Intervention de François Braun

Réunion du mardi 2 août 2022 à 21h00
Commission des affaires sociales

François Braun, ministre :

Madame la rapporteure générale, le problème de la fluidification des sorties et de l'aval des services des urgences n'est pas neuf. Votre prédécesseur, Thomas Mesnier, l'a bien identifié dans le cadre de ses travaux sur le pacte de refondation des urgences. Les syndicats de professionnels le soulèvent depuis plusieurs années. Il s'agit, avec l'amont, de l'un des deux problèmes majeurs des urgences qui sont, je l'ai dit, à l'interface des difficultés de la ville et de l'hôpital. En aval des urgences, l'un des points essentiels est effectivement le parcours des personnes âgées, dont la morbi-mortalité augmente s'ils passent plusieurs heures dans les services ou si ceux-ci sont saturés à leur arrivée. Les mesures que je propose, à l'unisson de celles préconisées dans le pacte de refondation des urgences préalable à la crise du covid-19, visent donc à favoriser leur accès direct aux urgences et à développer des systèmes préhospitaliers au sein desquels des équipes mobiles pourraient les prendre en charge. Nous maintenons cette logique, notamment en favorisant, dans le cadre de la régulation médicale, l'intégration de filières gériatriques spécialisées. J'étais la semaine dernière à Saint-Étienne où le SAMU, qui devient SAS, a affecté des gériatres à la régulation médicale. À Poitiers, le SAMU a intégré au SAS le dispositif d'appui à la coordination (DAC) pour soutenir ces filières difficiles. Tout cela permet d'orienter les personnes âgées sans passage inutile aux urgences.

L'autonomie est de la compétence de mon collègue Jean-Christophe Combe. Mais la prévention de la perte d'autonomie relève des consultations systématiques dont nous commençons à travailler la forme. Il s'agit d'anticiper la perte d'autonomie à 65 et à 75 ans pour préparer les parcours de santé des patients. Par ailleurs, le précédent gouvernement a ouvert la possibilité, pour les services d'HAD, de constituer des dossiers en amont concernant les résidents des EHPAD, ce qui permet de les admettre immédiatement en HAD en cas de problème aigu, les délais de la HAD n'étant pas compatibles avec ceux des urgences. Cet outil d'anticipation fonctionne bien.

Monsieur Sertin, s'agissant des partenariats public-privé, la boîte à outils vise un objectif clair : la pénibilité, qu'il s'agisse du travail de nuit ou de fin de semaine, ne peut et ne doit plus reposer entièrement sur le secteur public. Les structures privées doivent apporter leur pierre à l'édifice, comme le prévoient les mesures préconisées pour cet été. Si elles décident, souvent de façon unilatérale, de fermer la nuit faute de personnel, il faut que leurs moyens renforcent le service d'urgences public à proximité. Je le répète, nous n'en sortirons pas sans travail collaboratif en lieu et place d'une approche concurrentielle. Tel est l'état d'esprit qui doit permettre de passer d'un système fondé sur l'offre à un système de réponse aux besoins. Telle sera la base des travaux de la conférence des parties prenantes.

S'agissant de la pénibilité du travail à l'hôpital, notamment de nuit, c'est la première fois qu'un texte la reconnaît. Cela ouvre la voie à la prise en compte de la pénibilité dans le cadre de la conférence des parties prenantes.

Monsieur Catteau, les fermetures de lits ne sont pas sans raison. Quoi qu'il en soit, voir le système de santé et d'hospitalisation uniquement au prisme de la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), c'est se tromper sur son fonctionnement. Notre système de santé fonctionne de plus en plus grâce au fameux virage ambulatoire et à des hospitalisations plus courtes. Les hospitalisations de jour sont très utilisées en chirurgie et dans le traitement des pathologies cancéreuses, et le nombre de lits dédiés a augmenté.

Quant au virage domiciliaire, qui est une volonté de nos concitoyens, le nombre de places en HAD a augmenté de 10 %, et l'activité de 15 %. Si les services d'urgences manquent de lits d'aval, c'est parce qu'ils manquent de personnel, car des gens ont quitté l'hôpital après la crise du covid-19 pour de multiples raisons, et parce que l'équilibre entre les activités programmées et non programmées est mauvais. Nous devrons nous pencher sur ce point qui revient souvent dans nos discussions.

