En réponse à vos questions, je commencerai par préciser que nous ne sommes ni les avocats ou ambassadeurs du Qatar, ni des procureurs à charge. Je rappelle en outre qu'il est question d'un accord intergouvernemental très précis, limité dans le temps, portant sur la sécurité des supporteurs et de nos agents. Néanmoins, nous n'allons pas éluder les questions relatives au contexte et j'ai mené les auditions nécessaires pour vous apporter des réponses.
Monsieur Jolly, le Qatar n'a pas l'habitude de gérer autant de personnes. Pour mémoire, il a une superficie équivalente à celle de la Corse et compte 2,7 millions d'habitants, dont 330 000 Qatariens. À l'occasion de la Coupe du monde de football, il anticipe l'accueil d'environ 1,5 million de personnes supplémentaires, soit une augmentation de la population de l'ordre de 50 %. On comprend aisément que les forces de l'ordre qatariennes ne sont pas dimensionnées pour cela.
Il était donc nécessaire pour le Qatar de nouer des coopérations. Pour l'organisation de la Coupe du monde, il s'appuiera sur une quinzaine de partenaires, dont la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne.
L'accord est important précisément parce qu'il protégera nos agents. Son article 9, relatif à la priorité de juridiction et aux garanties pénales, stipule dans son premier paragraphe : « Les infractions commises sur le territoire de la partie d'accueil par un agent de la partie d'envoi relèvent de la compétence des juridictions de la partie d'accueil, sous réserve des dispositions du paragraphe 2 ». Ledit paragraphe 2 précise : « Les autorités compétentes de la partie d'envoi exercent par priorité leur juridiction en cas d'infractions résultant d'un acte, négligence ou omission d'un de ses agents dans l'exercice de ses fonctions officielles […] ».
J'en viens aux incidents survenus le 28 mai dernier au Stade de France à l'occasion de la finale de la Ligue des champions. Dans une logique d'échange de bonnes pratiques, une délégation de quatre officiers du comité qatarien étaient en mission à Saint-Denis ce soir-là. Placés au cœur de l'action, ils ont pu vivre en direct une situation anormale, très complexe, émaillée d'incidents d'une extrême célérité – ils n'avaient jamais été confrontés à une telle situation au Qatar –, tout en identifiant les modes d'action réactifs et professionnels des unités engagées sur le terrain : les appuis de filtrage, de palpation, d'interpellation des fraudeurs et de bascule de forces, entre autres.
Ces incidents ont suscité quelques questions légitimes sur certains sujets spécifiques tels que les modalités de remontée et d'exploitation du renseignement, la coordination aux abords du stade, la lutte antidrones et la régulation des flux. Ces points ont alimenté des discussions avec l'attaché de sécurité intérieure, au retour de la délégation à Doha. Conscients de la difficulté d'un tel exercice, qui met en jeu une multiplicité de contraintes, les Qatariens n'ont pas perçu cette séquence négativement et cet événement n'a pas remis en cause la nature de notre partenariat, ni la pertinence de notre offre sécuritaire. Pour preuve, les demandes officielles transmises à la France sont postérieures aux événements survenus au Stade de France.
Nos forces ont l'habitude de travailler avec les forces qatariennes. Comme je l'ai indiqué dans mon intervention liminaire, nous avons assisté le Qatar lors des Jeux asiatiques en 2006, lors de plusieurs championnats du monde – de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d'athlétisme en 2019 – et lors de la Coupe arabe des nations de football en 2021.
Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question des conditions de travail. Dans la perspective de la Coupe du monde de football, qui a constitué un levier de changements importants en la matière, le Qatar s'est engagé en 2018 dans un partenariat de long terme avec l'OIT, qui dispose à Doha d'un bureau dont le mandat a été prolongé pour trois années supplémentaires.
Le Qatar a engagé plusieurs réformes : abolition du système de parrainage, autrement appelé « kafala » ; suppression du système d'autorisation pour quitter le territoire, dit « visa de sortie » ; suppression de l'obligation d'obtenir un certificat de non-objection pour changer d'emploi ; création d'une plateforme unifiée pour les plaintes et les litiges ; instauration d'un salaire minimum en mars 2021. Néanmoins, il y a des points de vigilance et il est nécessaire d'exercer un meilleur contrôle.
Selon les chiffres de l'OIT, plus de 300 000 travailleurs ont changé d'emploi entre septembre 2020 et mars 2022, mais un certain nombre de travailleurs sont encore confrontés à des difficultés, dues en partie au manque d'information sur les procédures et les réglementations relatives à la mobilité du travail. En outre, 80 000 travailleurs, soit 13 % de la population active, ont vu leur salaire de base augmenter, même si l'OIT signale qu'il y a encore des lacunes dans le versement des salaires. Enfin, le nombre de plaintes a atteint le chiffre de 25 000 en 2021, contre 11 000 l'année précédente, l'OIT relevant toutefois qu'il existe des délais importants pour qu'un travailleur reçoive une date d'audience.
