Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Sébastien Lecornu, ministre des Armées :

Toutes ces questions constituent un ordre du jour pour une prochaine audition : chacun comprend que l'on ne peut raisonnablement pas traiter les grands sujets qui concernent les armées et la défense nationale française en une seule fois. Mes réponses seront donc davantage des points d'accroche pour des discussions ultérieures avec moi-même ou d'autres collègues du Gouvernement, sous l'autorité du président Gassilloud. Nous sommes à la disposition du Parlement pour avancer.

Des projets sont en cours dans les domaines de l'énergie et du développement durable. Nous avons beaucoup de foncier, qui peut être utilisé pour produire de l'énergie verte. Nos nombreux bâtiments sont parfois d'épouvantables passoires thermiques. Nous devons faire mieux. La réponse à cette question pourra être détaillée ultérieurement.

En matière de désinformation, certains moyens peuvent être évoqués ; sur d'autres, il convient évidemment d'être plus discret. Le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) existe. Les gendarmes sont aussi à la manœuvre sur ces sujets, qui ont parfois des implications importantes sur le territoire national. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) y travaille également. C'est un sujet clé, sur lequel nous pourrons revenir lors d'une audition moins ouverte.

Un livre plus ramassé, qui ne traite pas uniquement des questions militaires, nous ramène aux grandes discussions stratégiques que nous évoquions par ailleurs. Elles deviennent tout autant économiques et industrielles qu'elles sont diplomatiques. Elles peuvent aussi être consulaires – les députés représentant les Français de l'étranger le savent – ou donner lieu à des échanges en matière d'enseignement supérieur ou de recherche. Un agenda plus global est à imaginer.

Je serai clair : le SCAF est un projet d'actualité. Il figure dans l'agenda de coopération, tant avec les Allemands qu'avec les Espagnols. Nous souhaitons qu'il puisse aboutir. Les négociations sont en cours entre les différents industriels – Dassault est bien le chef de file du projet. Les discussions avec mon homologue allemande se poursuivent. Le projet du SCAF comme celui du MGCS méritent une audition spécifique – les volets à aborder sont nombreux car les projets ne sont pas d'un seul tenant.

On retient beaucoup que Mme El Haïry est placée sous la tutelle du ministère des armées, mais elle est aussi rattachée au ministère de l'éducation.

Oui, les armées s'intéressent à la jeunesse. Retournant le propos, on pourrait se demander s'il faut arrêter le service militaire adapté (SMA) en outre-mer. Je le dis sans polémique : il est compréhensible que les députés siégeant à la gauche de l'hémicycle aient des craintes quant à une militarisation du SNU. Ma réponse entend les rassurer. Tout en ayant mes propres inquiétudes, j'espère qu'il n'y a pas un fond d'antimilitarisme dans le fait de remarquer que Mme El Haïry est rattachée au ministère des armées.

Dans d'autres dispositifs, éminemment républicains, ce sont des troupes de marines qui encadrent de jeunes volontaires. Je pense au SMA, le plus beau dispositif que la République ait pu donner aux territoires d'outre-mer, grâce auquel de jeunes ultramarins apprennent un métier ou passent leur permis de conduire. Nous reviendrons au débat que vous voulez engager sur une conscription citoyenne, si j'ai bien lu votre programme. Je pourrai vous répondre plus avant, comme la secrétaire d'État, qui se tient aussi à la disposition du Parlement.

Sur la question porte-avions, c'est l'un des gros morceaux d'une prochaine loi de programmation militaire. Une réflexion se tiendra bien sur ce sujet, avec le Parlement. Plus largement, c'est la question du groupe aéronaval qui est posée. Il faudra parler aussi du calendrier de l'avancement du programme Barracuda. Le principe de pouvoir toujours disposer d'un porte-avions est acté, c'est le tuilage qui fera l'objet d'arbitrages.

Le partenariat entre l'armée et l'enseignement supérieur est fondamental, du moins parce que j'assume la tutelle de grandes écoles – l'École polytechnique, l'École de l'air et de l'espace, notamment. Les liens avec l'aéronautique et l'aérospatial civil sont essentiels. Il y a des enjeux de recherche fondamentale et appliquée, sur lesquels nous pourrons revenir ultérieurement.

Quant à la NPRM, j'ai bien lu l'avis du CSFM, et me suis rendu devant ses représentants pour leur dire que j'avais bien reçu leur message. Je me laisse un peu de temps car je ne veux pas passer en force, ni enjamber cet avis. La réforme est toujours d'actualité mais, de toute évidence, nous devons insister sur certains points. Je vous en rendrai compte le moment venu.

Le spatial mérite aussi une audition propre. L'armée de l'air est devenue l'armée de l'air et de l'espace. C'est non seulement un changement de nom mais aussi des moyens, que vous avez votés – près de 4 milliards entre 2019 et 2023. Cela n'est pas sans incidence sur les programmes civils, notamment avec Ariane 6 et les enjeux de constellation de satellites, des sujets fondamentaux pour la souveraineté française et l'autonomie stratégique européenne.

Concernant l'aide directe à l'Ukraine, nous ne donnons pas de canons CAESAR sans transmettre un minimum de fondamentaux sur leur emploi. Des formations ont bien été dispensées. Les artilleurs ukrainiens sont plutôt de bons artilleurs, et disposent des rudiments d'entretien de ces camions porteurs de canons. Nous n'avons pas de réservistes français sur le territoire ukrainien.

L'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et le service de santé des armées se sont déployés. Le GIGN assure d'ailleurs encore la sécurité de notre ambassade. À Boutcha, l'IRCGN a réalisé un travail difficile d'identification criminelle. En tant qu'officiers de police judiciaire (OPJ), enquêteurs ou scientifiques, nos gendarmes sont aguerris à ces tâches. Sous l'autorité de la justice ukrainienne, notamment, ils ont accompli un travail important. Le ministre de l'intérieur vous donnera des précisions lors de son audition.

