Il m'appartient de vous présenter aujourd'hui le protocole conclu le 5 juillet 2021 par la France avec la République de Macédoine du Nord concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier.
Je dirai d'abord quelques mots sur la Macédoine du Nord car il est important, avant de ratifier ce type d'engagement, de connaître avec suffisamment de précision le partenaire auquel on entend se lier.
La Macédoine du Nord est issue du démembrement de la Fédération de Yougoslavie. Elle est née en tant qu'État en 1991, d'abord sous l'appellation un peu baroque d'« ancienne République yougoslave de Macédoine », parfois abrégée par l'acronyme anglais FYROM. La Grèce s'opposait en effet à ce que cet État s'intitulât tout simplement « Macédoine », au motif que cette dénomination faisait partie intégrante de l'héritage historique, géographique et culturel grec. Cette querelle sémantique a finalement été réglée par un accord conclu en 2018. L'État macédonien a accepté de s'appeler, sur le plan international comme dans son ordre juridique interne, « Macédoine du Nord ». Il est en revanche autorisé à utiliser le terme « macédonien », sans autre précision, pour qualifier, par exemple, sa langue ou son identité.
La Macédoine du Nord est aujourd'hui une République parlementaire de 2 millions d'habitants, enclavée entre la Grèce, l'Albanie, la Serbie et la Bulgarie, à majorité orthodoxe mais avec une forte minorité musulmane.
Aux yeux des autorités françaises et européennes, elle constitue l'un des pays phares, dans les Balkans occidentaux, en termes de progrès dans le respect des droits de l'Homme et des libertés publiques. Il existe en effet une bonne coexistence entre des minorités qui sont nombreuses : albanophone, monténégrine, croate, bulgare, etc. Le bilan de la lutte contre les discriminations est très satisfaisant. Il y a une véritable alternance politique. Enfin, de réelles avancées ont été observées dans la lutte contre la corruption.
Le chemin n'est certes pas terminé : il reste des marges de progrès, notamment, dans le domaine de la lutte contre la corruption et du respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
L'apaisement dans les relations avec le voisin bulgare mérite d'être encore approfondi. En effet, en dépit de la signature d'un traité d'amitié et de bon voisinage en 2017, les relations demeurent compliquées avec la Bulgarie, principalement pour des raisons de susceptibilité liées à la mémoire historique et culturelle. Le premier ministre macédonien s'est fixé pour objectif de faire reconnaître la minorité bulgare dans la Constitution macédonienne mais il n'y est pas encore parvenu.
Cela dit, les progrès incontestables réalisés par la Macédoine du Nord en matière de garantie de l'État de droit ont permis l'ouverture de négociations d'adhésion à l'Union européenne en mars 2020 ainsi que la tenue d'une première conférence intergouvernementale avec l'Union européenne en juillet 2022.
Si la France n'a que des relations économiques modestes avec la Macédoine du Nord, elle entretient en revanche avec ce pays une très bonne coopération politique, judiciaire et de sécurité, sans parler de la coopération culturelle, la Macédoine du Nord étant très attachée à la francophonie.
Venons-en maintenant plus précisément à l'accord qui nous occupe aujourd'hui. Il s'agit du protocole d'application d'un accord conclu le 18 septembre 2007 entre la Communauté européenne et l'ancienne République yougoslave de Macédoine en matière de réadmission des étrangers en situation irrégulière. Des accords similaires ont été conclus avec des pays voisins tels que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, ou encore la Moldavie.
Cet accord européen de 2007 fixe le cadre global de la réadmission entre les États membres de l'Union européenne, d'une part, et la Macédoine du Nord, d'autre part. Il vise à réguler essentiellement les mouvements migratoires irréguliers de la Macédoine du Nord vers les États européens. Les étrangers en situation irrégulière concernés peuvent être des ressortissants macédoniens ou des ressortissants de pays tiers ayant séjourné en Macédoine du Nord. L'accord européen détaille les grandes lignes de la procédure à respecter, qu'il s'agisse du contenu de la demande de réadmission, des documents destinés à prouver la nationalité des personnes concernées ou de la possibilité de recourir à une procédure accélérée lorsque la personne est appréhendée à proximité de la frontière ou dans un aéroport.
Cet accord est entré en vigueur quelques mois après sa conclusion : il est donc actuellement appliqué par la France. Son article 19 prévoit cependant la possibilité, pour les États membres, de conclure par surcroît un protocole d'application avec la Macédoine du Nord afin de rendre la procédure de réadmission plus fluide et efficace. C'est le choix qu'ont fait la France et la Macédoine du Nord, à l'initiative de cette dernière. Le différend avec la Grèce concernant le nom officiel de l'État macédonien a quelque peu ralenti les négociations mais celles-ci ont finalement abouti à la signature du protocole le 5 juillet 2021.