Vous avez soulevé la question des accidents du travail et plus particulièrement des morts survenues sur les chantiers de construction des stades. Un rapport de l'Organisation internationale du travail a comptabilisé, en 2020, 50 décès et plus de 500 blessés liés à l'activité sur les lieux de construction. Émanant d'une agence spécialisée des Nations Unies, ce document infirme donc les chiffres avancés par le Guardian, qui faisait état de 6 500 morts depuis 2010. Il a par ailleurs permis de soumettre aux autorités qatariennes des pistes d'améliorations, notamment en matière de médecine du travail, de déclarations et d'indemnisations.
Plusieurs États européens – les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni – se sont engagés avec le Qatar dans une dynamique partenariale pour l'amélioration des conditions de travail et le renforcement du suivi des réformes, offrant leur expertise dans le cadre du bureau de l'OIT. Un accord tripartite a été signé entre l'OIT, la France et le Qatar en vue d'engager une coopération opérationnelle en matière de dialogue entre les employeurs et les employés au sein des entreprises, de transparence des offres d'emploi, d'inspection du travail et d'emploi féminin.
Plusieurs d'entre vous avez posé la question de la neutralité carbone. Il est vrai qu'en hiver, les stades n'auront pas besoin d'être climatisés. La Coupe du monde se déroulera de mi-novembre à mi-décembre, à une période où les températures sont bien plus clémentes – elles se situent entre 20 et 29 degrés en novembre et entre 15 et 24 degrés en décembre. Mais que se passera-t-il ensuite ?
Le Qatar et la FIFA se sont engagés en faveur du climat. La stratégie de développement durable de la Coupe du monde 2022, publiée dès janvier 2020, est la première initiative de ce type à être planifiée et mise en œuvre conjointement par la FIFA, le pays hôte et les organisateurs locaux. L'ensemble des infrastructures du projet, y compris les huit stades, doivent répondre à des critères de durabilité stricts. Le système de climatisation des stades permet une économie d'énergie de 40 % par rapport aux mécanismes traditionnels grâce à un système innovant de traitement de l'air et à l'architecture des stades conçus pour limiter la déperdition d'énergie.
S'agissant des transports urbains, la Coupe du monde du Qatar sera compacte, l'ensemble des matchs se déroulant dans la même ville – ils ne seront pas éloignés de plus de 75 kilomètres, contrairement à ce qui se passait lors des précédentes Coupes du monde. Le recours au métro et la circulation de bus 100 % électriques aideront à compenser les émissions de carbone.
Pour revenir à la conception des huit stades, ceux-ci seront économes en eau – 40 % de consommation de moins que dans des stades conventionnels – et en énergie, puisque des lampes électroluminescentes (LED) seront installées dans l'ensemble des sites et que l'énergie solaire sera massivement utilisée pour l'éclairage et la climatisation. Il s'agit d'un élément clé pour atteindre la neutralité carbone. Le Qatar est d'ailleurs en train de construire une centrale solaire à grande échelle de 800 mégawatts sur un terrain de 10 kilomètres carrés ; une fois le tournoi terminé, cette usine continuera à produire de l'énergie propre et renouvelable pendant des décennies. En outre, des stratégies efficaces ont été adoptées en matière de gestion des déchets.
J'en viens au recyclage des stades. L'un d'entre eux, d'une capacité de 40 000 places, a été construit avec des conteneurs et sera entièrement démantelé après la compétition – c'est une première historique – pour être offert un pays d'Afrique. Plusieurs autres, dont ceux d'Al-Thumama et d'Education City, seront amputés de la partie haute de leurs gradins à la fin du tournoi afin de réduire leur capacité de 20 000 places. J'ajoute que de nombreux espaces verts seront créés et que plus de 5 000 arbres seront plantés.
S'agissant de la tolérance et de l'ouverture, l'émir du Qatar, répondant à une question sur l'accueil des supporters LGBT+ lors d'une conférence de presse à Berlin, en juin dernier, s'est exprimé en ces termes : « Tout le monde est le bienvenu à Doha. Nous n'empêcherons personne de venir regarder des matchs de football. Nous accueillerons tout le monde mais nous attendons que notre culture soit respectée ». Ainsi, aucune restriction ne sera imposée aux couples non mariés et aux amis partageant la même chambre, quelle que soit leur orientation sexuelle. Il s'agira de concilier le respect de la vie privée, d'une part, et le respect de l'ordre public, d'autre part. Ainsi, les couples pourront réserver des chambres d'hôtel sans avoir à présenter de certificat de mariage, comme c'est d'ailleurs déjà le cas. Il faudra simplement veiller à ne pas troubler l'ordre public, en évitant par exemple de se trouver en état d'ébriété sur la voie publique. En temps normal, la vente et la consommation d'alcool au Qatar sont limitées aux seuls restaurants des hôtels ; elles seront élargies durant la compétition et autorisées dans des fan zones prévues à cet effet.
Concernant enfin le financement du culte musulman, la loi qatarienne de 2017 est très stricte : aucun financement ne peut sortir du pays sans autorisation du Gouvernement. La coordination et les communications entre la France et le Qatar sont très régulières. Le Qatar est d'ailleurs le pays du Golfe avec lequel nous échangeons le plus à ce sujet.