reconnaître la pénibilité de certains métiers comme du travail à l'hôpital la nuit et en fin de semaine, et procédant d'une vision globale de la pénibilité. Il faut sortir des corporatismes, à l'hôpital comme hors de l'hôpital, au profit d'une conception plus générale des problèmes de santé.
Les conditions de travail des soignants sont un axe fort de la réforme que je veux mener. Il faut rendre du sens à notre métier. Chacun doit savoir pourquoi il vient travailler et le faire dans de bonnes conditions.
Très honnêtement, si demain vous vous me fournissez 10 000 médecins et 60 000 infirmières, je les prends. Il ne s'agit pas d'un problème de recrutement, mais de postes vacants. Pourvoyons donc ces postes, voyons ensuite quels sont les besoins et nous y répondrons. Pour recruter des soignants, il faut éviter qu'ils n'abandonnent leurs études et travailler sur la pénibilité de leur métier ainsi que sur leurs conditions de travail. Je compte m'y atteler dans les mois à venir.
Concernant l'utilisation du 15, la communication continue. Je rappelle que c'est la première fois, depuis la création de ce numéro dans les années 1970, qu'il existe une communication nationale sur son bon usage. C'est une habitude à cultiver chez nos concitoyens. Je ne crois pas à un discrédit du 15 ni du service d'accès aux soins. Ce qui est important, c'est son organisation, notamment le principe du « décroché bi-niveau », qui permet une réponse pertinente en trente secondes.
Monsieur Turquois, le travail sur le bed management mené par le professeur Olivier Mimoz à Poitiers est un exemple pour les services d'urgences de France. Il démontre que, si tout le monde se met autour de la table, on avance. Favoriser ce dialogue est l'une des missions des ARS, comme vous l'avez constaté lors des missions d'été. Il ne s'agit pas d'un mode dégradé mais d'une amélioration de l'orientation des patients, donc de leur prise en charge, grâce à la régulation médicale.
La santé mentale est un enjeu majeur. Nous avons beaucoup œuvré pour elle, notamment en améliorant la reconnaissance des psychologues et en ouvrant la possibilité de consultations spécialisées. L'après-crise du covid-19 a donné lieu parmi les enfants et les adolescents à une épidémie de pathologies psychiatriques qu'il ne faut pas méconnaître. Nous continuerons à forger des outils pour répondre aux besoins.
La plateforme commune du 15, 18, 112 et 115 adoptée par le SDIS 74 correspond à un mode de financement parmi ceux que la loi dite « Matras » permet d'expérimenter. Ils sont au nombre de trois : une plateforme unique pour tous les services d'urgences – police, gendarmerie, SAMU et pompiers ; la santé d'un côté, les secours et la sécurité de l'autre ; le SAMU et les pompiers d'un côté, la police de l'autre. Si je n'ai pas consulté les sapeurs-pompiers dans le cadre de ma mission « flash », c'est parce qu'elle était consacrée à la santé alors que les sapeurs-pompiers sont des professionnels du secours. Ils n'en ont pas moins accueilli favorablement mes recommandations nos 7 et 21, considérant qu'elles vont dans le sens de leurs revendications.
Monsieur Rousset, j'ai constaté que les maires qui construisent une maison de santé avant de chercher des soignants échouent, alors que s'ils construisent une maison de santé avec les soignants, cela fonctionne. C'est par le dialogue et la coconstruction que nous avancerons. C'est pourquoi la conférence des parties prenantes réunira les soignés, les soignants et les élus.
S'agissant de la fermeture, pour des raisons comptables, d'une maternité privée à but lucratif dans la banlieue de Lyon, heureusement, le service public est là, à la Croix-Rousse. Un phénomène intéressant, qui n'est pas expérimental mais doit être reproduit, est l'exercice mixte, moitié en ville, moitié à l'hôpital, des sages-femmes récupérées. Nous devons aller dans cette direction en faisant tomber les barrières.
Concernant l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Desgenettes, le HIA Legouest, à Metz, a le même problème. La reconfiguration du service de santé des armées vise à répondre aux besoins des armées – il s'agit là encore d'une logique de besoin. Il faut travailler ensemble à l'échelle des territoires. Par pitié, plaidez, dans vos territoires respectifs, en faveur de l'anticipation de ces problèmes, qu'on ne découvre pas la veille qu'on ne pourra pas fonctionner le lendemain !