Merci, Monsieur le président.
Vous l'avez dit, 95 % du territoire, 95 % des maires et plus d'un Français sur deux sont situés en zone de gendarmerie, sans tenir compte des mobilités lors des vacances, qui se font souvent en direction des zones de gendarmerie. De plus, dès avant la crise sanitaire (qui a probablement exacerbé ces enjeux), la population tendait déjà à augmenter davantage dans la France moins urbanisée : elle augmente deux fois plus en zone de gendarmerie qu'en zone de police.
La zone de gendarmerie correspond également à la « France des ronds-points » occupés par les gilets jaunes, et des difficultés sociales, d'autant que la crise sanitaire a encore fragilisé la socialisation dans les petites et moyennes communes, où elle ne reposait souvent que sur les maires et quelques associations. Lors de l'opération « Répondre présent », la gendarmerie a ainsi été conduite à dépasser ses missions, en aidant les maires et les personnes les plus vulnérables à mieux passer la crise sanitaire.
La stratégie GEND 20.24 repose sur quatre piliers :
Le maillage territorial constitue la spécificité et la force de la gendarmerie par rapport à d'autres services publics. Nous disposons aujourd'hui de 3 100 brigades, contre 3 600 en 2007, et nous allons en recréer 200. La première mission de la gendarmerie nationale n'est pas d'arrêter les voleurs, mais de faire en sorte qu'il n'y ait pas de voleur, et le maillage du territoire, s'il n'en est pas une condition suffisante, en est une condition nécessaire, au même titre que le statut militaire. Or, nous sommes 100 000 pour couvrir 95 % du territoire, et nous devons également nous dégager du temps pour rencontrer les concitoyens, les maires et les élus, afin de produire du sentiment de sécurité.
33 400 des 35 000 communes françaises sont en zone de gendarmerie, ce qui représente 52 % de la population. Or, l'INSEE considère que 20 à 24 % de la population est située en zone rurale. La moitié de la population dont nous nous occupons est donc située en zones urbaines et périurbaines. Les différences d'urbanisation entre les départements conduisent cependant à des approches différenciées.
Dans le même temps, une hausse du niveau de violence est constatée, notamment à l'égard des personnes représentant des institutions : les élus et les gendarmes, notamment. Un gendarme est agressé toutes les 2 heures, et un refus d'obtempérer est enregistré toutes les 30 minutes. Les gendarmes ont également affaire à un « forcené » au moins toutes les 48 heures. Il s'agit typiquement d'un homme qui boit, frappe sa femme, s'enferme et tire sur tout ce qui bouge, y compris sa femme et les gendarmes. Ce profil est de plus en plus fréquent. S'y ajoutent les personnes suicidaires souhaitant se faire tuer par des gendarmes ou des policiers, comme nous en avons connu dans les Cévennes, à La Chapelle-sur-Erdre, ou en Dordogne, où 60 gendarmes se sont fait tirer dessus. Un hélicoptère a été touché par une balle Brenneke, ce qui a conduit à surblinder le dessous de nos hélicoptères. On s'attend moins à se faire tirer dessus en métropole qu'en mission contre des orpailleurs illégaux en Guyane, mais cela arrive.
Aujourd'hui, 165 000 interventions ont lieu chaque année pour des violences intrafamiliales. Il est difficile de faire la part de l'augmentation du phénomène et de la libération de la parole des femmes, mais ces faits sont devenus omniprésents et prennent aux gendarmes un temps considérable pour recevoir les victimes et mener les enquêtes.
Les gendarmes sont la richesse de la gendarmerie. Ce sont eux qui risquent leur vie sur le terrain, tandis que je travaille à Paris. Moi-même fils de gendarme, je réalise mieux maintenant le niveau d'engagement que ce métier implique, au service des autres. Lorsque j'appelle un gendarme blessé, il me dit toujours : « j'ai seulement fait mon travail ». Une adjudante-chef blessée au cou et défigurée par un schizophrène qui attaquait les passants avec un tesson de bouteille, s'inquiétait au téléphone d'avoir mal géré la situation, et espérait reprendre le travail au plus vite. C'est moi qui devais insister sur la nécessité qu'elle prenne soin d'elle.
