Je remercie la commission des affaires étrangères et ses membres de me fournir l'occasion de m'adresser à eux pour la première fois depuis mon renouvellement en septembre dernier. Je suis venu ce matin avec Mme Marie-Hélène Loison, directrice générale-adjointe de l'AFD, qui supervise toutes nos opérations.
L'AFD est un collectif de 3 500 collaborateurs, dont le management a connu pour la première fois la parité l'année dernière. Cet après-midi vous auditionnez M. Bruno Le Maire, qui reviendra certainement au nom du Gouvernement sur le sommet de la semaine dernière et sur les travaux en cours après le conseil présidentiel du développement et avant le CICID qui est effectivement annoncé pour le 13 juillet prochain, dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 4 août 2021.
Mon propos liminaire se concentrera tout d'abord sur la contribution de l'AFD au sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui a réuni 1 200 participants – la moitié provenant de la société civile –, dont 43 chefs d'État. D'un point de vue diplomatique, ce sommet a été un grand succès et avait pour objet, notamment, d'éviter la fragmentation et de chercher un nouveau consensus. Ce consensus porte d'abord sur la définition d'un nouveau récit. Depuis 2015, nous avons assisté à un développement du monde en deux dimensions : presque tous les pays se développent, progressent, mais pas vers les objectifs de développement durable.
Il importe de se concentrer sur la situation des pays les plus vulnérables en matière de développement et de climat. Les États-Unis et les pays du Golfe conjuguent un fort développement et de fortes émissions. L'Union européenne et l'Amérique latine sont les plus proches des ODD mais l'avenir du monde se joue en Asie, notamment autour de l'Inde, de la Chine et de l'Indonésie. Selon que ces pays suivront leur trajectoire de développement pour se rapprocher de la position États-Unis ou qu'ils réussiront à infléchir cette même trajectoire pour réconcilier développement et climat, l'impact ne sera pas identique ; ni pour eux-mêmes, ni pour les autres pays, dont la France.
La deuxième dimension du sommet a porté sur de nouveaux moyens financiers à mobiliser. La situation de la dette des pays africains impacte directement l'AFD, puisque nombre d'entre eux sont interdits au financement par des prêts, pour éviter qu'ils ne retombent dans des situations de détresse financière. Une des bonnes nouvelles du sommet a porté sur l'accord de la Chine, du Club de Paris et de tous les créanciers de la Zambie, qui était en défaut depuis trois ans, pour restructurer la dette de ce pays. De nouvelles discussions ont porté sur la taxation internationale sur les transactions financières, sur celle sur le secteur aérien et surtout sur celle concernant le secteur maritime. À cet égard, une réunion importante de l'Organisation maritime internationale aura lieu la semaine prochaine à Londres.
Les 100 milliards de Copenhague et les 100 milliards de droits de tirages spéciaux (DTS) ont probablement été atteints. Pendant le sommet, des indications positives ont été apportées sur ce point, ce qui permet d'ouvrir la discussion sur le reste des ressources financières qui pourraient être mobilisées, comme le crédit carbone, de nouvelles émissions de DTS, la France s'étant engagée jusqu'à 40 % en la matière ; nous pensons également à des augmentations du capital ou des moyens budgétaires confiées aux banques de développement.
La troisième dimension de ce nouveau consensus concerne une nouvelle architecture de mise en œuvre, au-delà des moyens et du mandat. Le sommet a permis de travailler sur le rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), non seulement dans leurs avantages comparatifs respectifs mais aussi dans leur capacité d'entraînement d'un système financier plus vaste. Nous avons ainsi conduit une réunion autour du mouvement « Finance en commun », qui rassemble toutes les caisses de dépôt et les banques de développement du monde, soit 550 institutions.
L'objectif consiste ici à faire en sorte que les moyens dédiés au niveau international aient un effet et qu'ils puissent se diffuser jusqu'au niveau le plus fin, dans les pays du Sud, qui ont des institutions de financement public. Le but est de mobiliser l'ensemble de leur environnement, y compris le secteur privé. À l'occasion de ce sommet, l'AFD a cherché à apporter des preuves et à engager des initiatives. Avec le fonds souverain d'Abu Dhabi, j'ai dirigé un travail sur la manière de financer les infrastructures de manière plus ambitieuse et de mobiliser la finance privée. Nous avons d'ailleurs rédigé un rapport, qui est à votre disposition.
Un autre engagement important pris lors du sommet concerne la Just energy transition (JET), c'est-à-dire le contrat passé avec le gouvernement du Sénégal pour porter le mix énergétique jusqu'à 40 % d'énergies renouvelables contre un engagement de 2,5 milliards d'investissements dans la transition énergétique juste, qui comporte un volet social. Nous avons également progressé sur les questions d'entreprenariat, qui avaient fait l'objet d'engagement en mai 2021 en Afrique. Au sein de l'Alliance pour l'entrepreneuriat, nous avons logé la deuxième phase de l'initiative Choose Africa, au sein de laquelle nous avons ajouté une coopération nouvelle avec la banque publique d'investissement – BPI France –, pour appuyer des banques de l'entreprenariat et des instruments financiers publics, dans quatre pays africains dans un premier temps.
