Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à excuser Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre qui n'a pu se joindre à nous ce matin et m'a demandé de la représenter pour vous présenter cette enquête réalisée par trois rapporteurs dont deux m'accompagnent ce matin : MM. Alexis Engel et Aymen Ben Miled, conseillers référendaires en service extraordinaire à la cinquième chambre de la Cour des comptes.
Le délai d'instruction de cette enquête, qui nous a été confiée par votre commission au mois de juin 2021, fut un peu plus long qu'habituellement, les conditions sanitaires n'étant pas forcément les plus propices. Ainsi, une partie de l'instruction a dû se dérouler à distance, en visioconférence.
Nous avons rencontré deux fois Mme la députée Marie-Christine Verdier-Jouclas, qui était à l'origine de cette demande : au mois de juillet 2021 pour arrêter, comme il est de coutume, le périmètre et les principaux axes d'investigation de cette enquête ; au mois de mars dernier, pour un point d'étape, comme il est également de coutume, l'instruction s'étant déroulée entre les mois de septembre 2021 et février 2022.
Le choix de faire porter nos travaux sur les années 2015 à 2021 permettait d'inclure dans notre étude à la fois la nouvelle dynamique amorcée par la loi Lamy et toute une série de dispositifs mis en place ces dernières années, du plan d'investissement dans les compétences (PIC) au tout récent plan « un jeune, une solution », dans le cadre du plan de relance, ainsi que toute une série d'évolutions intervenues au sein du service public de l'emploi – c'est un domaine où elles sont rapides et fréquentes.
L'instruction a été complexe : les quartiers prioritaires de la politique de la ville ont la particularité de combiner des difficultés multiples. Il faut tenir compte de ces facteurs multidimensionnels, et de toute une série d'acteurs qui appartiennent aux services de l'État et au service public de l'emploi, sans oublier les collectivités territoriales, les associations, les entreprises. Ce sont donc là des écosystèmes complexes qui ne sont pas identiques d'un territoire à l'autre ; aussi sommes-nous allés vérifier dans plusieurs territoires si ce qui fonctionnait quelque part fonctionnait également ailleurs et si les dysfonctionnements constatés étaient spécifiques à certains territoires ou se retrouvaient d'un territoire à l'autre. Nous avons choisi des quartiers et des collectivités qui présentaient des caractéristiques différentes, certains situés dans des bassins d'emploi dynamiques, d'autres au contraire enclavés dans des zones au dynamisme tout à fait embryonnaire.
Par ailleurs, nous avons innové en recourant à des méthodes peu habituelles dans les enquêtes « classiques » de la Cour, plus fréquentes dans les évaluations de politique publique auxquelles la Cour se livre de plus en plus souvent. La première a consisté à constituer, avec l'aide de notre Centre d'appui métier et à partir de données fournies par Pôle emploi et par les missions locales, des cohortes de bénéficiaires que nous avons pu suivre sur plusieurs années pour tenter d'analyser un peu plus précisément l'efficacité des dispositifs – intéressante, la méthode est toutefois très coûteuse en temps et nous ne pourrons pas renouveler l'expérience à chaque enquête. Nous avons ainsi eu la possibilité de comparer la situation d'habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville et celles d'habitants d'autres quartiers. Nous avons également comparé la situation de bénéficiaires de dispositifs avec celle de personnes qui n'avaient pas bénéficié de ces dispositifs.
En complément, comme nous savions que nous aurions du mal à nous déplacer dans les quartiers et à rencontrer les habitants eux-mêmes, compte tenu de la circulation du virus, nous avons commandé un sondage à l'institut BVA pour recueillir un peu plus directement que par l'intermédiaire des conseils des citoyens ou des associations qui représentent les habitants la vision qu'ont les habitants des dispositifs dont ils ont pu bénéficier ; la synthèse figure à l'annexe 9 du rapport. Il ressort de ce sondage qu'une part importante de ceux qui sont en activité, mais parfois dans des emplois précaires, ou en inactivité, s'ils veulent effectivement améliorer leur situation, n'en éprouvent pas moins une certaine défiance vis-à-vis des institutions et que leurs avis quant à l'efficacité des dispositifs sont très partagés. En somme, ils veulent bien s'engager… à condition d'être sûrs que cela servira à quelque chose, ce dont ils doutent manifestement. Par ailleurs, de nombreux dispositifs sont méconnus et la question de la lisibilité se pose avec une acuité particulière dans les QPV.