Le gendarme a aussi pour caractéristique d'être logé au cœur de la population sur laquelle il veille : il est donc sous son contrôle social constant. Il arrive que nous mutions des gendarmes parce qu'ils n'arrivent pas à s'intégrer à une brigade pour cette raison. Cette insertion sociale sera encore renforcée par la mise en place d'un « principe de redevabilité », qui a été expérimenté et généralisé auprès des maires. Il s'agit de leur rendre des comptes (notamment sur les déplacements des patrouilles sur leur territoire, à l'aide de la géolocalisation et de « cartes de chaleur »), et de travailler avec eux sur les améliorations à apporter dans les mois suivants. Le taux de satisfaction des élus à notre égard est plutôt bon, mais nous devons nous ouvrir encore davantage à la critique. Contrairement à ce que pouvaient penser certains commandants de brigade il y a 25 ans, la sécurité n'est pas seulement « une affaire de professionnels ».
Nous portons également une attention particulière aux personnes les plus fragiles, notamment les seniors. Des dispositifs d'accompagnement, notamment numérique, ont été créés, avec un « commandement cyber » de 7 500 cyberenquêteurs qui doivent aussi réaliser de la pédagogie dans les écoles et auprès des personnes âgées, pour les aider à se protéger face à la hausse constante des arnaques. Des banques de données d'adresses mail sont récupérées à des truands qui, d'Afrique, envoient des mails par centaines de milliers, par exemple d'accusations de pédophilie, en exigeant des paiements en contrepartie d'une levée des poursuites judiciaires. Par exemple, il y a actuellement une arnaque qui utilise mon nom, dans le cadre de « procédures » contre la pédophilie. Dans ce cadre, je reçois chaque semaine des chèques, qui me sont envoyés plutôt qu'aux truands. Je ne les encaisse pas, mais ils entraînent le lancement d'enquêtes, car le disque dur d'une personne qui est prête à payer 5 000 à 10 000 euros pour éviter une poursuite judiciaire est forcément intéressant. Il est difficile d'interpeller les auteurs de ces mails en Afrique, même si nous nous y efforçons avec nos homologues des pays concernés. Une dizaine de personnes ont ainsi déjà été interpellées.
La formation initiale des gendarmes est construite autour de l'acquisition de l'ADN militaire. Les proximités sont plus grandes avec la police nationale en formation continue. Les élèves officiers comme sous-officiers disent aujourd'hui avoir délibérément voulu intégrer la gendarmerie, alors qu'ils passaient souvent ce concours parmi d'autres auparavant. Après le drame d'Ambert, où trois gendarmes ont été tués par un survivaliste, j'avais demandé au chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT) de l'époque, Thierry Burkhard, de former les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), ce qu'il avait accepté. Avec son successeur, Pierre Schill, nous avions visité à La Valbonne le centre de formation d'un PSIG par l'armée de terre. Nous avons aujourd'hui besoin de gendarmes capables de manœuvrer sous le feu, en situation de combat. La formation des escadrons de gendarmerie mobile a été durcie également, pour les mêmes raisons. Aux Antilles, ces escadrons se faisaient tirer dessus chaque nuit. Il faut alors savoir adopter les bons réflexes : « d'abord, je me poste ; ensuite je riposte ». Les gendarmes, qui il y a dix ans auraient objecté que leur uniforme est bleu clair, et non kaki, sont aujourd'hui enchantés par ces formations militaires, malgré leur exigence physique. Ils se sentent aujourd'hui plus militaires que jamais.
Conformément à ces attentes nouvelles de nos personnels, la symbolique et le cérémonial ont été renforcés également, avec la création d'un chant de la gendarmerie et la remise de drapeaux à différents commandements. Je m'en réjouis et nous poursuivrons en ce sens.