Les stipulations de ce protocole sont assez classiques. Elles définissent les autorités compétentes chargées de formuler ou de recevoir les demandes de réadmission. S'agissant des ressortissants macédoniens présents en France, les demandes de réadmission doivent être ainsi formulées par les préfectures françaises et traitées par le ministère macédonien de l'intérieur. Le protocole détermine les points de passage frontaliers pour la réadmission, soit l'aéroport Roissy- Charles-de-Gaulle, d'une part, et le commissariat de police pour le contrôle frontalier de l'aéroport international de Skopje, d'autre part. Il dresse la liste d'un certain nombre de documents supplémentaires valant preuve de la nationalité pour la réadmission des nationaux. Il décrit aussi, entre autres choses, l'organisation de la procédure d'audition destinée, en l'absence de documents probants, à faire établir par les autorités diplomatiques ou consulaires la nationalité des personnes à réadmettre.
Bien entendu, ces réadmissions doivent être réalisées dans le respect du droit français, s'agissant notamment des voies de recours offertes aux ressortissants étrangers devant les juridictions judiciaires et administratives à l'encontre des mesures d'éloignement prononcées contre eux. Elles sont également mises en œuvre sans préjudice de l'application de la convention de Genève et du règlement Dublin.
Reste à savoir sur quel volume de flux migratoires ce protocole est appelé à s'appliquer. L'immigration irrégulière macédonienne, facilitée par l'exemption de visas dont bénéficient les ressortissants macédoniens, semble avoir connu un pic en 2019, suivi d'un reflux. Ce dernier s'explique sans doute en partie par la pandémie de Covid-19 ainsi que par le renforcement, depuis 2019, des contrôles aux frontières effectués par la Croatie en vue de son entrée dans l'espace Schengen. Par ailleurs, la pression économique qui poussait les Macédoniens à s'exiler est devenue de moins en moins forte à mesure que le niveau de développement du pays s'élevait. Il faut aussi noter que la Macédoine du Nord, comme la plupart des États des Balkans occidentaux, adopte une attitude coopérative avec l'Union européenne en matière migratoire, s'efforçant de donner des gages de bonne volonté. Le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans des délais utiles, qui se situait à 44 % en 2016, a atteint 110 % en 2019, puis s'est maintenu à un niveau élevé durant la crise sanitaire, avec un taux de 82 % en 2020.
Même si les flux macédoniens semblent s'être stabilisés, voire avoir décliné, rien ne dit toutefois qu'ils ne pourraient pas repartir en fonction des aléas socioéconomiques et politiques. L'accord soumis à l'autorisation d'approbation du Parlement permettra de mettre en place des procédures plus efficaces d'identification et de rapatriement, dans des conditions sûres, des ressortissants macédoniens en situation irrégulière. Son approbation me paraît donc souhaitable et je vous invite à adopter le projet de loi qui l'autorise.
Plus qu'un pays d'émigration, la Macédoine du Nord apparaît surtout comme un pays de transit, compte tenu de sa position stratégique à l'entrée des Balkans occidentaux. Déjà en 2016, ce pays s'était trouvé confronté à une arrivée massive de migrants en provenance de Turquie, via la Grèce, dans le contexte de la guerre en Syrie et de la déstabilisation de l'Irak et de l'Afghanistan. Six ans plus tard, en 2022, la route des Balkans est devenue – ou redevenue –la plus empruntée au Sud de l'Europe, avec des franchissements irréguliers en augmentation de 136 % par rapport à 2021. Des Syriens, des Pakistanais, des Marocains, des Afghans et des Indiens sont arrivés en nombre en Macédoine du Nord ; ils n'ont, dans leur écrasante majorité, pas l'intention de s'y installer, souhaitant poursuivre leur périple vers l'Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède.
Dans ce contexte, la seule procédure de réadmission en Macédoine du Nord des ressortissants de pays tiers sera loin de répondre aux enjeux. La représentante du ministère de l'intérieur que j'ai auditionnée a reconnu que moins d'une dizaine de réadmissions de ressortissants de pays tiers en Macédoine du Nord étaient opérées chaque année. Le protocole de réadmission du 5 juillet 2021 pourrait augmenter ce chiffre de quelques unités, sans changer réellement les ordres de grandeur.
Les accords de ce type, pour utiles qu'ils soient, n'auront jamais qu'une portée limitée s'ils ne s'inscrivent pas dans une politique beaucoup plus vaste et déterminée de contrôle des flux migratoires. On aura beau les multiplier, ils ne résoudront pas les graves problèmes liés à l'immigration incontrôlée tant qu'ils ne s'accompagneront pas d'une augmentation réelle des éloignements effectifs d'étrangers en situation irrégulière, en particulier de déboutés du droit d'asile, et de la conclusion, avec les pays d'origine, d'accords de gestion migratoire comportant des engagements stricts concernant le retour de leurs ressortissants et la prévention des départs.