Ceux-ci, fruits de la loi Lamy de 2014, sont définis par application d'un unique critère tenant à la faiblesse des revenus des habitants. C'est donc la concentration de la pauvreté qui a dessiné cette géographie prioritaire, constituée de 2 514 quartiers sur l'ensemble du territoire national, qui comptent 5,4 millions d'habitants au total, soit 8 % de la population de notre pays au 1er janvier 2018 – ce sont là les derniers chiffres publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ce critère de bas revenus est important puisque vivent dans les quartiers prioritaires 25 % des personnes qui sont sous le seuil de pauvreté, lequel est fixé à 60 % du revenu médian, et que le taux de pauvreté y est trois fois plus élevé que sur l'ensemble du territoire métropolitain. Par ailleurs, la part des revenus qui sont issus de l'activité rémunérée y est plus faible que dans les autres quartiers.
Des fragilités repérées de longue date dans ces quartiers pèsent sur la capacité de leurs habitants à s'insérer durablement sur le marché du travail. Ainsi, les jeunes y sont plus nombreux, sortent en moyenne plus tôt du système éducatif et plus fréquemment en situation d'échec scolaire ou de décrochage. Si un nombre plus important de demandeurs d'emploi de longue durée se rencontre dans les QPV, cela peut ainsi s'inscrire dans le prolongement de difficultés plus anciennes liées à l'orientation scolaire, voire à un décrochage scolaire – près de 30 % des habitants des QPV âgés de 16 à 25 ans ne sont pas scolarisés.
S'ajoute, pour une partie de la population – plus nombreuse qu'ailleurs –, d'origine immigrée ou étrangère, le problème de la maîtrise de la langue.
Les freins périphériques sont donc à la fois plus nombreux, plus complexes et plus imbriqués. Ils nécessitent une approche plus globale que dans les autres quartiers.
Globalement, les habitants des QPV participent moins au marché du travail que ceux des autres quartiers et ils occupent des emplois de moins bonne qualité.
Trois notions sont habituellement utilisées pour en témoigner.
D'abord, le taux d'activité, qui comprend les personnes ayant un emploi et les demandeurs d'emploi – à ne pas confondre avec les inactifs –, y est inférieur. Le problème est que l'écart a plutôt eu tendance à augmenter entre 2014 et 2019, soit au cours de la première période des contrats de ville. Nous nous sommes souvent arrêtés aux données de cette dernière année, à la fois parce que certaines publications de l'INSEE connaissent un retard et parce que la crise sanitaire de 2020 a pu entraîner des perturbations qu'il est difficile d'interpréter et dont il est malaisé de déterminer si elles présentent un caractère transitoire ou non.
Ensuite, le taux de chômage est resté plutôt constant, mais 2,6 à 2,7 fois plus élevé dans les QPV par rapport aux quartiers environnants – l'INSEE utilise la notion d'unité urbaine englobante.
Enfin, le taux d'emploi, qui représente la participation effective au marché du travail, est inférieur de 21 points dans les QPV. Autrement dit, il ne faut pas seulement s'intéresser aux personnes qui cherchent un emploi sans en trouver, mais aussi à celles qui ne sont pas sur le marché du travail – j'évoquerai tout à l'heure les femmes au foyer. Les contrats de travail des habitants des QPV sont aussi, en moyenne, plus précaires.