S'agissant de la bicéphalie à la tête de l'hôpital, réunissant un médecin – pourquoi pas un soignant en général, d'ailleurs ? – et un administratif, le rapport du professeur Olivier Claris propose plusieurs solutions. Nous les appliquons et nous les évaluerons. Je procéderai ainsi pour chaque mesure : l'appliquer, l'évaluer et la pérenniser si elle est efficace.

La suppression des ARS ne me semble pas une bonne idée. Elle n'a pas vocation à être débattue ici. Dans la rénovation du système de santé qu'inaugurera la conférence des parties prenantes, l'État doit prendre sa place aux côtés des élus, des soignés et des soignants. Or, les ARS sont la représentation de l'État à l'échelle des territoires, et il faut en revenir à une organisation territoriale car c'est à ce niveau que l'on trouve les solutions et que l'on réunit les professionnels pour avancer.

Madame Fiat, vous évoquez la grève des urgences de juillet 2019 : que de souvenirs pour moi ! J'étais justement à sa tête. Rassurez-vous, je connais les problèmes des services d'urgences. C'est dès 2013 que j'ai lancé le No bed challenge pour donner l'alerte. Je garde mon expérience du terrain et je reste médecin urgentiste dans l'âme et dans le cœur, même si j'exerce en ce moment une fonction de ministre qui durera le temps qu'elle durera.

Peu de services d'urgences sont totalement fermés. Certains ont organisé la régulation de l'aval. Une vingtaine, dont certains étaient privés, ont réellement fermé, dans des territoires où se trouve un autre service à proximité, qui a dû supporter le report de charge. La nuit, les patients sont accueillis par un professionnel de santé et réorientés. Telles sont les informations dont je dispose. Si vous en avez d'autres concernant des endroits précis, je serai ravi d'en prendre connaissance.

Certes, les services d'urgences souffrent, mais ils ne sont pas les seuls. Voir la crise du système de santé exclusivement à travers le prisme des urgences ne permet pas d'en saisir l'ensemble, et consiste à traiter un symptôme plutôt que la maladie.

Il est faux de dire que nous incitons les patients à ne pas se rendre aux urgences. Nous n'avons jamais rien dit de tel. Les patients seront toujours pris en charge, comme l'indique clairement mon rapport. J'y indique également que le meilleur parcours de soins, si on a mal au genou depuis trois semaines, si on a un bouton ou si on a mal à la gorge, n'est pas d'aller aux urgences en pleine nuit car on y attend et on n'y est pas forcément bien pris en charge – c'est un urgentiste qui vous le dit. Les pathologies relevant de la médecine générale sont mieux traitées par un médecin généraliste. Il s'agit de construire les meilleurs parcours de soin pour les patients. Le métier d'urgentiste a pour base le triptyque « qualifier, agir, orienter » : qualifier, c'est définir des soins dans le cadre de la régulation médicale à partir d'une demande ; agir, c'est préserver la vie et les fonctions vitales du patient ; orienter, c'est diriger le patient vers le meilleur parcours de soin.

Monsieur Juvin, cher confrère, je vous remercie d'avoir évoqué le No bed challenge qui a permis une prise de conscience et qu'il faut certainement réactiver compte tenu des difficultés de l'aval des urgences.

Le bed management n'a rien de libéral, madame Fiat. Il s'agit d'améliorer la gestion de la disponibilité des lits à l'hôpital afin de mettre un patient dans chaque lit et d'assurer la sortie des patients qui n'ont plus besoin de s'y trouver. Cette organisation fonctionne et les hôpitaux qui l'ont adoptée en sont satisfaits, même si elle oblige mes confrères, je le dis sans ambages, à modifier leurs habitudes, ce qui n'est pas toujours simple.

S'agissant du nombre de médecins, il ne vous aura pas échappé que le Gouvernement a enfin supprimé le numerus clausus. Malheureusement, la gestion était inchangée depuis plusieurs décennies. Or, il faut environ quinze ans pour former un médecin. Les effets de cette réforme ne seront donc pas immédiats.

Dans le cadre des mesures d'été, j'ai proposé, ce dont personne ici n'a parlé, une disposition spécifique pour les praticiens diplômés hors de l'Union européenne, pour que ces collègues qui travaillent déjà à nos côtés, et qui sont très bons pour la plupart, aient la possibilité de continuer à le faire.

