La lutte contre l'évasion fiscale n'étant pas un programme budgétaire en soi, il se révèle difficile d'accéder à des données précises. J'ai donc auditionné la DGFiP la semaine dernière, en espérant des chiffres récents et pertinents. Les fonctionnaires qui m'ont répondu ont fait preuve d'une parfaite transparence. Ils m'ont confirmé qu'ils ne disposaient pas d'une présentation agrégée des crédits et des effectifs consacrés à la lutte contre l'évasion fiscale : cela supposerait d'additionner certains crédits des programmes 156, 218 et 302 avec les dépenses d'autres ministères participant à la lutte contre l'évasion fiscale, par exemple le budget du parquet national financier. Quoiqu'il s'agisse d'un travail de fourmi, les agents de l'administration en sont évidemment capables. Ils manquent seulement d'un ordre allant dans ce sens. Il s'agit donc d'une question de volonté politique.
Dans mon rapport spécial publié au mois d'octobre dernier, j'avais demandé la mise en place d'un tel chiffrage afin d'enrichir le document de politique transversale (DPT) consacré à la lutte contre la fraude aux prélèvements obligatoires. J'avais également proposé la création d'une direction interministérielle de lutte contre l'évasion fiscale et d'un programme budgétaire dédié. Leur mise en place nous permettrait de débattre sereinement des besoins de l'action publique dans ce domaine. J'alerte donc de nouveau sur la nécessité de ces outils pour permettre un débat éclairé.
Malgré l'absence de données fiables sur l'action publique dans la lutte contre l'évasion fiscale, quelques commentaires sont possibles. Depuis 2017, le Gouvernement communique sur les droits et pénalités soumis à recouvrement, hors crédits d'impôt et taxes non remboursés. Cet indicateur n'étant publié que depuis cette date, il est impossible de comparer son niveau de 2022 avec celui d'années antérieures à 2017. Pourtant, tous les autres indicateurs disponibles laissent penser que les résultats de la lutte contre l'évasion fiscale étaient bien meilleurs dans la première partie des années 2010, notamment en 2015.
De plus, la DGFiP m'a communiqué les sommes réellement encaissées en 2022 : ce sont 10,6 milliards d'euros qui sont entrés dans les caisses de l'État, soit 300 millions d'euros de moins qu'en 2021, alors que l'évasion fiscale coûte chaque année 80 à 120 milliards d'euros aux caisses de l'État. Précisément, 5,8 milliards d'euros de droits et pénalités sont provenus du contrôle sur pièces et 8,8 milliards de contrôles sur place, pourtant bien plus rares. Les contrôles sur place se révèlent donc beaucoup plus rentables. Or leur nombre n'a cessé de baisser ces dernières années, ce qui semble expliquer ces plus faibles résultats.
Bien évidemment, les contrôles sur place demandent des effectifs. Or je crains que les 1 500 agents supplémentaires prévus pour le contrôle fiscal l'année prochaine par votre plan de lutte contre les fraudes, monsieur le ministre délégué, risquent de ne pas suffire. Il s'agira en outre de redéploiements. Les agents affectés au contrôle fiscal risquent donc de manquer ailleurs. De plus, ce nombre est inférieur à celui des 1 600 postes perdus au contrôle fiscal les années précédentes. Le contrôle fiscal a perdu 4 000 agents depuis 2010 si l'on en croit le projet de loi de programmation de finances publiques pour les années 2023 à 2027, et cette tendance devrait se poursuivre au cours du quinquennat. L'exécution 2022 montre d'ailleurs que le programme 156 a perdu 1 515 ETP. La tendance reste donc à la baisse.
Malgré des chiffres et des données lacunaires, l'action publique contre l'évasion fiscale n'est donc pas à la hauteur de l'enjeu. Ce matin, monsieur le ministre délégué, vous avez annoncé des mesures sur la fraude sociale, parfois assez offensives, avec pour ambition de doubler les montants récupérés grâce aux contrôles. L'on souhaiterait que les annonces concernant la fraude fiscale soient aussi ambitieuses, car la fraude aux prestations sociales représente 6 à 8 milliards d'euros de pertes pour les caisses de la Sécurité sociale, tandis que l'évasion fiscale fait perdre dix à vingt fois plus d'argent aux finances de l'État, à savoir 80 à 120 milliards d'euros.
L'action publique aussi devrait être d'une autre ampleur et ne pas mettre sur un pied d'égalité des phénomènes aussi différents. Cela participe d'ailleurs à affaiblir encore le consentement à l'impôt et donc la cohésion sociale.
Pour avancer réellement sur ce sujet, nous avons besoin de chiffres qui permettent d'évaluer l'action publique.