Ce constat n'est pas nouveau et avait conduit, en 2014, à assigner des objectifs spécifiques à un troisième pilier des contrats de ville consacré au développement et à l'emploi, notamment celui de réduire de moitié l'écart dans les taux d'emploi. Évidemment, dans ce but, le service public de l'emploi – Pôle emploi et les missions locales – devait assurer une présence territoriale effective. Parmi les outils figurait la mobilisation d'au moins 20 % des contrats aidés et des aides à l'emploi pour les jeunes des QPV, ainsi qu'un soutien actif à l'entrepreneuriat.
En 2019, année où l'on a le plus de résultats, l'écart ne s'est pas réduit mais s'est légèrement creusé : la situation dans les QPV s'est améliorée avec la baisse du chômage, mais dans de moindres proportions que dans les autres quartiers, l'amélioration n'étant que de 1,5 point en QPV, alors qu'elle est de 1,8 point ailleurs. Notre rapport comprend un schéma qui montre que l'écart se déplace tout de même dans la bonne direction. Avant la crise, le taux de chômage atteignait 22,5 % dans les QPV, contre 8,4 % dans les quartiers voisins.
Un point positif ressort de la période récente : contrairement à la situation résultant de la crise de 2008-2009, la situation relative des habitants des QPV ne s'est pas dégradée entre la survenue de l'épidémie de covid-19 et la fin de 2021. Les effets n'ont pas été tout à fait les mêmes : en 2020, ils ont été moins touchés par l'augmentation du chômage ; en 2021, ils ont logiquement moins bénéficié de la reprise.
En revanche, en ce qui concerne le genre et le lieu de résidence, plus de 40 % des personnes âgées de 15 à 64 ans sont inactives dans les QPV – à nouveau, sans les chômeurs, considérés comme des actifs. Même si les jeunes y sortent plus tôt du système scolaire, l'écart ne s'explique pas par les études et il est plus important pour les femmes ; les habitantes des QPV participent beaucoup moins au marché du travail que les femmes des quartiers environnants. Pour agir sur le taux d'emploi, il faut donc bien sûr agir sur le taux de chômage, mais aussi améliorer la participation des habitants des QPV au marché du travail, notamment celle des femmes.
Au cours de l'instruction, nous n'avons trouvé personne qui soit capable de nous dire pourquoi avait été choisi l'objectif de réduire de moitié cet écart de taux d'emploi, ni comment il avait été déterminé. La mémoire semble perdue à ce propos dans les ministères chargés du travail et de la ville alors que, la réalité étant loin de la cible, nous nous demandions si elle avait été fixée sur des bases objectives, telles des analyses et évaluations a priori. Cet objectif ne sert d'ailleurs pas au pilotage de la politique publique en question et certains de nos interlocuteurs ont dû le redécouvrir à l'occasion de l'enquête.
Si un certain nombre de choses ont été faites ces dernières années – les moyens ont augmenté et les approches se sont diversifiées –, deux limites ont persisté : le fait que les dispositifs ne s'adaptent pas suffisamment aux besoins des QPV et un déploiement des politiques de l'emploi qui manque d'efficience.
S'agissant des moyens, la loi Lamy de 2014 pose le principe suivant lequel les dispositifs de droit commun s'appliquent dans les QPV, mais de façon plus intense. Cela se traduit, dans certaines instructions du ministère chargé du travail, par des cibles exprimées en pourcentage de bénéficiaires issus des QPV, mais sans objectif de résultat. La politique traditionnelle de pilotage en silos n'a pour l'instant pas donné les résultats escomptés. Cette logique se retrouve dans la garantie jeune, devenue le contrat d'engagement jeune (CEJ), ainsi qu'auprès de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) ou des écoles de la deuxième chance (E2C), qui accueillent nombre de personnes issues des QPV.
Compte tenu de la combinaison de facteurs que j'évoquais, il est difficile de parvenir à des résultats, en ne recourant qu'aux dispositifs de droit commun. Des approches spécifiques et des dispositifs réservés ont été mis en œuvre.