Dans le cadre de Finance en commun, une réunion a ressemblé cinq chefs d'État pour achever de structurer cette coalition. La Banque mondiale et les banques multilatérales qui étaient restées en marge de ce travail se sont engagées à entrer dans ce groupe, qui rassemble maintenant toutes les institutions financières publiques.
Nous avons également formulé des propositions pour faire de Paris un laboratoire pour les solutions de développement durable, notamment le lancement du dialogue de Paris entre les acteurs du financement du développement et de l'éducation et la recherche. Une tribune a été signée par les responsables d'organisations internationales dont le siège est à Paris pour expliquer le rôle que Paris pourrait jouer en matière de développement durable entre les institutions internationales et les institutions françaises.
Vous avez auditionné Esther Duflo, qui vous a fait part de la tenue du vingtième anniversaire du laboratoire d'action contre la pauvreté – The Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab ou J-PAL – au collège de France, en parallèle du sommet. Nous y avons contribué puisqu'à votre demande, l'AFD héberge le Fonds d'innovation pour le développement, qui rencontre un très grand succès, avec plus de 2 000 projets déposés.
Enfin, nous avons bien progressé en matière de mobilisation. J'ai bien conscience que les ressources budgétaires françaises que vous nous votez généreusement depuis 2016 ont une limite. Nous devons donc mobiliser d'autres ressources pour les compléter. Nous avons signé un accord avec la Fondation Gates, qui délègue pour la première fois des crédits à une agence bilatérale. De notre côté, c'est la première fois que nous recevons de l'argent d'un philanthrope et que nous le gérons en son nom. Nous travaillons également avec un consortium – Bezos, Rockefeller et la fondation Ikea – sur les sujets d'énergie.
Nous avons également réalisé le premier co-financement d'une banque nationale bilatérale avec le Fonds monétaire international, qui s'est engagé à mobiliser les droits de tirage spéciaux pour le climat dans une nouvelle facilité. Cependant, le FMI n'a pas peut-être pas les mêmes compétences que l'AFD ou que la Banque mondiale en matière climatique. Il s'est donc tourné vers nous pour opérer au Rwanda. Nous le ferons bientôt au Bangladesh et aussi dans d'autres pays, pour joindre nos forces et additionner nos financements. Nous avons enfin signé un accord avec la Banque islamique de développement et avons reconstitué pour 300 millions le fonds STOA pour les prochaines années, qui était l'un des fruits du rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations, afin de redonner à nos entreprises une capacité d'investissement en equity dans des grands projets en infrastructures à l'international.
Tel est le bilan que je dresse du sommet de Paris. Au printemps 2025, un nouveau sommet sera organisé pour faire le point sur l'ensemble de ces réflexions, à l'initiative du président de la République. L'année 2025 sera importante puisqu'elle marquera le dixième anniversaire de l'accord de Paris, qui aura lieu à Belém, après la présidence brésilienne du G20 en 2024. Le président a d'ailleurs rappelé cet agenda lors du sommet de la semaine dernière.
J'en viens maintenant à l'agence et au bilan de son activité. Le rôle que nous avons pu jouer dans un grand sommet international s'explique également par le rôle que vous avez voulu lui donner en l'accompagnant. L'année 2022 a marqué la première année du groupe AFD. Vous avez évoqué, monsieur le président, le campus de l'AFD à Marseille, qui est encore en discussion sur le plan social. L'idée consiste ainsi à additionner le budget de formation de l'AFD avec ce service que nous avons mis en place depuis cinquante ans et dont le rôle est de former, d'accompagner et de renforcer les capacités des maîtrises d'ouvrage avec lesquelles nous travaillons. Ce lieu vise à former l'ensemble de nos salariés, leurs clients et leurs partenaires. Nous conduisons également des discussions très avancées avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi qu'avec le ministère des finances, afin que ce lieu permette de transmettre l'expérience des métiers de développement auxquels nous contribuons tous.
Les effectifs de l'AFD s'organisent autour de 3 600 collaborateurs mais également 1 000 experts techniques déployés dans des projets et des programmes auprès de pays étrangers. Nous avons tenu les 12,3 milliards d'engagements et de signatures, soit un niveau historique de décaissements. Nos deux filiales connaissent également des montants records d'engagements.
Environ 45 % de notre activité s'effectue en Afrique, 22 % en Orient et 15 % en Amérique latine. Le département des trois océans tient son rang, avec 17 % de l'activité. Les grands marqueurs sont tenus, nous faisons autant de subventions que nous le pouvons, avec un stock de 12 milliards d'euros de financements en cours d'exécution, qui alimentent une partie des 4 200 projets qui sont mis en œuvre.