Par ailleurs, le fonctionnement de la gendarmerie est en train de changer de paradigme, grâce à la création de nouvelles brigades, mais aussi à la digitalisation.
Plutôt que d'attendre les usagers derrière un ordinateur, il s'agira désormais d'aller vers les gens, de passer d'une logique de guichet à une logique de pas de porte. Au mois d'août, lorsque les faits de délinquance augmentent, les usagers attendent certes des gendarmes qu'ils soient disponibles en gendarmerie, mais, en temps normal, ils devront plutôt prendre rendez-vous avec eux désormais, pour que les gendarmes se rendent à leur domicile, comme ils devront rencontrer les maires, les commerçants, etc. Nous devons provoquer cette proximité, car la population la demande, plutôt que des contacts dématérialisés. Recréer des brigades permettra d'aller en ce sens, d'autant que les 200 nouvelles brigades seront dotées de moyens de déplacement adaptés à leurs territoires : chevaux, motos, mais aussi trottinettes électriques là où c'est pertinent, etc. Des brigades itinérantes seront également chargées de partir plusieurs jours dans des territoires qui ne sont jamais investis ordinairement, en dormant en chambres d'hôtes ou chez l'habitant, etc. Le dernier changement d'une telle ampleur connu par la gendarmerie date d'il y a 300 ans, lorsque les brigades avaient été territorialisées.
Le numérique permet de mieux rendre des comptes dans le cadre de la redevabilité. Nous avons aussi développé des algorithmes permettant de placer des gendarmes au bon endroit et au bon moment, en évitant notamment de recourir à eux la nuit lorsque c'est superflu. Le temps ainsi dégagé sera mis au service du surcroît de proximité qui sera attendu des gendarmes, conformément à la commande passée par le Président de la République et le ministre de l'intérieur, d'un doublement de la présence sur la voie publique. Les effets en sont déjà perceptibles sur le terrain. Un algorithme a également permis dans onze départements d'accroître la présence des gendarmes sur les lieux où les cambriolages étaient probables, améliorant ainsi leur prévention de 3 % par rapport aux autres départements. Une deuxième version de cet algorithme, qui sera expérimentée avant la fin de l'année, tiendra compte de l'ensemble des situations de crise rencontrées. Des « cartes chaudes » seront ainsi fournies aux gendarmes qui partiront en patrouille, afin qu'ils sachent où se positionner pour prévenir les faits de délinquance, mais aussi les accidents de voiture, etc.
Nous travaillons aussi beaucoup avec les associations d'élus : l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des départements de France (ADF), l'association des régions de France (ARF), pour identifier nos possibilités d'améliorations.
Le durcissement de la formation imposera d'accroître notre capacitaire école. La future LOPMI le prévoit. Certains bâtiments de Fontainebleau devront ainsi être reconstruits, mais il faudra aussi créer des centres de formation régionaux, pour permettre aux gendarmes d'être formés au plus près des besoins. Ce dernier sujet sera également abordé dans le cadre de la LOPMI.
La guerre en Ukraine pose à nouveau la question de la défense opérationnelle du territoire (DOT). Même si le risque d'une agression par une colonne de chars reste peu probable dans notre pays, il faudra aller au-delà de la prévention des agressions sur les seules « installations vitales ». Les renouvellements actuels d'équipements, avec le remplacement en fin d'année de nos vieux véhicules blindés et la livraison d'hélicoptères H160 (permettant de transporter jusqu'à 14 personnes équipées), rendent possible, avec la réforme du GIGN, etc., une stratégie ambitieuse que nous travaillons avec les armées face à la possibilité d'une crise de plus haute intensité.