Vous avez sans doute entendu parler de « l'aller vers ». Ce barbarisme signifie qu'il s'agit de s'adresser aux personnes ne poussant pas spontanément la porte du service public de l'emploi, parfois à cause d'une réticence vis-à-vis des institutions et, pour les plus jeunes, d'un manque de maturité ou d'une défiance envers un engagement dans un dispositif pour six à douze mois qui ne donne pas forcément un emploi. Cela peut paraître paradoxal, mais l'instruction laisse penser qu'il faut parfois convaincre de l'intérêt des démarches d'insertion, notamment pour accéder à un emploi qui permette de vivre correctement. Cet « aller vers » n'est pas la culture d'origine de Pôle emploi et des missions locales, qui ne sont donc pas toujours les mieux équipés : à leur création dans les années 1980, l'on considérait qu'une motivation suffisante des jeunes était nécessaire à un accompagnement efficace, et donc qu'il fallait qu'ils se rendent eux-mêmes dans de telles structures. Des partenariats ont été conclus avec des associations plus proches du pied des immeubles ou réussissant à nouer des contacts moins formels avec les jeunes. L'intermédiation par le sport suscite de l'intérêt chez ces derniers et permet d'organiser des rencontres avec les employeurs en dehors du traditionnel entretien d'embauche ou des job datings, qui se concentrent trop sur les compétences et desservent certains profils.
Ces initiatives peuvent intervenir à différents moments du parcours d'insertion : si leur intérêt est indéniable, leur organisation est coûteuse en temps et elles ne sont fructueuses que lorsqu'on fait du sur-mesure. Elles ne sont donc pas efficaces partout, tout le temps, avec tout le monde.
D'autres approches tendent à impliquer davantage les entreprises, par exemple le pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises (PaQte), les subventions pour les emplois francs, qui sont réservés aux habitants des QPV, le programme « entrepreneuriat pour tous » de la Banque publique d'investissement (Bpifrance) ou les appels à projets dans le cadre du plan d'investissements dans les compétences (PIC) – « repérage des invisibles », « 100 % inclusion » ou « prépa apprentissage ». Parfois, la marche est trop haute pour entrer dans les formations qualifiantes ou l'apprentissage. Une des difficultés des appels à projets réside dans la question de savoir ce qui se passera au terme de chaque expérimentation : sera-t-elle prolongée ? ses financements seront-ils pérennes ? sera-t-il possible de recruter en contrat à durée indéterminée (CDI) ou le devra-t-on en contrat à durée déterminée (CDD) ?
La dernière évolution notable est le renforcement des équipes de Pôle emploi dans les agences qui reçoivent le plus de demandeurs d'emploi issus des QPV. C'est l'objet du programme Équip'emploi déployé dans 66 d'entre elles sur la période récente.
Les évaluations ne sont pas systématiquement disponibles pour cette série d'initiatives, parfois neuves ou visant un public restreint.
Il est bien difficile de quantifier ces moyens en augmentation : le document de politique transversale (DPT) sur la politique de la ville, annexé à chaque projet de loi de finances (PLF), indique que le ministère chargé du travail ne peut pas fournir des données précises et territorialisées ; nous avons rencontré le même problème pendant l'instruction. Le ministère cherche les bénéficiaires dont l'adresse est située dans un QPV puis multiplie leur nombre par un coût moyen, imaginant que cela représente la dépense afférente à certains dispositifs.
Nous avons prolongé cette approximation sur les exercices 2019, 2020 et 2021 et le ministère n'a pas contesté le résultat de nos calculs. La charge serait d'environ 800 millions d'euros en 2019 et 2020 pour la mission Travail et emploi du budget de l'État, soit un peu plus de 13 % des dépenses d'intervention que nous avons prises en compte, hors allocations. Cette proportion est moins importante que la part des demandeurs d'emploi issus des QPV inscrits en catégorie A à Pôle emploi – cela nous a surpris au regard du besoin d'accompagnement des publics en question et du coût plus élevés des dispositifs ciblés dont ils bénéficient, par exemple en matière de formation, parfois de manière cumulative avec d'autres dans l'hypothèse où la première étape de leur parcours d'insertion ne débouche pas tout de suite sur un emploi.
