Les enjeux que vous avez abordés sont tous essentiels. Parmi les thèmes récurrents, figurent en premier lieu, et c'est bien normal, la crise de recrutement et le problème de l'attractivité des métiers de l'enseignement. Je ne nierai pas la réalité. Nous connaissons une grave crise d'attractivité. La rentabilité des concours est faible – aux alentours de 83 % pour ceux du second degré. Il est difficile de recruter dans de nombreuses disciplines. Il en va de même dans le premier degré pour ce qui concerne les académies franciliennes. La situation est structurellement dégradée : les difficultés ne datent pas de cette année, même si elles sont accrues par le phénomène conjoncturel que j'ai souligné, à savoir le fait que le concours soit repoussé au niveau du master 2, ce qui a tari le vivier. Cette année, 18 000 candidats environ s'étaient inscrits pour passer le CAPES, contre 30 000 l'année dernière. Or il en faudrait 50 000.
Nous ne pourrons pallier ces difficultés en trois semaines, d'ici au 1er septembre. Nous devrons donc, en effet, avoir recours à un volant d'enseignants contractuels plus important que nous le souhaiterions, tout en élaborant des mesures plus structurelles. Je m'empresse de préciser que le nombre de contractuels dans l'ensemble du pays demeure relativement raisonnable : 1 % environ dans le premier degré et 8 % dans le second degré, avec des variations importantes selon les académies et les départements – en Seine Saint-Denis, en Guyane ou à Mayotte, le pourcentage est nettement plus élevé.
Nous avons également recours aux listes complémentaires. Pour ce qui concerne les concours nationaux – c'est-à-dire ceux du second degré –, nous les avons épuisées dans de nombreuses disciplines. C'est le cas, par exemple, pour celles de l'agrégation d'histoire et du CAPES d'histoire-géographie. Nous avons donné toute latitude aux jurys pour le faire – car ce n'est pas à moi d'estimer jusqu'où l'on va dans la liste complémentaire : la décision est prise en fonction des notes et du niveau des candidats.
Le concours de professeur des écoles, quant à lui, est de niveau académique. Autrement dit, on ne peut pas affecter dans l'académie de Versailles ou dans celle de Créteil des candidats inscrits sur une liste complémentaire en Bretagne. Néanmoins, nous proposons aux candidats figurant sur une liste complémentaire dans les académies à proximité de l'Île-de-France, notamment celles de Reims, de Rouen et d'Amiens, de venir enseigner du côté de Versailles ou de Créteil, même si la proposition n'est pas particulièrement attirante.
Quoi qu'il en soit, cela ne résout pas de façon structurelle les difficultés de recrutement. Je suis tout à fait conscient de celles qui existent tout au long de l'année. Force est de constater que le « banc de touche » est très réduit.
Je récuse l'expression « job dating ». Le recrutement des enseignants contractuels n'est pas une affaire qui se règle en quelques minutes, entre deux portes. On examine les dossiers et un entretien est réalisé – voire plusieurs.
Au-delà de l'urgence, il faut réfléchir au long terme. Le métier d'enseignant doit être revalorisé. C'est pourquoi j'ai parlé de choc d'attractivité en ce qui concerne la rémunération, dont le niveau en début de carrière n'est pas acceptable. Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, que l'on ait du mal à recruter des personnes à bac + 5. Certes, il y a toujours l'engagement personnel, qui compte beaucoup dans ce métier, mais cela ne suffit pas quand les salaires sont notoirement trop bas.
La hausse de la rémunération que nous élaborons avec le ministère de l'action et des comptes publics concerne le début de carrière, mais nous souhaitons également retravailler l'évolution des salaires, car après l'augmentation suit un très long faux plat, sans hausse notable de rémunération. C'est donc l'ensemble de la grille salariale qu'il faut repenser, à l'exception des dernières années, où les enseignants bénéficient d'un rattrapage, en particulier avec le passage à la hors classe. Je me suis engagé à ce que le salaire d'un enseignant en début de carrière ne soit pas inférieur à 2 000 euros.