En matière d'équipements, nous avons ainsi adopté une approche plus capacitaire, en chargeant une équipe de s'interroger sur les besoins et les missions qui seraient ceux d'une gendarmerie reconstruite à neuf dans dix ou quinze ans. Avec les spéléologues, les marins, les maîtres de chiens, etc., les spécialités sont nombreuses au sein de la gendarmerie. Cependant, par exemple, nous ne disposons pas de suffisamment de chiens. Dans certains quartiers difficiles, les voyous provoquent les gendarmes, souvent pour filmer ensuite leurs réponses, avec l'espoir qu'elles soient mal adaptées. Nous avons doté certaines de ces patrouilles de chiens sans muselière, notre doctrine différant à cet égard de celle de la police. Les auteurs de provocations peuvent ainsi se faire mordre, ce qui est moins létal que de recourir aux autres équipements de la gendarmerie, et les dissuade généralement de continuer. Les chiens qui sont entraînés par le GIGN peuvent aussi réaliser des opérations très techniques, comme sentir les explosifs dans les foules en mouvement, etc. Cette approche capacitaire permet de mieux encadrer les budgets qui sont décidés en réponse aux besoins.
La politique actuelle de digitalisation suppose une augmentation du niveau de recrutement. Le statut militaire permet de diversifier les profils recrutés, par rapport à ceux qui le sont dans l'administration. Un concours « Master 2 sciences dures » a ainsi été ouvert il y a deux ans, et plus de la moitié des officiers recrutés aujourd'hui sont ingénieurs ou titulaires d'un Master 2 de sciences dures. Des parcours de carrière clairs doivent ensuite être proposés à ces nouveaux entrants pour réussir à les conserver.
Une épreuve à option numérique a également été créée au sein du concours de sous-officier de la gendarmerie. Les meilleurs candidats sont regroupés au sein d'« e -compagnies » où ils reçoivent des formations numériques, en plus de la formation habituelle des gendarmes.
En effet, la prochaine crise sera cyber. De nombreuses collectivités, hôpitaux, etc. sont déjà attaqués. Le FBI nous a indiqué que même les hôpitaux israéliens, pourtant très protégés, étaient touchés.
Par ailleurs, les attentes très fortes en matière de protection de l'environnement font que les truands qui veulent aujourd'hui gagner beaucoup d'argent sans risque doivent se lancer dans le trafic de déchets. Une convention a par exemple été signée avec la Société du Grand Paris pour prévenir ce trafic. Nous avons pris ce sujet à bras-le-corps avec Europol et les autres forces européennes, ce qui fait régulièrement émerger des dossiers très lourds.
Le protocole social de la gendarmerie a été aligné sur celui de la police, ce qui élèvera les niveaux de rémunération, et permettra de créer une grille indiciaire accélérant les carrières des sous-officiers qui se porteront candidats dans les régions qui manquent de gradés. Les gendarmes sont parmi les plus mobiles des militaires, mais certaines régions restent peu attractives, et muter les personnels contre leur gré nuit à leur niveau de performance.
La gendarmerie a été mobilisée en Ukraine très rapidement, d'abord parce que ce sont des gendarmes mobiles qui protégeaient l'ambassade à Kiev, avec une équipe du GIGN, qui a été renforcée. Lors du passage de l'ambassade de Kiev à Lviv, une autre équipe du GIGN est allée sécuriser Lviv. Le GIGN a également assuré le transfert de Kiev à la Moldavie, durant 2 jours et demi, d'une cinquantaine de véhicules et de près de 200 personnes, dont plusieurs ambassadeurs européens. Durant les premières semaines du conflit, en effet, les seuls militaires armés en Ukraine étaient russes, ukrainiens ou français. Les mêmes gendarmes du GIGN ont ensuite ramené l'ambassade de Lviv à Kiev.
En relation bilatérale avec la justice ukrainienne, nous avons également envoyé des experts (avec un laboratoire d'analyse rapide d'ADN inventé par un gendarme il y a quelques années) aider les enquêteurs ukrainiens à déterminer comment étaient mortes les personnes retrouvées dans les charniers ou ailleurs. Nous avions également envoyé des experts en pièges, au cas où certains de ces corps soient piégés. Les Ukrainiens étaient déjà très bien équipés eux-mêmes, et les autopsies comme les modélisations de scènes de crimes ont rapidement été nombreuses. Seule la France a aidé à ce niveau les enquêteurs ukrainiens.