Intervention de Julie Laernoes

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulie Laernoes, rapporteure :

Il nous semble effectivement que l'Union européenne est à un moment assez carrefour. Elle a été construite comme une solution pour amener la paix sur notre continent. Cela a commencé avec le traité sur le charbon et l'acier en partant du principe que l'imbrication de nos économies empêcherait les États de se faire la guerre. Sa philosophie a été poussée avec les élargissements successifs pour faire de l'Europe un territoire de prospérité.

Cependant, il y a eu un désamour progressif de l'Union européenne, caractérisé par l'échec du référendum sur le traité constitutionnel dans les deux pays européens où il a été mené. C'est un signal important que nous devons entendre : l'Europe pour beaucoup de nos concitoyens s'est éloignée de son objectif premier et est aujourd'hui perçue comme lointaine, technocratique et libérale.

Pourtant, l'Europe est un échelon essentiel pour faire face à tous les défis actuels et à venir, en matière de santé, de protection sociale ou climatique. Seule l'Europe bénéficie d'une taille critique suffisante pour garantir sur la scène internationale la paix, la justice fiscale, les droits humains, sociaux et environnementaux. Les crises vécues ces dernières années ont démontré que l'Europe était bel et bien l'échelon pertinent pour répondre à ces crises. La santé et la défense ne font pas partie des compétences de l'Union mais, en temps de crises, l'Union européenne sait unir ses forces pour agir de manière collective.

Nous avons donc besoin de plus d'Europe pour faire face à ces défis, en surmontant la doctrine libérale qui guide actuellement notre Union. Notre objectif est de redessiner le visage de cette nouvelle Union, de façon à favoriser sa transformation d'une alliance économique en une véritable communauté politique. Une Europe sociale doit faire de la lutte contre la pauvreté une de ses priorités : la Conférence propose en ce sens plusieurs mesures concrètes comme un pacte social européen ou un cadre commun pour le régime de revenus minimum.

Nous avons aussi besoin de l'Union européenne pour structurer les réponses et les industries dont nous avons besoin dans le monde de demain. L'Union a cédé à la Chine notamment sur le photovoltaïque et nous en payons aujourd'hui les néfastes conséquences. Nous avons besoin de résolument nous tourner vers l'avenir et de voir ce que nous pouvons faire en commun.

Enfin, la conférence appelle également à une action de l'Union dans le domaine de la santé avec l'inscription de celle-ci comme compétence partagée. La pandémie a montré que les enjeux sanitaires ne connaissaient pas de frontières, et de nombreux États membres, parfois même fondateurs, sont confrontés à des déficiences dans leurs systèmes de santé. Là encore, l'Europe doit inciter les États membres à garantir un accès universel aux services de santé, y compris mentale, notamment en luttant contre les déserts médiaux.

« Plus d'Europe », cela signifie essentiellement trois choses : plus de compétences, plus de décisions et plus de démocratie.

Pour devenir cette « Europe du concret » que nous appelons de nos vœux, l'Union européenne doit acquérir « plus de compétences » sur des sujets fondamentaux, tels que la santé, le social et l'environnement.

Ensuite, la capacité à prendre « plus de décisions » implique de renoncer au système du vote à l'unanimité – qui bloque souvent les négociations européennes – pour lui préférer un système de vote à la majorité qualifiée. Ceci permettrait d'éviter l'usage excessif du droit de veto et de faire avancer des sujets clefs, tels que la politique sociale et la politique fiscale.

Enfin, pour « plus de démocratie », les institutions européennes doivent permettre aux citoyens de peser davantage sur les décisions qui les affectent directement.

La conférence sur l'avenir de l'Europe constitue de ce point de vue une première tentative pour rapprocher les citoyens de l'Union. Cet exercice de consultation inédit a été mené à bien malgré les conditions difficiles liées à la pandémie.

Des pistes d'amélioration existent. Il faut tout d'abord se rendre à l'évidence : au-delà des citoyens particulièrement au fait des questions européennes, très peu sont ceux qui ont entendu parler de la conférence sur l'avenir de l'Europe. Par ailleurs, le choix éminemment politique du Président de la République de ne pas décaler la présidence française du Conseil de l'Union européenne, en dépit de la juxtaposition avec la période électorale, explique peut-être en partie le manque d'intérêt en France pour cette conférence.

Reconnaître les limites de la démarche n'est en rien une offense aux citoyens et à l'exercice mené, mais constitue au contraire une remarque constructive pour que les futurs dispositifs de démocratie délibérative européenne ne soient pas de simples exercices médiatiques et symboliques.

Comme l'a dit le Président et co-rapporteur Pieyre-Alexandre Anglade, pour plus de démocratie, il faut promouvoir des listes transnationales, permettre aux citoyens de l'Union européenne de peser davantage dans le choix de la présidente ou du président de la Commission européenne, et renforcer les droits du Parlement européen en le dotant notamment d'un droit d'initiative législative. Toutes ces mesures sont essentielles pour accroître la légitimité démocratique de l'Union européenne et renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.

Je parviens donc à la même conclusion que celle des citoyens ayant participé à la conférence sur l'avenir de l'Europe. Pour plus d'Europe, il faut réviser les traités européens. Pour relever les défis auxquels elle est confrontée, l'Union européenne doit tendre vers plus de fédéralisme et réformer la manière dont fonctionnent les institutions. Pour parachever cet exercice démocratique, il convient de mettre en œuvre les propositions adoptées – dont une grande partie n'implique pas de révision des traités – et que toutes les institutions européennes se saisissent des conclusions pour y donner suite.

Toute impression de désintérêt de la part des institutions européennes ferait courir le risque d'un désengagement des citoyens, voire d'une montée de leur défiance. Nous sommes à un moment clef pour décider de ce que sera notre Union européenne. Le succès du projet européen dépend de notre capacité à susciter l'adhésion des citoyens à un projet résolument social et écologique. Nous ne pouvons pas construire l'Union par le haut, en restreignant le débat à une poignée d'intellectuels pro-européens.

Le principal legs de la conférence sur l'avenir de l'Europe est l'appel à construire, ensemble, une Europe qui protège. L'Union européenne ne doit pas être une instance obscure et distante des citoyens, alors qu'elle est absolument fondamentale pour relever les défis contemporains. La révision des traités doit permettre de donner un nouveau souffle au projet européen, pour fonder une Europe du concret et répondre aux différentes crises. Il nous appartient donc de faire sortir l'Europe de ses carcans libéraux pour redonner enfin du sens à cette Union.

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