Nous avons procédé à la même évaluation des dépenses du plan « un jeune, une solution » consacrées en 2021 aux habitants des QPV. Si le ministère a essayé de suivre plus précisément les dépenses de ce plan, celles en faveur de l'alternance ne figuraient pas dans sa première estimation. C'était une lacune importante que nous avons essayé de combler. Selon les données publiées par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), au printemps 2022, les jeunes issus des QPV représentaient 7,4 % des entrées en apprentissage en 2021 et 7 % en 2020. Nous avons retenu ce taux de 7 % pour tenir compte des décalages de paiement et réintégrer les dépenses d'alternance dans le coût total. In fine, les dépenses du plan ayant profité aux jeunes issus des QPV représentent légèrement plus de 560 millions d'euros, soit 9 % des dépenses totales du plan. C'est un taux qui peut paraître bas au regard de la part qui est celle des jeunes issus des QPV dans le total des jeunes qui cherchent un emploi. Cela s'explique par le fait que l'essentiel des dépenses en faveur de l'alternance a bénéficié à des jeunes en études supérieures. Or les jeunes des QPV suivent moins souvent des études supérieures que les autres. L'investissement massif dans l'alternance dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » ne s'est pas fait principalement au bénéfice des jeunes les moins qualifiés ou les plus en difficulté. Sur ces points, je vous renvoie au rapport thématique de la Cour des comptes sur la formation en alternance, publié à la fin du mois de juin : il montre que l'investissement réalisé, ayant permis de faire décoller le nombre d'entrées en alternance, n'a pas ciblé les jeunes les plus en difficulté mais a bénéficié au contraire aux jeunes les plus qualifiés.
Les agences de Pôle emploi ont bénéficié de renforts significatifs dans les QPV. Dans chacune des deux régions de l'Île-de-France et des Hauts-de-France, on note un renfort de 400 agents supplémentaires entre 2017 et 2021, pour combler de vrais besoins de rattrapage. Dans les QPV, le nombre de demandeurs d'emploi suivis par conseiller demeurait en effet très important : l'intensité du suivi n'était pas à la hauteur des objectifs.
Nous avons été confrontés à la difficulté d'évaluer l'efficacité intrinsèque des dispositifs, qu'ils soient destinés aux demandeurs d'emploi en QPV ou pas. Dans le rapport, nous ne nous sommes pas focalisés sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), la Cour des comptes ayant en effet publié au mois de janvier dernier une évaluation de politique publique à laquelle nous renvoyons. En revanche, nous sommes partis de constats qui avaient été faits dans ce cadre : pour les demandeurs d'emploi les plus en difficulté, la seule modalité vraiment efficace était l'accompagnement global qui montre progressivement en puissance mais reste d'une ampleur limitée. Les demandeurs d'emplois issus des QPV sont plus nombreux dans les dispositifs plus intensifs renforcés avec un accompagnement global sans que cela permette de combler l'écart que j'évoquais tout à l'heure. En effet, 2 % des demandeurs d'emploi résidant en QPV bénéficient d'un accompagnement global contre 1 % pour les demandeurs d'emploi résidant dans les autres quartiers. 23 % des demandeurs d'emploi résidant en QPV bénéficient d'un accompagnement renforcé contre 18 % pour les demandeurs d'emploi résidant dans les autres quartiers.
