La question de la discrimination, notamment dans le processus d'embauche, n'est pas absente du rapport. Vous trouverez des éléments à la page 28, issus notamment d'un baromètre qui avait été initié par la Défenseure des droits et l'Organisation internationale du travail (OIT).
Au sujet des emplois francs, que j'ai mentionnés rapidement, l'encadré qui figure aux pages 28 et 29 de notre communication fait état de l'évaluation menée dans la phase expérimentale, notamment du testing. Le dispositif, au moins dans cette phase-là, n'avait pas conduit à des changements dans la discrimination à l'emploi selon l'origine et le lieu de résidence. Il y a donc encore des marges de progression.
Quant à la sortie du système éducatif, il avait été convenu avec Mme Verdier-Jouclas de ne prendre que les jeunes sortis du système éducatif, comme nous n'avions pas les moyens de traiter la totalité du public, ce qui explique que nous n'abordions que très légèrement cette question. En outre, techniquement, il aurait fallu constituer une formation interchambres entre la troisième et la cinquième chambre. Comme ce n'était pas possible au moment où la commande a été passée, nous sommes restés sur le périmètre du ministère du travail, en association avec le ministère de la ville et l'Agence nationale de la cohésion du territoire (ANCT) sur les dispositifs d'accès à l'emploi. L'efficacité de ces derniers est aussi, évidemment, tributaire des caractéristiques des bénéficiaires qui sont accompagnés. Or, pour toute une partie des jeunes, les savoirs de base ne sont pas acquis, ce qui nécessite vraiment des actions intensives à l'entrée dans les dispositifs.
Monsieur le rapporteur général, non, les montants dépensés par les collectivités territoriales ne sont pas dans le chiffrage que nous avons présenté dans le rapport puisque nous avons considéré les dépenses du ministère du travail au périmètre de la mission Travail et emploi. Nous ne sommes pas sortis de ce périmètre, sauf évidemment quand nous évoquons le plan « 1 jeune, 1 solution » : des crédits du plan de relance, sur l'année 2021, sont évidemment concernés. Les actions qui relèvent de l'insertion dans l'emploi sur le programme 147 Politique de la ville sont de bien moindre ampleur, et nous n'avons pas eu la possibilité de consolider les dépenses des collectivités territoriales. Certaines de leurs actions passent en outre par des moyens donnés aux missions locales : si l'État est évidemment un financeur important, il n'est pas le seul. Beaucoup de collectivités, tous niveaux confondus, contribuent au financement des missions locales, mais aussi à celui des associations, et des dispositifs peuvent être gérés directement par les collectivités. Nous n'avons pas eu les moyens de consolider ces données, et il est ainsi difficile de territorialiser la dépense.
Une démarche d'évaluation des contrats de ville est prévue en 2022. Il sera intéressant de vérifier si, localement, les acteurs réussissent à faire masse des financements mobilisés à la fois par l'État et par les collectivités territoriales et d'apprécier si ces moyens ont permis de répondre aux besoins ou non. Cependant, au moment où nous avons mené notre enquête, l'évaluation n'avait pas été engagée et nous n'avons donc pas eu la possibilité d'exploiter cette matière. Je pense qu'il y a des limites à cet exercice, parce que les systèmes de donnée ne sont pas aujourd'hui conçus de manière à territorialiser la dépense.
Depuis plusieurs enquêtes, la Cour s'interroge sur la capacité des DREETS et des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) à accomplir leurs missions, au moins au cours de la période transitoire qui a immédiatement suivi leur création au 1er avril 2021. La cinquième chambre a engagé des travaux sur les ressources humaines du ministère du travail et travaillera prochainement sur la création des DREETS et des DDETS, pour regarder de plus près si les conditions actuelles permettent aujourd'hui aux services déconcentrés des filières de la cohésion sociale et du travail d'assumer leurs missions.
Le rapport ne porte pas de jugement sur le CEJ, dispositif qui a été mis en place à compter du mois de mars 2022. La Cour ne mène pas d'évaluation a priori des dispositifs. On a trop souvent vu un écart entre, d'une part, le cahier des charges d'un dispositif et l'instruction ministérielle relative à celui-ci et, d'autre part, le déploiement sur le terrain. Malgré toute leur bonne volonté, les opérateurs sont soumis à de fortes tensions et ne sont pas toujours capables de s'insérer parfaitement dans ce qui a été conçu au niveau national.
De plus, le CEJ est extrêmement dépendant des partenariats qui sont noués, notamment au sujet des quinze heures d'activité hebdomadaire. Je ne m'aventurerai donc pas à poser un diagnostic sur le CEJ, même si la lecture de l'instruction montre que certaines choses ont été relevées, telles les questions de l'adaptation aux besoins et des parcours sans couture par exemple. Il faudrait toutefois aller sur le terrain pour vérifier ce qu'il en est du déploiement du dispositif. Par ailleurs, le CEJ s'adresse aux jeunes, mais il n'y a pas que des jeunes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. La problématique des parcours sans couture et de l'adaptation aux besoins concerne aussi les autres catégories de personne qui sont en recherche d'emploi.
