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Intervention de Gabriel Attal

Réunion du mardi 13 juin 2023 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gabriel Attal, ministre délégué :

M. Reda a raison d'insister sur la nécessité d'anticiper la formation des agents des douanes. La spécificité de ce texte est que les nouvelles modalités du droit de visite s'appliqueront au lendemain de sa promulgation. Comme il fait suite à une censure du Conseil constitutionnel, il était difficile de prévoir une entrée en vigueur différée. Nous avons donc déjà engagé la formation des agents, avec évidemment un suivi permanent des évolutions introduites par le Parlement dans le cadre de la navette, pour y adapter cette formation.

Pour répondre à M. Dessigny, il n'y a pas de remise en cause du droit de visite. En revanche, celui-ci serait remis en cause si nous ne votions pas ce texte. Nous ne pouvons pas abandonner le minimum d'encadrement qui a été prévu, car nous risquerions une nouvelle censure. À l'inverse, alourdir ses modalités de mise en œuvre, comme le proposent certains, poserait des problèmes opérationnels. Nous devons donc trouver un équilibre.

J'aurais préféré que nous ne soyons pas obligés de revoir le droit de visite, mais je respecte la décision du Conseil constitutionnel. C'est la commission des lois qui examine les articles concernés, mais je pense que les modalités que nous avons prévues sont équilibrées. Dans le rayon de la frontière, rien ne changera pour les douaniers : nous avons codifié de la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation qui correspond déjà aux pratiques des agents. En revanche, un nouveau cadre entrera en vigueur à l'intérieur du territoire. Le droit de visite continuera à s'appliquer, sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner une infraction douanière ou d'une information du procureur de la République – une information par tout moyen : j'étais très attaché à ce qu'il ne s'agisse pas d'une autorisation.

Concrètement, si des agents veulent contrôler un axe secondaire qui n'est pas dans le rayon de la frontière, ils n'auront qu'à prévenir le procureur ou son substitut de l'existence de cette opération. Nous avons réussi à trouver un schéma équilibré, permettant de lever la crainte que nous avions au départ de ne quasiment plus pouvoir exercer le droit de visite dans l'intérieur du territoire.

Enfin, non, nous ne faisons pas cette réforme à cause de l'Europe. Nous avons réécrit le droit de visite à la demande du Conseil constitutionnel de la France, qui s'est prononcé sur le fondement de la Constitution française ! L'Europe a parfois bon dos dans vos arguments.

Je ne m'étends pas sur la question de Mme Leduc concernant les comparaisons avec les autres pays européens. Ainsi que je l'ai déjà dit à M. Coquerel, elles ne sont pas opérantes dès lors que les agents ne réalisent pas les mêmes missions.

S'agissant des organisations syndicales, les représentants de la direction générale des douanes qui m'accompagnent ont trouvé assez drôle l'idée qu'elles n'avaient pas été associées et qu'elles avaient découvert la nouvelle rédaction de l'article 60 dans la presse. Nous avons réuni les syndicats au lendemain de décision du Conseil constitutionnel et ils sont intervenus à chaque étape du processus, ce qui explique d'ailleurs que celui-ci ait pris du temps. Franchement, votre version des choses fait sourire. Nous avons également constitué un réseau de référents, avec seize douaniers de terrain associés à la rédaction du nouveau droit de visite : nous voulions être certains qu'il correspondrait aux réalités du terrain et aux attentes des personnels. Je vous invite à aller vous-même les rencontrer pour être au fait de ces sujets.

Pour répondre à Mme Dalloz, ainsi qu'à Mme Bonnivard, les réductions d'effectifs qui ont pu s'observer ces dernières années sont uniquement liées aux transferts de missions de fiscalité des douanes vers la DGFIP. Elles n'ont concerné que les postes qui étaient chargés du recouvrement de ces taxes. À périmètre constant, les effectifs n'ont pas diminué. Un renforcement sensible des moyens techniques est en outre prévu, puisque j'ai annoncé un plan massif de réinvestissement de 45 millions sur deux ans, qui concernera notamment les territoires frontaliers. Ce plan permettra de financer l'achat de nouveaux scanners, fixes et mobiles, et de plusieurs centaines de lecteurs automatisés des plaques d'immatriculation supplémentaires.

Grâce à ce projet de loi, ces lecteurs automatiques devraient être beaucoup plus efficaces pour lutter contre les trafics, notamment de tabac. Une expérimentation va être lancée. Aujourd'hui, les lecteurs automatisés scannent les plaques d'immatriculation qui entrent dans notre pays et les comparent avec le fichier des véhicules volés. Demain, si le texte est adopté, nous devrions être capables d'identifier des plaques d'immatriculation qui circulent régulièrement à proximité l'une de l'autre. Elles pourraient correspondre par exemple à un convoi transportant des marchandises prohibées.

