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Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du lundi 19 juin 2023 à 18h00
Commission des affaires sociales

Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion :

En septembre dernier, j'ai sollicité des partenaires sociaux l'ouverture d'une discussion en vue de la conclusion d'un accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur dans les entreprises. Cet accord, que nous avons souhaité, a fait l'objet de discussions et abouti, le 10 février dernier, à un texte qui a recueilli la majorité des signatures, en l'occurrence des trois organisations professionnelles représentatives et de quatre des cinq organisations syndicales représentatives.

Je vous présente un projet de transcription dans la loi des dispositions de cet accord, guidé par la volonté de les respecter de manière intégrale et fidèle. Adopté par le Conseil des ministres le 24 mai dernier, ce projet de loi commence son cheminement parlementaire devant votre commission.

Par son contenu, le projet de loi issu de cet accord s'inscrit dans la lignée des réformes menées depuis 2017 pour revaloriser le travail, notamment pour améliorer le partage de la valeur. En 2019, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », avait permis de simplifier la passation d'accords d'intéressement et de participation dans les PME, et l'attractivité du régime social de ces dispositifs a parallèlement été renforcée pour les petites entreprises. Je pense également à la loi qui porte mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat votée en juillet 2022 et publiée en août 2022, qui facilite davantage encore le recours à l'intéressement dans les PME et instaure une nouvelle prime de partage de la valeur (PPV) après la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. Cette prime a amélioré concrètement le pouvoir d'achat des Français puisqu'elle a bénéficié à 5 500 000 salariés en 2022, pour un montant total distribué de près de 4,4 milliards d'euros.

Plus généralement, au regard, les compléments de rémunération apportés par les dispositifs de partage de la valeur, notamment d'intéressement et de participation, s'élevaient en moyenne en 2020 à 2 440 euros par salarié dans les entreprises de plus de dix personnes, soit un total de 19 milliards d'euros, qui fait de notre pays le deuxième en Europe – preuve de l'existence d'un modèle français – à faire le plus usage du partage de la valeur et atteste de cette volonté de revalorisation du travail.

Les partenaires sociaux ont tenu à faire figurer un principe en tête de cet accord pour rappeler que la rémunération du travail tient avant tout au salaire et que les dispositifs de partage de la valeur et les revenus qui en sont issus n'ont pas vocation à s'y substituer. Nous ne faisons aucune confusion, nous savons l'importance d'être exigeants tant sur le partage de la valeur que sur les négociations salariales. Ces deux objectifs ne sont d'ailleurs pas incompatibles : ce sont plutôt deux outils complémentaires.

Sur le sujet des salaires, j'ai réuni, mercredi 14 juin, le comité de suivi de la négociation salariale de branches, ce qui est important puisque nous traversons une période de forte inflation, et que le Smic a été revalorisé trois fois en 2022 et deux fois en 2023. Dans la mesure où nous avons fait le choix de remettre les grilles salariales à la responsabilité du dialogue social, il est essentiel de garantir le dynamisme de la négociation qui est le meilleur garant de la croissance des salaires et des grilles face à l'inflation.

Pour revenir au projet de loi, la volonté de partager la valeur créée par les entreprises répond à deux demandes importantes des Français : œuvrer encore davantage en faveur du pouvoir d'achat des salariés pour faire face à l'inflation, et répondre à une demande plus forte de participation des salariés dans la marche de leur entreprise, à une aspiration à être valorisés et mieux entendus, qui rejoint un désir de démocratie au travail.

Les mécanismes de partage de la valeur, notamment la participation et l'intéressement, ne sont évidemment pas nouveaux. C'est le programme du général de Gaulle qui a défini et posé des fondements du partage de la valeur tel que nous l'entendons. Ainsi, dès 1948, il proposait le régime de l'association avec la volonté de partager les résultats, le capital et la gouvernance de l'entreprise « de telle sorte que chacun participe directement aux résultats de l'entreprise à laquelle il apporte son effort ». C'est sur ce fondement que seront créés les intéressements et l'épargne salariale. Les lois Auroux de 1982 ont ensuite approfondi ces mécanismes.