Grâce aux études de cohorte, nous avons examiné quatre dispositifs : l'accompagnement intensif jeune (AIJ) de Pôle emploi, les formations prescrites par Pôle emploi, les contrats aidés et la « Garantie jeunes ». Pour les demandeurs d'emplois inscrits en QPV, il apparaît que seule la formation fait une différence Ce constat est confirmé par le sondage : le dispositif des formations prescrites est le dispositif le plus connu et le plus recherché. Cette impression des habitants est ainsi corroborée par les études de cohorte qui montrent que c'est le dispositif qui marche le mieux. Pour les autres dispositifs, il n'existe pas d'écart significatif entre les habitants des QPV et les habitants des autres quartiers. Cela peut tenir aussi à la manière dont ils sont déployés.
Une des difficultés rencontrée dans la mise en œuvre des politiques de l'emploi réside dans l'insuffisante prise en compte des besoins et des spécificités des QPV et de leurs habitants. Ces quartiers concentrent une part significative de la pauvreté, ce qui a des répercussions. Par ailleurs, l'orientation subie des jeunes des QPV et leur méconnaissance plus prononcée des métiers sont des difficultés réelles qui les handicapent au moment d'entrer sur le marché du travail.
Comme les multiples rapports de la Cour des comptes relatifs à la politique de l'emploi le rappellent, les dispositifs à connaître sont très nombreux. Pour chaque opérateur, connaître la palette des services proposés par les autres opérateurs constitue une difficulté. C'est vrai au sein même du service public de l'emploi (SPE), mais s'y ajoutent encore les dispositifs des collectivités territoriales. Au sein des missions locales, nous constatons en outre qu'il est difficile pour les acteurs de trouver un accord concernant le projet associatif de la mission : l'État tout comme les collectivités territoriales mettent en avant leurs propres dispositifs. Bien que ces dispositifs puissent viser les mêmes publics avec les mêmes objectifs, les doublons sont conservés sans qu'une rationalisation permette d'aboutir à une palette de dispositifs plus compréhensible des conseillers et des jeunes accompagnés.
S'il existe aujourd'hui une volonté d'intensifier l'accès aux dispositifs de droit commun, nous avons beaucoup de mal à quantifier cette intensification. Les systèmes d'information ne sont pas conçus pour cela. Il existe aussi des difficultés à atteindre les habitants les plus fragiles. Pour atteindre leurs objectifs dans le cadre d'une démarche de performance, les opérateurs ne visent pas les personnes les plus en difficulté. Par ailleurs, lorsqu'un nouveau dispositif est mis en œuvre, les opérateurs ont tendance à se tourner vers les jeunes connus du service public de l'emploi afin d'amorcer une dynamique. Des fichiers sont ainsi déversés d'un dispositif à l'autre, ce qui s'est vérifié au moment du lancement de la garantie jeunes. Les acteurs ne vont pas rechercher les publics invisibles. Cette difficulté à atteindre les personnes les plus fragiles n'a pas encore été résolue.
Nous avons également été marqués par les difficultés pour les habitants à se faire entendre. Dans les QPV, il existe des conseils citoyens, mais nous concluons de notre enquête que personne n'y croit. Sur le volet emploi, ces conseils ne fonctionnent pas. Au moment d'élaborer nos recommandations, nous nous sommes posé la question de la nécessité de mettre plus en évidence le rôle des conseils citoyens mais nous avons été découragés par le constat suivant : ces conseils ne fonctionnent pas – du moins leur bon fonctionnement n'est pas suffisamment répandu.
Globalement, nous constatons que l'approche traditionnelle de la politique de l'emploi depuis trente ans, à savoir la juxtaposition de dispositifs et de moyens qui accompagnent des objectifs quantitatifs, est conservée. C'est cette logique que vous observez dans les projets de loi de finances, avec des objectifs de nombre d'entrées par dispositif assignés aux opérateurs, mais elle n'a pas totalement porté ses fruits. On constate un début de mutualisation des moyens à travers le fonds d'inclusion par l'emploi (FIE) qui donne la possibilité aux directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de redéployer, de manière encadrée, des moyens d'un dispositif à l'autre, mais il s'agit toujours de pouvoir mesurer, au regard des objectifs quantitatifs fixés, un certain nombre d'entrées dans les dispositifs. Qu'un objectif quantitatif ne soit pas atteint n'est pourtant pas forcément le signe d'un dysfonctionnement. Inversement, certains dispositifs devraient mieux fonctionner qu'ils ne le font ; ainsi en ce qui concerne les prépas apprentissage, seules 19 000 entrées ont été enregistrées en 2021, alors que l'objectif était de 31 000 entrées. Chacun reste dans son couloir de nage. Certes, les discours changent et la notion d'approche globale y est présente depuis des années, mais la pratique est différente, et la question du décloisonnement des modes d'intervention et de coopération entre les collectivités territoriales et l'État reste d'actualité.
