Cette proposition de loi vise à régulariser les documents d'urbanisme de la communauté de communes du Bas-Chablais, située dans mon territoire haut-savoyard, afin de permettre la réalisation d'un projet autoroutier unanimement souhaité par la population et les élus locaux, dont il avait été question pour la première fois en 1932.
Le Chablais, qui se situe entre le Lac Léman et les montagnes, est un territoire extrêmement attractif et dynamique en matière économique, touristique et démographique – on compte entre 10 000 et 12 000 habitants supplémentaires par an en Haute-Savoie. Cette attractivité n'est pas seulement liée à la proximité de la Suisse, qui est un atout pour les travailleurs, mais aussi au tourisme et au propre développement économique du territoire. Ce dernier est néanmoins freiné par un enclavement qui n'a que trop duré.
En effet, le manque de mobilité est évident. Ce territoire de plus de 140 000 habitants n'est actuellement desservi que par des routes départementales. Les infrastructures ferroviaires se sont développées, notamment avec un nouveau réseau express régional (RER) transfrontalier, inauguré en 2019, mais celui-ci est largement saturé : alors qu'on envisageait 40 000 ou 50 000 usagers, on en est déjà à 70 000. Comme il n'existe aucune possibilité d'élargissement de la voie, à court ou moyen terme, c'est une commande de rames à double niveau qui a été retenue pour accueillir les passagers.
Il est indispensable de favoriser le développement d'infrastructures multimodales, et c'est la stratégie défendue par tous les élus, mais la voiture reste malheureusement le moyen de transport le plus adapté à nos territoires de montagne, et privilégié par la population.
Il est important d'avoir en tête que les principaux axes de la traversée du Chablais sont totalement saturés. Des ralentissements encombrent chaque jour les cœurs de village, ce qui, outre les conséquences en matière de sécurité – on déplore des accidents mortels – conduit à diverses nuisances. Les embouteillages permanents posent aussi des questions de santé publique : les habitants de certains villages se retrouvent à plus de deux heures de route des hôpitaux les plus proches, qui ne sont pourtant distants que de quelques dizaines de kilomètres. S'y ajoutent de véritables problèmes de santé environnementale – je le dis aussi en tant que présidente du groupe santé environnement, instance de suivi du plan national santé environnement – liés aux émissions de gaz à effet de serre, qui sont deux fois plus importantes lorsque les véhicules se trouvent dans un bouchon qu'en cas de circulation fluide. La consommation d'essence double aussi, puisqu'on s'arrête et redémarre sans cesse.
Autre dommage collatéral pour les petites communes, les automobilistes à la recherche de solutions alternatives s'engagent sur de petites routes, ce qui engorge des accès critiques.
Voilà donc un territoire où la spécificité géographique se conjugue à un manque cruel d'infrastructures de mobilité. Cette situation conduit à des difficultés sanitaires, sécuritaires et économiques très préoccupantes.
Même si les premières traces remontent à 1932, cela fait quarante ans que les élus travaillent activement à un projet d'autoroute. C'est une attente et même une urgence pour tous les habitants. À quelques exceptions près, ce projet fédère tout le territoire.
Pourquoi le législateur doit-il intervenir au sujet des documents urbanistiques, alors que ces derniers relèvent plutôt du pouvoir réglementaire ? Cette proposition de loi est atypique, mais pas unique. Plusieurs cas liés à des situations similaires ont été relevés dans la législation. Le seul objectif du législateur, dans cette affaire, est de rétablir sans délai les effets utiles de la déclaration d'utilité publique en ce qui concerne la mise en compatibilité des documents d'urbanisme dans le périmètre du PLUi du Bas-Chablais.
L'incompatibilité entre le PLUi et le projet d'autoroute résulte d'une erreur de d'intégration au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par le territoire, et absolument pas d'une sédition des collectivités. Tous les autres documents d'urbanisme et de planification – le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) des communes – ainsi que d'autres composantes du PLUi prennent déjà en compte le projet.