Par ce projet de loi issu de l'accord conclu par les partenaires sociaux, nous proposons de poursuivre cette tradition et d'aller plus loin car, si les mécanismes sont anciens, leur usage reste trop inégal. Ainsi, si 70 % des salariés des entreprises de plus de cent salariés disposaient d'un accès à un dispositif de participation en 2020, seuls 3 % des salariés des entreprises de moins de neuf salariés et 6 % des salariés de celles comptant entre dix et quarante-neuf salariés y avaient accès. De fait, les entreprises de moins de cinquante salariés ne sont pas soumises à l'obligation de mettre en place la participation. Nous avons donc souhaité aller plus loin pour développer le partage de la valeur dans les petites entreprises, notamment dans celles de moins de cinquante salariés, mais aussi pour en faciliter et généraliser l'usage dans toutes les entreprises.

En le transposant dans la loi, nous nous engageons à respecter l'accord signé par les partenaires sociaux. En septembre 2022, je les ai invités dans un document d'orientation à engager cette négociation nationale interprofessionnelle pour améliorer les dispositifs de partage de la valeur en travail et capital et les généraliser dans les entreprises, ainsi que pour mieux les associer aux performances de l'entreprise.

Le dialogue social s'est ouvert, il n'a pas été interrompu pendant toute cette période et a permis d'aboutir à un accord. L'ANI a ainsi été conclu le 10 février 2023 et signé par les trois organisations patronales représentatives : le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises et l'Union des entreprises de proximité ainsi que par quatre des cinq organisations syndicales représentatives : la CFDT, la CFTC, FO et la CFE-CGC.

Je veux devant vous saluer leur travail et leur esprit ; c'est la preuve que le dialogue permet de construire des solutions concrètes et consensuelles aux bénéfices des Français sur des sujets qui font l'objet d'une forte attente de leur part. C'est la raison pour laquelle je présente ce texte sur le fondement d'un principe simple : l'accord et rien que l'accord.

Lors de l'ouverture de la discussion, nous nous sommes engagés à le retranscrire fidèlement, et c'est ce que propose le texte. D'ailleurs, pour garantir cette fidélité à l'accord, notre méthode a été de consulter et de coconstruire ce texte à chaque étape de son élaboration. Alors que votre commission s'apprête à l'examiner, je salue les travaux menés par votre rapporteur, mais aussi par d'autres députés, Mme Eva Sas en particulier. Par souci de cohérence, je le répète, nous souhaitons que l'équilibre du texte soit conservé. Cela ne signifie pas qu'il ne puisse être amélioré, mais le Gouvernement souhaite que toute amélioration et modification interviennent en accord avec ses signataires, sur la base d'un consensus entre les organisations syndicales et patronales.

Certaines stipulations de l'accord ne figurent pas dans le projet de loi. Cela a été souligné, à juste titre, par certains signataires. Nous considérons qu'il s'agit de mesures qui ne nécessitent pas de dispositions législatives ; elles peuvent être d'ordre réglementaire, de l'ordre de la pratique ou être satisfaites par le droit. Je pense notamment au principe de non-substitution. Nous pouvons trouver là des pistes d'amélioration.

Le projet de loi comporte quinze articles ; je me conterai d'en préciser certains.

Tout d'abord, pour souligner l'importance donnée aux classifications par les signataires de l'accord, les organisations doivent se réunir au sein des branches une fois tous les cinq ans pour examiner la nécessité de renégocier ces classifications dans le cadre des conventions collectives en matière de rémunération. Or en pratique, l'ancienneté moyenne des grilles révisées était d'environ douze ans en 2021. Pourtant, la révision des classifications est importante puisqu'elle permet de revoir l'éventail des salaires au sein d'une convention collective, donc de donner de la visibilité à des évolutions possibles au sein de cette branche.

C'est la raison pour laquelle le premier axe du projet de loi consiste à créer une obligation d'engager une négociation d'ici au 31 décembre 2023, en vue d'étudier la nécessaire révision des classifications des branches qui n'ont pas procédé à cet examen depuis cinq ans. C'est un engagement important pour l'amélioration des rémunérations et les parcours au sein des branches, a fortiori dans le contexte d'inflation que nous connaissons.

Ensuite, ce projet développe les dispositifs existants de partage de la valeur dans les PME. Il facilite le développement de la participation dans les entreprises de moins de cinquante salariés qui ne sont pas soumises à l'obligation de disposer d'un dispositif de participation, en donnant la possibilité de négocier par accord de branche ou d'entreprise des formules dérogatoires à la formule légale de participation.