J'en viens maintenant à la troisième partie du rapport, qui porte sur le manque d'efficience dans le déploiement de la politique de l'emploi.
Nous avons été assez surpris par l'absence de travail collaboratif quotidien entre le ministère chargé de la ville et le ministère chargé de l'emploi, bien qu'ils préparent ensemble les comités interministériels de la ville (CIV). Deux raisons l'expliquent. Premièrement, les dispositifs de droit commun sont élaborés indépendamment de la situation des QPV. Deuxièmement, toute la coordination a été déléguée au niveau territorial aux préfets. Cela ne devrait pourtant pas empêcher, selon nous, un travail plus fluide à l'échelle nationale entre l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Les réseaux ont récemment connu des réformes, dont la mise en place du service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE) à partir de 2018. Au cours de l'instruction, nous avons été parfois déroutés par les difficultés que les responsables de terrain ont rencontrées pour expliquer ce que c'était et ce qui différencie le SPIE des cités de l'emploi. Si ces expérimentations concernent aujourd'hui des territoires différents, des difficultés pourraient surgir le jour où l'on voudrait les généraliser et où elles se trouveraient ainsi juxtaposées.
Le SPIE a été conçu pour être souple et pragmatique, ce qui ne permet pas toujours de le distinguer des dispositifs existants. Il existe déjà les services publics de l'emploi locaux pour coordonner l'action au niveau local. Le SPIE était à l'origine plutôt conçu pour faire dialoguer l'État et les départements au sujet de l'insertion des bénéficiaires du RSA. Les cités de l'emploi, lancées postérieurement, ont un peu la même finalité mais concernent un territoire donné. Comment donc concilier les différentes couches de coordination avec, parfois, des doublons dans le suivi des bénéficiaires ? Lorsque cela ne fonctionne pas, de notre point de vue, ce n'est pas la mise en place d'un nouveau dispositif de coordination qui améliorera la situation ; c'est la volonté de travailler ensemble qui est nécessaire.
S'est greffée à cette difficulté, qui n'est pas résolue, la transformation des directions régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) en DREETS. Elles ont connu des perturbations qui se sont ajoutées à des baisses récurrentes d'effectifs et des pertes de compétence.
Concernant la question de l'évolution du SPIE et des cités de l'emploi, nous avons senti que les deux ministères n'étaient pas fermés : l'annonce de la création de France travail est l'occasion pour eux de repenser leur manière de travailler ensemble et d'éviter d'empiler les couches de coordination. Par ailleurs, si la coordination avec les collectivités locales est essentielle, elle est très variable d'un territoire à l'autre, ce qui a des effets importants sur les résultats.
Nous appelons en outre l'attention sur les associations nationales et les petites associations. Toutes ne sont pas au même nouveau de professionnalisation et n'ont pas la même capacité à atteindre les publics les plus en difficulté.
Se pose également la question de la pérennité de ces associations, même s'il faut évidemment subventionner avec discernement.
Le deuxième point concerne le rôle des entreprises. Une insertion, même temporaire, en entreprise, à travers des mises en situation professionnelle, des stages, des parrainages, des manifestations organisées en commun, c'est important, même pour les personnes les plus en difficulté, même simplement pour montrer que l'on peut concrètement se rapprocher du marché du travail. Il s'agit de donner ainsi envie d'aller au bout du parcours d'insertion.