La revalorisation du métier d'enseignant ne tient pas seulement au niveau de salaire ; elle doit porter également sur la carrière. Dans ce domaine, le modèle était celui de carrières longues : on entrait dans le métier à 25 ans et on en sortait à la retraite. Désormais, les itinéraires sont plus variés : certains enseignants commencent à exercer le métier vers 40 ans, après une première carrière dans un autre secteur. Une proposition a été faite pour prendre en compte ces débuts de carrière différents.
Par ailleurs, à 40 ou 45 ans, on n'est pas aussi mobile qu'à 25 ans, et il est parfois extrêmement difficile d'être affecté à l'autre bout du pays. Nous sommes confrontés à la démission de certains enseignants du sud de la France affectés, par exemple, en région parisienne. Il faut réfléchir à la possibilité d'offrir des portes de sortie, de permettre aux enseignants de faire autre chose au bout de dix ou quinze ans, quitte à ce qu'ils reviennent par la suite dans l'enseignement. Certaines questions relevant de la gestion des ressources humaines doivent donc faire l'objet d'une réflexion, compte tenu en particulier des aspirations de notre jeunesse, qui ne sont plus aussi linéaires s'agissant du déroulement des carrières ; c'est vrai dans l'enseignement comme dans beaucoup d'autres métiers. Nous devons être beaucoup plus mobiles : les itinéraires professionnels et les parcours de vie ont changé ; les propositions que nous formulons doivent s'adapter à cette réalité.
D'autres facteurs entrent en ligne de compte. Ainsi, les études conduites à l'échelle européenne suggèrent que le fait de travailler en équipe est un facteur d'attractivité important. Il faut faire en sorte que l'enseignant ne soit pas tout seul dans sa classe et qu'il ne croise pas ses collègues uniquement le matin ou à l'occasion de la pause café. L'Allemagne connaît elle aussi un problème d'attractivité du métier d'enseignant. Or les salaires y sont deux fois plus élevés qu'en France ; ce n'est donc pas, a priori, la rémunération qui est en cause. D'autres enjeux doivent être pris en considération, notamment les modalités de travail, le travail en équipe et le déroulement de la carrière. Nous en discuterons à l'automne avec les organisations représentatives, qui sont nos partenaires.
Il faut également entamer une réflexion sur l'opportunité de recruter les professeurs des écoles à bac + 5 : est-ce absolument nécessaire ? Est-ce même une bonne idée ? De surcroît, c'est injuste socialement, car il n'est pas donné à tout le monde de poursuivre des études jusqu'à ce niveau. Or le professorat des écoles représentait une possibilité d'ascension sociale pour les personnes issues des milieux populaires. La mastérisation est un fait, mais nous voulons aborder la question.
Nous avons donc l'ambition de mettre entièrement à plat les conditions d'exercice du métier de professeur, bien au-delà de la question de la rémunération. Cela ne saurait se faire en l'espace d'un été. En attendant, nous avons recours à des enseignants contractuels. Même si nous les suivons et les formons aussi bien que possible, la situation n'est pas idéale, je suis d'accord avec vous.
En ce qui concerne le contenu des réformes et ce qui est en jeu à cet égard, je voudrais faire deux remarques.
Premièrement, les années précédentes, sous l'autorité de Jean-Michel Blanquer, ont été marquées par des réformes de grande ampleur – je pense en particulier au premier degré, à la réforme du lycée et à celle du bac. Or leur évaluation a été fortement affectée par la crise sanitaire. Même les jeunes qui viennent de passer le bac dans des conditions à peu près normales ont vécu leur seconde et leur première en pleine crise sanitaire. Leur itinéraire au lycée n'a donc pas été normal : il a été très perturbé par les confinements et leur relation à leur établissement s'est trouvée détériorée, même si la France a fait beaucoup mieux que d'autres pays en la matière. Nous ne disposons pas encore d'une évaluation solide de la réforme du lycée hors période de covid.