La formule légale peut constituer un frein au développement du partage de la valeur dans ces petites entreprises ; l'accord permet de le lever. En cela, le texte autorise la négociation de formules de participation dérogatoire à la formule légale dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Ainsi, la base de calcul retenue pourra être un pourcentage du bénéfice net fiscal ou du résultat comptable avant impôt, offrant une réserve spéciale de participation supérieure ou inférieure à ce que prévoit la formule légale, ce qui est une souplesse supplémentaire donnée à ces entreprises de moins de cinquante salariés.

Je souhaite évoquer trois des dispositions les plus marquantes du projet de loi.

D'abord, les entreprises de onze à cinquante salariés auront jusqu'au 31 décembre 2024 pour instaurer un dispositif de partage de la valeur dès lors qu'elles dégageront un bénéfice net fiscal positif supérieur à 1 % de leur chiffre d'affaires trois années consécutives. Les partenaires sociaux ont affirmé qu'il n'y a pas de raison que les entreprises de plus de cinquante salariés doivent absolument mettre en œuvre un tel dispositif de partage de la valeur et pas celles de moins de cinquante salariés qui le peuvent. Il y avait là un manque, que cet accord, puis le projet de loi proposent de combler.

Ensuite, les entreprises de plus de cinquante salariés, soumises à l'obligation de mise en place d'un dispositif de participation, auront jusqu'au 30 juin 2024 pour négocier des conséquences en termes de partage de la valeur dans les entreprises en cas de bénéfice exceptionnel.

Enfin, le dispositif d'exonération fiscale sur la prime de partage de la valeur applicable aux salariés dont la rémunération est inférieure à 3 Smic, créé par la loi du 16 août 2022, sera prolongé jusqu'au 31 décembre 2026 dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Ce sont des mesures d'envergure destinées à généraliser les dispositifs de partage de la valeur aux petites entreprises et à revenir sur l'inégalité entre les salariés des petites et des grandes entreprises.

Le projet de loi propose de créer de nouveaux outils et de rénover certains dispositifs. Il crée, par exemple, un plan de partage de la valorisation de l'entreprise d'une durée de trois ans, mis en place par accord avec l'ensemble des salariés ayant au moins un an d'ancienneté. Les salariés pourront bénéficier d'une prime dans le cas où la valeur de l'entreprise a augmenté sur les trois années de la durée du plan. Cet outil innovant intéresse financièrement les salariés à la croissance de la valeur de l'entreprise et les fidélise, ce qui rapproche donc l'intérêt des salariés de celui des propriétaires de l'entreprise et des actionnaires, puisqu'ils bénéficient ensemble de sa valorisation.

Le projet facilite également l'utilisation de la PPV, dont j'ai dit le succès il y a un instant. Les entreprises pourront désormais verser jusqu'à deux primes par an au lieu d'une seule, et la prime pourra être versée sur un plan d'épargne salariale afin que les salariés bénéficient d'une exonération fiscale pour les sommes bloquées.

Les articles 9 à 12 prévoient une série de simplifications et d'assouplissements, comme la sécurisation du versement d'avance par trimestre pour la participation et l'intéressement.

Enfin, le projet de loi développe l'actionnariat salarié ; c'est là une réponse claire des partenaires sociaux à la demande d'une plus large participation. Le projet autorise notamment l'ouverture d'une plus grande portion du capital aux salariés actionnaires en augmentant les plafonds de versement d'actions gratuites aux salariés. Il permet aussi la promotion d'une épargne verte, solidaire et responsable. Dans le cas des plans d'épargne entreprise et plans d'épargne retraite entreprise, les entreprises devront proposer au moins un fonds finançant la transition écologique ou socialement responsable. Par ailleurs, l'amélioration de la gouvernance des fonds d'actionnariat salariés est prévue, en obligeant à plus de transparence sur la politique d'engagement actionnarial.

Ce projet de loi participe ainsi à deux objectifs : un objectif de fond consistant à améliorer le partage de la valeur et à permettre aux salariés concernés d'accéder à plus de pouvoir d'achat ; un objectif de méthode en restant fidèle à une transcription intégrale de l'accord conclu par les partenaires sociaux.

Tout au long de l'examen du texte, notamment en séance, le Gouvernement veillera à fonder son avis sur le consensus des signataires de cet accord, comme nous l'avons fait d'ailleurs pour expliquer ou accompagner la présentation de ce projet de loi de quelques nuances ou modulations par rapport au contenu exact de l'accord, à la suite de l'avis du Conseil d'État. C'est cette méthode de fidélité à l'accord et à l'engagement des signataires que je vous propose de respecter avec nous.

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