Des territoires ont identifié ces problématiques assez tôt – le plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) déployé en Île-de-France en offre une illustration –, mais la prise en compte des besoins des habitants reste encore parfois théorique.
J'en viens aux recommandations.
À propos de la première recommandation – « Pour chaque dispositif de la politique de l'emploi, suivre le nombre de bénéficiaires habitant en QPV et les dépenses associées et fixer un objectif de résultat propre à cette population » –, il ne faut pas, de notre point de vue, fixer des objectifs en termes de part des habitants des QPV dans les dispositifs, mais plutôt s'interroger sur ce que l'on veut vraiment faire. Est-ce de faire accéder davantage de jeunes à un premier niveau de qualification ? Est-ce l'accès de ces jeunes à l'emploi durable ? En procédant comme nous le recommandons, on pourrait bien mieux suivre le nombre de bénéficiaires de chaque dispositif. Fixer un pourcentage de personnes issues des QPV inscrites dans le dispositif ne suffit pas et ne fonctionne pas ; on le constate depuis longtemps.
La deuxième recommandation porte sur la palette des dispositifs. Les dispositifs sont trop nombreux, peu lisibles, mal compris. Ils nécessitent du temps de formation, de communication à chaque fois que cette palette évolue. Il est sûrement possible de faire plus simple et plus souple, et d'harmoniser les conditions d'éligibilité. Une dynamique s'est déjà engagée en ce qui concerne le montant des allocations, mais il reste du chemin à faire.
Un troisième point noir reste l'entrée des jeunes issus des QPV dans l'apprentissage. La dynamique de l'apprentissage a surtout profité aux jeunes qui s'engageaient dans des études supérieures, ; pour toute une partie des jeunes en difficulté, la marche est trop haute. Par exemple, les prépas apprentissage, dont le décollage a pris du temps, n'orientent pas suffisamment vers l'apprentissage. Seul un jeune sur trois qui entre dans une prépa apprentissage s'insère par la suite dans une filière apprentissage. Cela ne veut pas dire que ces prépas sont inutiles, c'est notamment une occasion pour ces jeunes de s'interroger sur leur projet, mais elles ne sont pas parvenues à faire mieux que les dispositifs précédents et les jeunes des QPV ne bénéficient pas encore de l'essor de l'apprentissage. Le rapport publié par la Cour sur la formation en alternance recommande également de mieux sensibiliser les enseignants en REP (réseau d'éducation prioritaire) et en REP+ aux possibilités ouvertes.
Notre quatrième recommandation est de « mettre en cohérence les objectifs assignés au dispositif de droit commun et les moyens alloués aux acteurs ». Du fait du cumul de difficultés et du besoin d'un accompagnement intensif, les dispositifs deviennent plus coûteux à mesure que l'on augmente la part des habitants des QPV parmi les bénéficiaires. Or le ministère semble fixer des objectifs en termes d'entrées d'une part et allouer des moyens d'autre part, sans s'assurer que ceux-ci soient cohérents avec celles-là.
La cinquième recommandation vise à un travail collaboratif entre la DGEFP et l'ANCT en vue d'un diagnostic partagé en amont de la conception des dispositifs. Dès l'amont, il faut penser à l'évaluation a posteriori de ces dispositifs. Souvent, le système d'observation est construit trop tard.
La sixième recommandation est de fusionner les SPE locaux, les SPIE et les cités de l'emploi pour avoir une seule couche de coordination et non pas une superposition.
Notre septième recommandation est de réduire la distance, aujourd'hui trop importante, entre la conception et le déploiement des dispositifs, d'une part, et les habitants eux-mêmes, d'autre part. Il faut réellement écouter les besoins des habitants des QPV pour adapter les dispositifs. Dans ces quartiers, le déploiement du droit commun sans adaptation n'est pas garant du résultat.