Des scanners seront également installés dans les centres de tri postaux. À partir de 2025, je souhaite que tous les colis arrivant par fret express en provenance de pays extérieurs à l'Union européenne soient scannés. Nous savons en effet que du trafic de tabac est effectué par l'envoi multiple de petites quantités : même si une partie des colis est retenue, les autres passent.

Comme l'a indiqué Mme Goulet, la contrefaçon est un vrai sujet de préoccupation. L'an dernier, nous avons trouvé, en France, cinq usines de fabrication de cigarettes contrefaites, ce qui n'existait auparavant que dans les pays de l'Est de l'Europe. Chacun de ces hangars comptait des lignes de production capables de produire entre 1 et 2 millions de cigarettes par jour. C'est sidérant. Et cela pousse à se demander comment les machines-outils ont pu entrer sur notre territoire…

Quoi qu'il en soit, j'assume d'en faire une priorité. Nous pouvons agir en identifiant les précurseurs et les filtres à nos frontières. Un travail important est mené au niveau européen pour être plus efficace. J'ai par ailleurs demandé à la direction des douanes et à la DNRED d'identifier les outils importés pour construire ces lignes de production et de les contrôler. Le problème étant que lorsqu'ils transitent par petits bouts, il peut être difficile de les repérer.

Nous pourrons étudier la question de la réserve citoyenne, mais je pense qu'il est préférable d'avancer par étapes.

S'agissant du bilan des transferts, nous respectons le calendrier qui a été fixé. La dernière grande opération concernera la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui sera transférée en 2025. Les dispositions législatives qui fixent le schéma de transfert ont été adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2023. Ce dernier ne remet pas en cause la compétence douanière pour le contrôle des produits pétroliers dans les régimes suspensifs. Le transfert de compétence ne porte que sur la collecte de la taxe.

M. Bouloux a exprimé des inquiétudes concernant la réserve opérationnelle. Il n'est évidemment pas question de confier des armes à feu à des jeunes qui n'auraient eu que deux semaines de formation. Nous reprenons exactement les modalités prévues dans la loi pour la réserve opérationnelle de la police nationale. Un décret en Conseil d'État viendra préciser les exigences de formation, qui seront assez élevées, pour les agents de la réserve opérationnelle qui pourraient être amenés à porter une arme. Le fait d'exercer ou d'avoir exercé un métier dans lequel une arme est portée constituera un prérequis important. Toutes les diligences en termes d'enquêtes administratives seront par ailleurs réalisées pour celles et ceux qui rejoindront cette réserve.

En ce qui concerne la méthode, M. Bouloux s'étonnait également que nous ne présentions ce projet de loi que maintenant alors que nous savions depuis huit mois qu'un texte était nécessaire. C'est qu'un énorme travail a été réalisé par la direction générale des douanes, à laquelle je veux rendre hommage, en lien avec la Chancellerie, le Conseil d'État et des juristes spécialisés en droit douanier. Une concertation a eu lieu avec les organisations syndicales – on ne peut pas à la fois nous demander d'associer les syndicats et nous reprocher que cela prenne du temps. C'est pour éviter une censure du Conseil constitutionnel que nous avons travaillé étroitement avec le Conseil d'État, qui a validé la rédaction qui vous est soumise. Nous voulons donc conserver l'équilibre trouvé, car il n'y a pas de raison de douter de sa constitutionnalité.

Être trop ferme avec les trafiquants de tabac risquerait-il de les orienter vers le trafic de stupéfiants ? Pour ma part, je pense que nous devons être durs avec tout le monde. Mais ce qui est sûr, c'est que nous devons l'être plus qu'aujourd'hui avec les trafiquants de tabac. Certains réseaux mafieux qui ne s'intéressaient qu'aux stupéfiants se tournent en effet vers le tabac, parce que ce trafic est lucratif et que les sanctions sont moindres. Nous devons donc les renforcer et poursuivre la lutte contre tous les trafics.

Pour répondre à M. Jolivet, les prérogatives des officiers de douane judiciaire et des officiers de police judiciaire sont identiques : c'est le champ d'attribution qui est différent. Le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), qui va devenir l'Office national antifraude (ONAF), doit être plus efficace et disposer d'une plus grande souplesse. Pour cette raison, le plan de lutte antifraude prévoit un élargissement des compétences des officiers de douane judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires du SEJF, qui pourront couvrir l'ensemble des fraudes aux aides publiques. Ils pourront se saisir d'office des dossiers lorsqu'ils découvrent de potentielles infractions au cours de leurs enquêtes.