Cette proposition de loi ne vise pas à contourner le droit ni à déroger au code de l'urbanisme, mais à réparer une erreur matérielle et à apporter une solution à une situation inextricable. De prime abord assez technique, ce texte révèle, s'il le fallait, la complexité des cadres administratifs, réglementaires et juridiques dans lesquels s'inscrit au quotidien l'action des élus, qui parfois manquent de ressources pour apporter des réponses adéquates.
Les documents d'urbanisme locaux se sont multipliés et les procédures formelles qui encadrent leur élaboration se sont rigidifiées et allongées. Il en découle une insécurité juridique. Il faut désormais entre quatre et six ans pour élaborer un PLU et peu de maires ou de présidents d'intercommunalité sont en mesure de mener à bien la révision de ces documents sans avoir recours à des cabinets spécialisés et à des conseils juridiques.
Le fait intercommunal, s'il a accentué le dialogue territorial et les solidarités, s'est révélé une source de complexité au fur et à mesure des créations d'EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), des fusions et des transferts de compétences. L'écriture d'un PLU couvrant une commune, comme c'était auparavant le cas, est sans comparaison avec l'établissement d'un PLUi concernant vingt, cinquante, voire cent communes.
Ce rappel du contexte était indispensable à la compréhension de ce dossier. L'ensemble des collectivités territoriales du Bas-Chablais travaillent depuis plusieurs décennies à la réalisation d'une liaison à deux fois deux voies entre Machilly et Thonon-les-Bains qui permettrait de désenclaver le bassin et d'assurer non seulement son développement mais aussi la sécurité des riverains.
Avec l'accompagnement de l'État, les collectivités concernées ont donné en 2017 une nouvelle impulsion à ce projet de liaison, dans le cadre d'une concertation publique, d'une évaluation environnementale et, en 2019, d'une déclaration d'utilité publique (DUP).
Afin de prendre en compte le projet dans sa globalité et de faciliter sa réalisation, la DUP a prévu, comme le permet le droit, la mise en compatibilité simultanée des plans locaux d'urbanisme des dix communes concernées. La DUP a ainsi ouvert la voie à la réalisation du projet, très attendu par les parties prenantes.
Ici intervient un contexte particulier : la communauté de communes du Bas-Chablais avait précédemment engagé, en 2015, avant la relance du projet de liaison à deux fois deux voies, l'élaboration d'un PLUi. Entre-temps devenue communauté d'agglomération, elle a finalisé le PLUi début 2020. Si la DUP du projet routier avait prévu la modification des anciens plans locaux d'urbanisme, elle n'avait pas anticipé le fait que l'adoption du nouveau PLUi viendrait peu après « écraser » ces modifications.
Comble de la difficulté, une fois ces problèmes identifiés, il s'est révélé impossible pour l'agglomération de modifier son PLUi avant son approbation, puisqu'il avait déjà été soumis à concertation et enquête publique, et impossible pour l'État de prendre une DUP modificative, puisque la jurisprudence du Conseil d'État ne permet pas de le faire à projet constant. Qui plus est, toute modification du PLUi, à peine adopté, devrait passer par la procédure la plus contraignante, qui ferait recommencer, une par une, toutes les étapes de l'évaluation, de la concertation et de l'enquête publique.
Bien qu'atypique, cette proposition de loi a donc un objet très simple : le texte vise à étendre les effets de la mise en compatibilité prévue par la déclaration d'utilité publique au nouveau plan local d'urbanisme intercommunal, afin de permettre au projet de se poursuivre sans délai injustifié.
Souhaitons-nous qu'un projet d'infrastructure d'intérêt général, déjà passé par l'ensemble des étapes administratives nécessaires à sa réalisation, soit mis en échec du simple fait de l'enchevêtrement de procédures d'urbanisme parallèles les unes aux autres ? Telle est la question que je vous pose ce matin.