Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président – ainsi que l'ensemble de votre délégation – d'être venu devant notre commission aujourd'hui. Vous avez répondu à nos questions de manière extrêmement franche ; vous nous avez fourni des éléments d'information tout à fait précieux. De plus, je suis très heureux d'avoir, à cette occasion, fait la connaissance de mon homologue, le président de la commission des affaires étrangères du Parlement de Géorgie. Je pense que nous aurons de nouvelles occasions, assez régulières, pour faire le point sur cette convergence que nous appelons tous de nos vœux, entre l'ensemble occidental, l'OTAN, l'Union européenne et la Géorgie. Il s'agit d'un processus de rapprochement et nous verrons de quelle manière la Commission européenne réagit à vos efforts.
En conclusion, je vous appellerai néanmoins à ne pas vous tromper : ne commettez pas l'erreur de croire que l'on rentre dans l'UE comme on rentre dans l'OTAN. L'OTAN est une alliance entre États souverains qui restent indépendants et peuvent en partir. Il n'en va pas de même de l'Union européenne et les Polonais sont en train de le découvrir. Le fonctionnement de l'UE est en effet beaucoup plus contraignant. Il ne s'agit pas d'un État fédéral car l'Union n'a pas, comme Abraham Lincoln l'évoquait dans le cadre de la guerre civile américaine, « la compétence de la compétence » ; je rappelle aussi que Lincoln avait dit aux États du Sud qu'ils n'avaient pas le droit de faire sécession. Au sein de l'UE, il est possible de faire sécession, comme l'a montré le Brexit.
Reste que le système communautaire lui-même présente un caractère fédéral : le Parlement européen est supranational ; un Conseil des ministres décide à la majorité qualifiée et ce, de plus en plus ; il existe également une Cour de justice de l'Union, ainsi qu'une banque centrale. Ces institutions sont contraignantes et le droit communautaire, par définition, s'impose au droit des États membres. Cette logique n'est pas toujours acceptée, y compris en France, où certains partis sont très réservés vis-à-vis des institutions européennes et de leur fonctionnement. Cependant, tel est le fondement juridique et politique de la communauté que la France a appelé de ses vœux, puisqu'en 1950, avec Jean Monnet et Robert Schumann, nous avons jeté les bases de cette organisation.
Il ne s'agit donc pas simplement de savoir si vous remplissez les conditions mais, beaucoup plus profondément, de savoir si ce type d'engagement vous agrée. Les pays qui firent jadis partie de l'Union soviétique sont en effet confrontés à une difficulté spécifique. En effet, la doctrine soviétique, celle de Brejnev, reposait sur la « souveraineté limitée ». Vous détestez cette doctrine et vous avez bien raison : la souveraineté limitée revenait à justifier l'ingérence dans tous les affaires de toutes les Républiques.
Dans l'Union européenne, la situation est différente : il s'agit d'une compétence partagée et librement consentie. Cependant, la supériorité du droit communautaire sur le droit national des États membres dans les domaines de compétence de l'Union constitue malgré tout une contrainte évidente. Pour des pays comme le vôtre, qui ont si fortement combattu pour leur souveraineté et leur indépendance, il y a là une révolution culturelle et un changement d'attitude qui constituent peut-être les éléments les plus importants et les plus difficiles pour réussir votre entrée dans l'Europe. Je l'ai dit de la même manière aux pays des Balkans occidental et je dois vous avouer que les Serbes, par exemple, ont du mal à l'admettre.
Cependant, il s'agit bien de la partie intégrante du système. Les Polonais l'avaient accepté en adhérant mais le remettent en cause aujourd'hui, en considérant que l'Union européenne est seulement la réunion de quelques États qui s'accordent pour agir ensemble. Mais ce n'est pas le cas : l'UE constitue une communauté bien plus ambitieuse et bien plus exigeante. Pendant vingt ans, j'ai été membre du Parlement européen. Le message que je viens de vous transmettre était central il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, tout le monde a tendance à l'oublier mais, à mes yeux, il s'agit du message fondamental.
Encore une fois, la véritable difficulté est de cet ordre, au-delà des autres efforts qui sont par ailleurs nécessaires. Vous avez réussi votre transition économique et vous avez bien décrit tous les progrès accomplis. Cependant, l'accord sur la nature du pacte avec l'Union européenne est bien plus compliqué qu'avec l'OTAN. En effet, la solidarité structurée autour de l'article 5 du traité de Washington est forte mais les États demeurent malgré tout souverains.
Telle est ma propre conclusion, que je formule à titre personnel et non au nom de la commission des affaires étrangères. Mais les amis sont d'abord des personnes et j'espère que nous considérons les uns et les autres comme des amis.