Concernant l'articulation de ce projet de loi avec la réforme de l'Union douanière, la Commission a effectivement présenté un paquet très ambitieux en mars. Celui-ci prévoit une refonte du régime des opérateurs agréés, la mise en place d'un lac de données européen, un ciblage coordonné des contrôles dans tous les États membres et même la création d'une agence européenne des douanes. Il s'agit d'un texte majeur, que la France a soutenu très fortement pendant la présidence française de l'Union européenne. Nous restons très favorables à cette réforme, qui permettra d'éviter le syndrome du « maillon faible », avec des États qui négligent les contrôles aux frontières du marché intérieur, soit par intérêt économique, soit par manque de moyens.

J'ai répondu à la question de Mme Arrighi relative aux transferts vers la DGFIP. Les ports francs sont un sujet de préoccupation. Des stocks importants d'œuvres culturelles, qui s'accompagnent de risques de blanchiment élevés, existent notamment en Suisse. Nous sommes vigilants au niveau européen, particulièrement concernant la Suisse et le Luxembourg. Tous les pouvoirs prévus dans le projet de loi pourront être mobilisés, ainsi que d'autres actions, comme la surveillance de l'importation d'œuvres d'art, effectuée avec le ministère de la culture. Une politique spécifique existe dans ce domaine.

L'activité migratoire représente 12,1 % des missions opérationnelles des douanes en 2022. J'évoquais tout à l'heure les 1 500 gardes-frontières : très précisément, ce sont 1 654 douaniers qui sont mobilisés sur les points de passage frontaliers.

Pour répondre à M. Castellani, la rédaction du texte est assez claire concernant le fonctionnement de la retenue temporaire d'argent liquide. Les modalités s'inspirent de la retenue d'argent liquide à la frontière. Nous prévoyons de l'étendre au sein du territoire national, pour prendre en compte le phénomène des « mules » qui viennent de Guyane et qui transportent de la cocaïne jusqu'en métropole. Selon les estimations faites l'an dernier, chaque vol entre Cayenne et Paris compterait une vingtaine de « mules ». Nous en interpellons au départ et à l'arrivée, mais certaines parviennent à passer.

Nous nous sommes rendus en Guyane avec Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin il y a quelques mois, afin de mettre en place une politique de systématisation des contrôles au départ. Nous renforçons notre efficacité, mais ce problème reste un fléau. Quelques milliers d'euros sont proposés à des jeunes pour qu'ils transportent un kilo ou un kilo et demi de cocaïne dans leur ventre. Une grande partie de la cocaïne qui circule, notamment en Île-de-France, est liée à ce trafic.

Sachant que les « mules » sont plusieurs dizaines par vol et qu'il y a en moyenne deux vols par jour, on peut avoir une idée de l'intensité du trafic. Pouvoir retenir l'argent liquide avec lequel ces jeunes veulent rentrer en Guyane une fois qu'ils ont livré la drogue peut être dissuasif. Les cas de retenue, la durée et les voies de recours sont décrits dans le texte. D'ici à la séance, je souhaite néanmoins que nous puissions travailler avec la rapporteure afin de préciser les modalités de saisie de cet argent liquide, point sur lequel la rédaction n'est pas satisfaisante.

M. de Courson m'a demandé pourquoi nous avions prévu 300 postes au sein de la réserve opérationnelle : parce que ce dimensionnement nous semble réaliste, s'agissant à la fois des volumes de recrutements – 150 personnes par an sur deux ans – et du budget. Le coût de la formation est estimé à un million d'euros. Une force de 300 agents permet de faire face à beaucoup de situations d'urgence.

Enfin, M. Da Silva m'a interrogé sur l'enjeu de l'attractivité. Dans le cadre de cette réserve, la douane pourra intervenir dans les écoles et les lycées. Cette démarche répond à des inquiétudes exprimées dans plusieurs amendements. Elle s'inscrit dans une stratégie plus large d'amélioration de l'attractivité du recrutement au sein des douanes. Nous rencontrons en la matière les mêmes problèmes que la police et la gendarmerie. Une campagne de communication présentant les métiers de la douane est en préparation et sera diffusée prochainement.

Nous parlons des douaniers grâce à ce texte, mais ils sont peu visibles dans le débat public. Ils jouent un rôle essentiel, mais nous ne mettons pas suffisamment en évidence la diversité et la richesse de leurs métiers : il est possible de faire toute une carrière au sein des douanes en changeant radicalement de fonctions, par exemple en passant de la surveillance à la filière commerciale.

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