J'ignore si 30 % des IDE partent dans les cinq années qui suivent l'obtention de leur diplôme. Je sais, en revanche, que 20 % d'entre elles abandonnent leurs études, ce qui me préoccupe beaucoup. Si nous parvenions à régler ce problème, le nombre d'infirmières entrant sur le marché du travail augmenterait d'autant. Pourquoi renoncent-elles dans cette proportion ? D'après les élèves infirmières que j'ai rencontrées, deux raisons principales l'expliquent. La première est la paupérisation, en raison notamment de difficultés de versement des bourses imputables aux régions, mais aussi du fait de la faible indemnisation des stages, des trajets et de l'absence de logements – difficultés également ressenties par tous les professionnels médicaux, les internes et les externes. Je compte m'atteler à leur résorption. Par ailleurs, les études ne correspondent plus à ce que les infirmières découvrent à l'hôpital. Elles évoquent une maltraitance, en fait une inadéquation entre le contenu des études et la réalité du terrain. Ma collègue Sylvie Retailleau et moi entreprendrons un travail sur l'« universitarisation » – mot souvent employé au sujet des professions de santé – et la rénovation des formations médicales, notamment celle des infirmières. La qualité de vie est importante, elle aussi. Lorsque des soignants ne vont pas bien au travail, ils ne vont guère mieux chez eux, ce qui explique leur départ. Nous devons redonner du sens à ces métiers. Cela commence par la reconnaissance de leur pénibilité ; celle du travail de nuit est une première étape mais nous irons plus loin. La conférence des parties prenantes nous y aidera.

Le plan variole existe toujours et il reste opérationnel. La France dispose d'un nombre suffisant de doses pour vacciner l'ensemble de la population en deux semaines à condition, cependant, de cesser toutes les autres activités pendant ce temps. En cas d'attaque biologique, le pays s'arrêterait ainsi de fonctionner, en quelque sorte, pour protéger nos concitoyens contre la variole – infiniment plus dangereuse que la variole du singe.

Monsieur Isaac-Sibille, le recours inapproprié aux services d'urgence est la principale cause des difficultés car c'est proportionnellement la plus importante. Pas moins de 30 à 40 % des patients des urgences pourraient être pris en charge autrement – les trois quarts par la médecine de ville, le dernier quart directement par les services hospitaliers. Bien sûr, ce n'est qu'une partie du problème. Mais si nous retirons ces 40 % du total des personnes qui fréquentent les urgences, les urgentistes et les patients ne s'en porteront que mieux.

Les patients se dirigent vers les services d'urgences parce que les horaires d'ouverture sont plus larges et que les examens complémentaires y sont effectués plus facilement. Mais ils y attendent des heures pour une prise en charge, je l'ai dit, parfois moins bonne que celle d'un médecin généraliste. Vous avez proposé, avec Jean-Yves Grall, un modèle séduisant de structure intermédiaire malheureusement été détourné de ses objectifs – peut-être du fait de la crise sanitaire. Les centres de soins non programmés et les centres médicaux de soins immédiats sont, dans la plupart des cas, des structures privées ouvertes uniquement la journée, voire la semaine. Elles ne déchargent pas les services d'urgences la nuit ou en fin de semaine. Surtout, mes collègues généralistes sont partagés quant à leur utilité : si beaucoup de nos concitoyens atteints de pathologies chroniques préfèrent se rendre dans ces structures pour qu'un médecin soulage immédiatement une crise aiguë, cela ne traitera malheureusement pas la pathologie. Ainsi, cette solution répond à un besoin immédiat qui n'est pas couvert actuellement, mais elle ne règle pas le problème et elle devra, quoi qu'il en soit, être évaluée.

En revanche, des médecins généralistes libéraux se sont organisés pour ouvrir en journée la maison médicale de garde de leur secteur et prendre en charge les patients qui leur sont adressés par la régulation médicale ou les services d'urgences. Ces dispositifs fonctionnent bien, comme en témoignent les exemples de Valenciennes ou de Chenôve, près de Dijon. Ce sont ces expériences de terrain qui m'intéressent. Je veux comprendre pourquoi elles fonctionnent à Valenciennes mais pas à Rennes, Nantes ou Carcassonne. C'est dans cet esprit que je conduirai les travaux de la conférence des parties prenantes.

Monsieur Delaporte, vous avez qualifié mon rapport de technique et désincarné. Je n'accepte pas ce dernier mot. Je veux bien admettre qu'il soit technique, mais juger désincarnée ma manière de prendre en charge les patients, que je soignais encore il y a à peine un mois, c'est au mieux méconnaître profondément mon parcours, au pire être particulièrement déplaisant quant à ma façon d'exercer ma profession.

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