La grande vertu de la réforme du lycée tient au fait qu'elle est perfectible : il est possible de la retoucher après avoir examiné pragmatiquement ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait en réintroduisant une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun des classes de première. Nous sommes donc très attentifs.
Toutefois, nous n'allons pas nous lancer dans une énième grande réforme du lycée sans même avoir évalué de façon précise et sérieuse la réforme précédente – d'autant que, selon moi, ce qui a été fait était tout à fait juste, y compris en ce qui concerne Parcoursup. En effet, je veux bien que l'on critique Parcoursup, mais quelle était la situation avec Admission postbac (APB) ? C'était une course pour s'inscrire parmi les premiers dans les universités, et il y avait même des tirages au sort dans certaines filières en tension. Je n'ai aucune nostalgie de cette époque. Parcoursup est perfectible et il s'améliore d'année en année. Il doit être évalué de façon juste.
Deuxièmement, il faut tenir compte de la fatigue des enseignants et du monde éducatif en général. Cela m'a frappé à mon arrivée à la tête du ministère : il y a une fatigue liée, d'une part, aux efforts remarquables consentis pendant la crise sanitaire par les équipes enseignantes, administratives et de direction, et, d'autre part, aux réformes précédentes. Les réformes suscitent toujours des remises en cause et des interrogations et créent des tensions.
Je ne souhaite donc pas précipiter le lycée et le premier cycle dans un nouveau processus de réforme sans mener une évaluation précise et sérieuse de la situation et sans tenir compte de l'état des troupes. Toutefois, il est vrai que le collège a été pris en sandwich entre le premier cycle et le lycée. Nous travaillons sur la question, qui mérite en effet une attention particulière.
Enfin, je m'arrêterai un instant sur l'école inclusive, qui est une priorité, et sur les AESH. La progression de l'inclusion des élèves ayant des besoins particuliers dans les écoles ordinaires a été remarquable : plus de 410 000 élèves sont actuelleent pris en charge. C'est une réussite pour notre système éducatif que je tiens à saluer. On ne peut que se féliciter de l'inclusion de ces élèves.
L'augmentation du nombre d'AESH a été elle aussi très importante : il y en a 122 000. Nous en recruterons 4 000 de plus à la rentrée, après une augmentation de 4 000 lors de la rentrée 2021. Certaines difficultés sont liées à leur temps de travail, qui ne dépasse pas 24 heures hebdomadaires pour nombre d'entre eux, avec pour conséquence un salaire insuffisant. Le Président de la République s'est engagé à ce que le temps de travail des AESH soit porté à 35 heures, ce qui implique de prendre en compte le temps périscolaire, notamment la pause méridienne. Or un arrêt du Conseil d'État de novembre 2020 enjoint à l'État de ne rémunérer les AESH que pour leurs interventions pendant le temps strictement scolaire. Nous sommes donc confrontés à des difficultés à la fois juridiques et administratives, car certains AESH sont rémunérés par l'État et par les collectivités territoriales, en particulier ceux qui s'occupent d'enfants nécessitant une grande continuité dans le suivi, par exemple les élèves qui présentent des troubles autistiques – ils représentent 11 % des élèves pris en charge.
Certaines difficultés sont également liées aux notifications d'AESH délivrées par les MDPH, lesquelles ne dépendent pas du ministère de l'éducation nationale. On peut se demander si le recours à un AESH est toujours la meilleure solution. Les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) constituent un début de réponse au niveau local, mais il faut aller plus loin : nous devons imaginer une pluralité de solutions pour mieux répondre aux besoins particuliers de ces enfants et faire face au nombre croissant pris en charge dans les écoles ordinaires – ce qui est par ailleurs une excellente chose.
Il faut également permettre aux AESH de bénéficier de CDI. C'est le cas pour 20 000 d'entre eux. Il importe aussi de leur proposer une progression de carrière et une grille salariale satisfaisantes. Enfin, nous devons veiller à leur formation continue. Pour 95 % d'entre eux, ces agents sont des femmes. Il faut donc prendre en considération la dimension très genrée du métier d'AESH.