M. le rapporteur spécial m'a interrogée sur la dématérialisation et la précarité numérique. Les rapports du défenseur des droits et de l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) contiennent des éléments intéressants et signalent des difficultés importantes. On peut parfois avoir l'illusion que le fait de disposer d'un smartphone réduit le problème, mais ce n'est pas le cas. Les conseillers de missions locales nous disent que ce n'est pas parce que les jeunes consultent sans arrêt les réseaux sociaux ou des sites internet qu'ils sont capables de s'en servir pour accéder à l'emploi, parce que le problème de maîtrise de la langue se pose évidemment. Et, d'ailleurs, on ne rédige pas son curriculum vitae avec son smartphone. C'est souvent ce problème de maîtrise de la langue, indépendamment même de l'accès au numérique, qui est un frein à l'utilisation des outils numériques. Dans sa réponse aux observations provisoires, Pôle emploi a mentionné son investissement dans les maisons France service : il existe donc des actions. Je me souviens de structures rencontrées à l'occasion d'enquêtes précédentes sur l'insertion par l'activité économique qui organisaient des formations sur les usages numériques, car elles considéraient qu'il s'agissait de compétences de base pour passer la barrière des entretiens d'embauche, au même titre que la maîtrise du français et des codes sociaux.
Il y a donc vraiment une prise de conscience, symbolisée également par la création du CléA numérique, certification de la maîtrise d'une compétence numérique de base que devrait posséder toute personne en recherche d'emploi. Là non plus, nous ne sommes pas au bout du chemin, mais la difficulté a été identifiée. Les dispositifs sont tellement différents et nombreux que, dans certains territoires, on constatera une préoccupation forte et des moyens, tandis que ce pourra être ailleurs plus compliqué.
La difficulté à avoir des solutions à portée de main est un aspect que nous avons souvent constaté dans nos enquêtes. Souvent, les solutions existent, mais elles ne sont pas suffisamment près des personnes pour que ces dernières puissent y accéder. La localisation, notamment celle des formations, est une question importante. Les structures d'insertion par l'activité économique nous ont souvent dit ceci : « Si nous accueillons des gens qui ne sont pas mobiles, même s'il existe parfois des transports en commun, ils ont des difficultés à les prendre, et si la formation a lieu à trente kilomètres, nous ne sommes pas sûrs qu'ils les suivront. » Le sur-mesure peut parfois aller jusqu'à l'organisation des formations réellement à proximité des lieux d'accompagnement.
Vous avez également évoqué la question de la pérennité des dispositifs, de leur instabilité et des problèmes de financement. On constate une tendance à la multiplication des appels à projet : le plan d'investissement a amplifié une tendance qui existait déjà, à travers par exemple les appels à projets dotés de fonds européens, notamment le fonds social européen (FSE). La difficulté repose sur l'investissement demandé aux structures, qui se demandent chaque fois ce qui se passera à la fin de l'expérimentation. On nous dit souvent : « On a besoin de recruter, si on recrute en CDD ce n'est pas forcément la même qualité d'accompagnement qu'un recrutement en CDI, mais, on ne peut pas s'engager sur un recrutement pérenne si les financements s'arrêtent au bout de dix-huit mois. » Cette difficulté est bien connue des missions locales, nous l'avons vu, devant la part croissante des financements par appels à projet. Je me souviens d'un contrôle de la mission locale de Paris, au cours duquel il nous avait été dit : « Nous allons changer de stratégie, arrêter d'aller chercher l'argent partout où il est proposé, parce que les coûts de coordination sont trop importants, on se disperse beaucoup, et finalement le gain de l'appel à projets finit par être limité ». Il existe une tentation de beaucoup expérimenter : expérimenter est nécessaire, mais il faut aussi passer ensuite à la phase d'évaluation et d'identification des dispositifs qu'on pérennise, ou pas, et pour les dispositifs qu'on pérennise, il faut aussi s'interroger sur la forme à retenir. Les difficultés de l'évaluation de l'expérimentation reposent aussi sur le fait qu'on n'expérimente souvent qu'une seule forme de dispositif, alors qu'on pourrait expérimenter en plusieurs endroits et selon plusieurs configurations un même dispositif, pour retenir au final celle qui est la plus efficace.
Le sujet des prépas apprentissage est l'objet de développements du rapport sur les formations en alternance, dont la montée en puissance a été progressive. Il existait auparavant des dispositifs d'initiation aux métiers en alternance, les fameux DIMA, qui ont été supprimés en 2018. Les prépas apprentissage ont été mises en place dans le cadre d'appels à projets du PIC en 2019, avec 5 967 entrées en 2019 et 15 074 en 2020. Certains freins ont été levés, avec la possibilité d'offrir une rémunération au bénéficiaire du dispositif et celle pour les gestionnaires des prépas apprentissage de prescrire des périodes de mise en situation professionnelle, sans passer par le service public de l'emploi. L'objectif de 30 000 entrées n'a cependant pas été atteint en 2021, avec 19 000 entrées seulement. De plus, un tiers seulement des entrants choisit par la suite une filière d'apprentissage. Tout cela manque à nos yeux d'efficacité, et le dispositif n'est pas beaucoup plus performant pour le moment que celui des DIMA.
Toutefois, la marche pour accéder directement aux contrats d'apprentissage étant trop haute, un tel dispositif nous semble utile, à la fois parce que les personnes ne sont peut-être pas à l'aise dans leur orientation et leur choix de métier, et parce qu'ils ne se rendent pas compte de ce que sont les « gestes métiers » ; il y a donc peut-être quelque chose d'intermédiaire à construire.
En l'état, il semble toutefois que le dispositif ne répond pas complètement aux attentes. De plus, il ne faudrait pas qu'en faisant évoluer le dispositif, notamment en l'ouvrant à davantage de bénéficiaires, on perde la concentration des moyens sur les jeunes en difficulté. Il est vraiment prévu pour ceux qui n'ont pas les prérequis en termes scolaires ou qui ne peuvent pas encore franchir la barrière de l'entretien d'embauche.