Le SGDSN, le ministère des armées, le ministère de l'intérieur et la gendarmerie travaillent ensemble sur les questions de cybersécurité, qui constitueront nécessairement des éléments d'une prochaine loi de programmation militaire. Elles sont au cœur de cette guerre qu'« il faut gagner avant la guerre », pour reprendre la formule du chef d'état-major des armées.

La situation de la réserve citoyenne dépend des armées : les gendarmes ont accompli beaucoup d'efforts récemment ; les marins ont développé une réserve citoyenne foisonnante et particulièrement implantée dans plusieurs endroits de la société française. D'autres armées ont pris du retard ; celles qui avaient pris de l'avance la perdent parfois. Cela dépend beaucoup de la personnalité des officiers qui pilotent la réserve. N'y voyez aucune critique : bien que formel, le réseau est souple, et dépend de la façon dont il est mené. Les recommandations du Parlement sur ces sujets sont les bienvenues. S'il faut être plus vigilant dans l'exécution et la conduite, nous le serons car rien n'est pire que de désespérer des personnes qui s'engagent.

Est-ce que les livraisons d'armes font de nous des cobelligérants ? La réponse est non. Le temps manque pour l'expliquer dans le détail mais cela est identifié, documenté. Nous ne faisons pas n'importe quoi. Je m'y engage devant vous.

On peut se demander si un équipement à la pointe technologiquement, mais en faible quantité, est préférable à des matériels nombreux, plus rustiques mais indispensables. C'est une question qui se pose dans le cadre du retex Ukraine et de la réflexion sur la résilience de la BITD. Un équipement performant dans dix ans est intéressant ; un matériel utile dès maintenant l'est également. C'est un équilibre : si, au Parlement comme au Gouvernement, notre génération de décideurs écrase tous les efforts d'innovation pour satisfaire des besoins court-termistes, dans dix ans, nos successeurs nous reprocheront d'avoir fait du surplace dans l'innovation, d'où les questions légitimes sur le spatial. Un équilibre doit être trouvé. En cela, la prochaine LPM sera plus équilibrée que les précédentes, qui prévoyaient soit de la réparation, soit un très grand effort d'innovation – le programme SCORPION en est un exemple.

La revalorisation du point d'indice de 3,5 % est déjà une réponse à l'inflation. La vraie question réside dans le rythme que celle-ci suivra en 2023, pour lequel des scénarios optimistes et pessimistes existent. Cela renvoie à une discussion globale, non seulement pour les armées mais pour l'ensemble des agents des fonctions publiques hospitalière, territoriale et de l'État – civils et militaires. Nous verrons, en fonction de la tendance, quelles mesures il conviendra de prendre. C'est cela qu'il faut que nous documentions, de manière globale.

Lorsqu'elles interviennent dans le champ militaire, les entreprises privées, qu'il s'agisse de cabinets de consultants ou de sous-traitants, ont des obligations liées au respect du secret, de la confidentialité, voire d'éléments du code de la défense. Au sein du ministère des armées, un service de renseignement, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ancienne direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), en assure le suivi. À ma connaissance, il n'a pas lancé d'alerte sur les cabinets de consultants. Je pourrai le vérifier : je n'ai rien à cacher en la matière. La loi est faite pour être respectée, par tout le monde, y compris par ces cabinets. Le Sénat – il faut savoir l'écouter – a établi que l'usage de ces cabinets au sein du ministère des armées était dûment proportionné et fidèle aux besoins de l'institution. Je me tiens là encore à votre disposition, y compris par écrit, si vous avez besoin d'éléments plus précis.

Quel est objectif final que nous visons en engageant nos moyens pour l'Ukraine ? Je reprendrai les propos du Président de la République, « la Russie ne peut ni ne doit gagner ». Si nous croyons aux frontières, à la souveraineté, à la liberté, à la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes – des principes qui nous rassemblent depuis 1789, quelles que soient nos opinions. Donc, oui, on ne peut pas avoir une volonté expansionniste et franchir une frontière. Parce que si on franchit la frontière ukrainienne, si nous-même on ne respecte pas la frontière ukrainienne, demain d'autres ne respecteront pas notre propre frontière. Je suis gaulliste et permanent en la matière – nous avions dit que nous ne ferions pas de politique, donc, je m'arrête là.

Tous les moyens d'acheminement des céréales hors de l'Ukraine sont examinées. La voie ferroviaire, la voie maritime et la voie terrestre posent chacune des problèmes de logistique ou d'interopérabilité mais nous n'avons en réalité d'autre choix que de travailler sur une combinaison des modes de transport. » La ministre des affaires étrangères pourrait répondre plus précisément sur ces sujets, car c'est elle qui les suit.

Dire que notre complexe militaro-industriel est « en lambeaux » est bien dur. Pourquoi se faire violence de la sorte ? Le savoir-faire français est incroyable et de nombreux pays rêveraient de disposer de notre base industrielle et technologique de défense. Il ne s'agit pas uniquement d'entreprises connues comme Dassault ou Naval Group : il existe dans vos circonscriptions un réseau de PME qui réalisent un travail formidable, qui créent de la richesse, de l'emploi et sont des modèles pour l'exportation.

Nous en reparlerons avec nos amis de LFI lors des grandes discussions stratégiques, mais il faut dire que la dissuasion nucléaire a tiré bien des choses vers le haut. Pourquoi Naval Group est Naval Group aujourd'hui ? Parce qu'il y a la propulsion et la dissuasion. Non, la BITD ne part pas en lambeaux, heureusement pour la France.

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