Exactement : il faut créer un modèle dans lequel tous ceux qui bénéficient participent.
S'agissant du protectionnisme et des évolutions géopolitiques, on voit que des blocs de plus en plus centrés commencent à se constituer. Cela signifie, non pas que la mondialisation touche à sa fin, mais plutôt qu'une nouvelle géopolitique des rapports de force continentaux est en train de s'écrire. L'Europe doit s'y affirmer de toute sa représentativité et de tout son poids. Le NZIA y participe par le soutien qu'il apporte aux entreprises. J'ai veillé à ce que le nucléaire soit mentionné explicitement dans le texte, ce qui permettra de financer des réacteurs de troisième ou quatrième génération, et les fiouls. Il ne pouvait pas figurer dans l'annexe listant les domaines dits stratégiques qui bénéficieront d'une accélération d'autorisation de permis parce que les contraintes sur le secteur sont trop fortes pour le permettre. Ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas stratégique – j'espère que les colégislateurs modifieront ce terme malheureux –, mais seuls les composants nécessaires à la transition plus verte de notre énergie bénéficieront de cette accélération. Ainsi, la délivrance d'un permis pour une usine de pales d'éolienne prendra neuf mois au lieu de dix-huit, et il faudra dix-huit mois au lieu de trois ans pour une usine d'électrolyseurs. Mais une centrale nucléaire sera toujours soumise aux mêmes contraintes.
Le mix énergétique relève du choix exclusif des États membres. Seize pays, c'est-à-dire la majorité, ont exprimé leur soutien à l'initiative d'Agnès Pannier-Runacher de soutenir le nucléaire. C'est leur droit. On ne peut pas accepter qu'une minorité d'autres s'imposent à eux. C'est le traité et l'Europe fonctionne dans le respect du traité, qui est extrêmement clair à ce sujet.
S'agissant des sanctions, l'euro numérique n'est pas une réponse directe, bien évidemment. Les sanctions, car c'est ce dont il s'agit au fond, sont à la main du Conseil, donc des États membres – à l'heure actuelle, les discussions y sont assez nourries s'agissant des sanctions imposées à la Russie. Je ne veux donc pas répondre à la place du Conseil. La question que vous soulevez n'en est pas moins légitime. Elle est largement débattue et revue systématiquement, en permanence, portée par le Haut Représentant. Je m'en ferai l'écho auprès de lui, mais je ne peux jouer que ce rôle et ne veux pas sortir de ma condition.
L'euro numérique entre plus dans mes attributions. Il pourrait jouer un rôle très important aussi bien face à Visa ou Mastercard qu'en réponse aux interdictions qui peuvent affecter nos interactions personnelles quotidiennes, sans même que nous le sachions. Tout cela doit être clarifié ; c'est un vaste chantier.
Je termine en vous disant que mon rôle de commissaire au marché intérieur a été élargi par la volonté du Président de la République avant ma prise de fonctions à la Commission – je n'ai moi-même rien demandé. C'est la première fois, me semble-t-il, qu'un commissaire couvre un champ aussi large, avec le marché intérieur, le numérique, l'espace et la défense. J'ai ainsi en main un large spectre d'outils pour accroître, dans tous ces secteurs, notre autonomie stratégique telle que je vous l'ai décrite. Je le répète, l'autonomie stratégique et la souveraineté ne sont pas du protectionnisme. Nous ne sommes ni naïfs ni béats. Nous savons pertinemment que nous continuerons à coopérer et à interagir avec les autres, notamment avec la Chine, mais nous savons également que, pour ce faire, nous devons être confiants et conscients de nos forces.
L'Europe a des forces, l'Europe n'est pas faible. Pendant des décennies, les ennemis de l'Europe, et donc nos ennemis, n'ont eu de cesse de démontrer que l'Europe était faible, en essayant de jouer les uns contre les autres – ce qu'a fait la Russie, en particulier, depuis des décennies ; Vladimir Poutine n'aime pas le projet européen, il n'a cessé d'essayer de diviser l'Europe parce qu'il la redoute pour ce qu'elle est. Mais c'est notre destin. Nous ne demandons rien à personne, nous sommes ce que nous sommes et c'est pourquoi nous sommes plus forts. Mon rôle est aussi de faire prendre conscience aux Européens, aux industriels, que nous sommes plus puissants ensemble. Travailler ensemble signifie moins de barrières dans le marché intérieur, plus de fluidité, faire en sorte que chacun des États membres respecte ses obligations en matière de marché intérieur et de libre circulation des produits et des services. C'est ainsi que nous pourrons continuer à augmenter notre capacité de commercer, de dialoguer à égalité avec les autres grandes puissances de la planète. Je pense en particulier à la Chine et aux États-Unis.
Mon discours est très ferme et clair : nous sommes ce que nous sommes et nous ne sommes soumis ni à je ne sais qui ni à je ne sais quoi. En revanche, lorsqu'un pays qui a décidé d'une guerre sur notre continent cherche à y entraîner d'autres États en utilisant comme des armes les dépendances qu'il a pu créer chez eux par le passé, par excès de naïveté de leur part – je pense à la dépendance au gaz –, il est de notre responsabilité de nous découpler. On sait, au vu de ce qui se passe, que pendant des années sans doute, nous aurons du mal, à commercer avec ce grand pays qu'est la Russie, en tout cas dans le contexte voulu par Vladimir Poutine.
Ni naïveté ni soumission, donc, mais compréhension de ce que signifie, au XXIe siècle, être un grand continent. Car l'Europe est un grand continent.