Le climat reste l'un de nos grands marqueurs et nous avons tenu l'engagement de la France de 6 milliards d'euros de finance climat. Nous avons également pris l'engagement d'atteindre 1 milliard par an en matière de finance biodiversité au sein du groupe. Nous étions à 736 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 25 % par rapport à 2021.
L'égalité femmes-hommes est également au cœur de nos préoccupations, puisque 62 % de nos projets contribuent à cette dimension. Les droits humains et la gouvernance constituaient également un axe important de la loi du 4 août 2021. Nous montons en puissance et intégrons ces dimensions dans l'ensemble du portefeuille.
En termes d'impacts concrets, nous touchons 64 millions de personnes pour un meilleur accès aux soins. Par ailleurs, 40 millions d'hectares ont été conservés ou restaurés et 14 millions de filles ont été scolarisées en 2022. Nous opérons de la sorte en maintenant des équilibres financiers maîtrisés. Notre résultat a été de près de 500 millions d'euros l'année dernière, en partie grâce à des éléments exceptionnels ; le résultat économique s'établissant plutôt à 300 millions d'euros. Environ 10 milliards de fonds propres sont investis par la France, que nous démultiplions pour atteindre à notre bilan plus de 60 milliards.
Je m'étais également engagé sur les ODD, y compris dans notre mode de financement. Nous atteignons près de 10 milliards d'émissions obligataires sur les marchés, ce qui fait de nous un émetteur important. Nous avons atteint près de 50 % de nos émissions obligataires durables, que nous nous proposons à nos investisseurs.
Je souhaite terminer mon intervention en évoquant la capacité de mobilisation de l'agence. Nous suivons évidemment avec beaucoup d'attention les évolutions géostratégiques. Je tiens à insister tout particulièrement sur la francophonie car nous nous préparons au sommet de Villers-Cotterêts. Nous avons également signé un partenariat de trois ans avec l'Assemblée parlementaire de la francophonie, qui s'incarne pour le moment au travers de l'organisation de séminaires parlementaires thématiques.
Nous opérons également en Indopacifique. J'étais récemment avec le chef d'état-major des armées pour en parler en Afrique mais nous avons également ouvert la discussion sur la manière dont la France peut intervenir en « 3D » dans cette zone, qui correspond environ à un tiers de notre activité chaque année.
Dans l'espace de la communauté politique européenne, nous travaillons en Moldavie, en Géorgie et dans les Balkans. Nous avons également effectué des opérations en urgence en Ukraine, pour éviter l'effondrement. Je reviens également d'Ouzbékistan, où nous avons développé une belle relation.
La France est évidemment au cœur de nos stratégies : nous travaillons avec cinquante-trois collectivités territoriales et nous cherchons plus de projets, puisque nos moyens de financement en matière de coopération décentralisée ne sont pas totalement mobilisés. Nos règles de fonctionnement sont d'ailleurs assez souples, en prenant aussi les engagements en nature des collectivités, les compétences des services techniques et des élus, dans les liens uniques qu'ils sont capables de tisser avec leurs homologues dans les autres pays.
Nous opérons en outre avec les organisations de la société civile, puisque 275 organisations non-gouvernementales (ONG) ont été financées l'année dernière. Nous avons ouvert les outils de financement aux ONG du Sud et nous menons un travail pour embarquer l'économie sociale et solidaire un peu plus à l'international, compte tenu de l'expérience unique que la France a accumulé dans ce domaine. Nous travaillons aussi en équipe d'Europe de manière la plus systématique possible. Nous sommes ainsi la première agence à mobiliser les fonds européens.
Enfin, les retombées économiques sont concrètes pour les entreprises françaises, pour un montant annuel d'environ 2 milliards d'euros. En 2022, 71,4 % des projets vivants du portefeuille de l'AFD ont impliqué au moins un acteur économique français. Le taux de participation des entreprises françaises sur les marchés internationaux financés par l'AFD est de 63 %. Près de 80 % des marchés financés ont été remportés par des entreprises françaises, européenne ou locales. Le conseil présidentiel pour le développement nous a incité à agir encore plus sur les filières stratégiques pour notre pays. Nous en avons identifié sept, dans lesquelles nous allons inciter nos collègues à participer pour identifier encore mieux notre compétence, notamment technologique.
Le sondage annuel que nous menons sur les Français et la politique de développement avec l'institut Ipsos fait état d'une certaine modification cette année. Nous avons enregistré 12 points supplémentaires en termes d'intérêt des Français sur les questions de développement et 8 points de plus d'appréciations positives pour la politique de développement. J'observe malgré tout, en totale lucidité, que 60 % des Français considèrent néanmoins que cette politique est inefficace. Un Français sur deux déclare connaître l'AFD et sur ces 50 %, neuf sur dix déclarent en avoir une bonne image. Il faut travailler pour élargir cette base de soutien. J'y vois l'effet de la loi et de l'action conduite depuis 2017 dans ce domaine. Votre commission y a joué un très grand rôle, au même titre que la performance de l'agence, qui finit par être un peu mieux perçue.