Nous avons le grand plaisir d'accueillir parmi nous, ce matin, M. Shalva Papuashvili, président du Parlement de Géorgie, accompagné de plusieurs représentants de commissions permanentes – notamment le président de celle en charge des affaires étrangères, M. Nikoloz Samkharadze – et de l'ambassadeur de Géorgie en France, M. Gocha Javakhishvili, que je salue tous chaleureusement.
Monsieur le président, vous avez rencontré ce matin Madame la présidente de l'Assemblée nationale et vous avez souhaité venir à la rencontre de notre commission, afin d'échanger sur la situation de votre pays. J'en suis heureux, d'autant que les enjeux et les défis qui concernent la Géorgie, territoire du Caucase limitrophe de la Turquie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Russie, sont majeurs aujourd'hui. Nous sommes conscients d'accueillir des amis, qui vivent en permanence des épreuves depuis de nombreuses années.
Même si l'on recense moins de 500 ressortissants français en Géorgie, la France entretient avec votre pays des relations amicales et très anciennes : pour mémoire, la République française a accueilli le gouvernement républicain géorgien en exil de 1918 à 1921, dans l'Essonne. Ces relations se matérialisent notamment par des visites officielles permanentes à tous les niveaux.
En février 2019, le président de la République française, M. Emmanuel Macron, et la présidente de Géorgie, Mme Salomé Zourabichvili – qui symbolise par sa personne un lien entre nos deux pays puisqu'elle a été ambassadrice de France à Tbilissi et qu'elle possède de la famille ici –, ont acté la mise en place d'un dialogue structuré bilatéral annuel. Dernièrement, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, a effectué un déplacement dans votre pays et, aujourd'hui, vous nous faites l'honneur de votre présence à Paris.
J'indiquais tout à l'heure que votre pays fait face à des défis et des enjeux majeurs. Ils sont multiples mais deux retiennent plus particulièrement l'attention aujourd'hui.
Le premier concerne la situation intérieure de votre pays. Depuis le mois d'août 2008, l'intégrité territoriale de la Géorgie se trouve remise en cause par la Russie, dont les troupes occupent l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui ont été érigées en République autonomes et n'ont été reconnues comme telles que par la Russie. Certains voient dans ce scénario les prémices de la guerre en Ukraine qui est en cours. Cet épisode a évidemment durablement marqué la population géorgienne et instauré une méfiance très grande à l'égard des visées impérialistes du pouvoir russe actuel, dont la Géorgie veut absolument se prémunir sans pour autant disposer de capacités militaires suffisamment dissuasives. C'est pourquoi votre pays a fait le choix stratégique de vouloir se rapprocher de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), organisation à laquelle il apporte une contribution militaire sur divers théâtres d'opérations. Vous étiez par exemple la première puissance non-membre de l'OTAN à intervenir à ses côtés en Afghanistan.
Le second enjeu concerne les aspirations européennes de la Géorgie. Depuis la « révolution des roses » en 2003, votre pays cherche à ancrer son avenir dans le projet communautaire. La Géorgie est ainsi membre, depuis 2009, du Partenariat oriental et elle est régulièrement présentée comme l'un des Etats les plus avancés sur le chemin des réformes. Le 27 juin 2014, un accord d'association avec l'Union européenne (UE) a été signé, intégrant un accord de libre-échange complet et approfondi. Peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 22 mars 2022 précisément, vous avez sollicité la reconnaissance du statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne. L'Ukraine et la Moldavie se sont vu reconnaître ce statut en juin 2022 mais la Géorgie a simplement fait l'objet d'une démarche d'ouverture sur une perspective européenne.
Je sais que cela n'a pas été très bien ressenti dans votre pays mais nous sommes très désireux de ne pas faire ce que les Américains ont réalisé avant 2008, c'est-à-dire vous encourager très fortement à prendre vos distances avec la Russie en vous exposant à des représailles de la part de ce pays. À l'époque, le vice-président Dick Cheney vous avait ainsi donné des conseils, dont les Etats-Unis n'étaient pas en mesure d'honorer les conséquences. Nous comprenons votre souci de vous rapprocher de l'OTAN et de rejoindre, le moment venu, l'Union européenne mais il était essentiel de ne pas pousser la Russie à l'activisme. Ce qu'il s'est passé depuis montre que notre souci était assez légitime, puisque les actions russes n'ont pas tardé à se manifester dans votre pays.
Le Conseil européen n'a pas pour autant fermé la porte à votre pays. Il s'est déclaré prêt à lui accorder le statut de candidat à l'adhésion une fois que les douze priorités énoncées dans l'avis de la Commission européenne auront été prises en compte. Cependant, les récents débats au sein de votre Parlement, en mars dernier, sur un projet de loi prévoyant d'obliger les organisations qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l'étranger à s'enregistrer en tant qu'« agents de l'étranger » ont jeté un grand trouble en Europe. Je comprends que vous vous soyez engagés sur cette voie, afin de donner des gages à la Russie. Mais comprenez que ceci est très fortement contraire à l'esprit qui nous rapproche et qui vous rapproche de l'Union européenne. Nous avons cependant constaté que, notamment à la suite de manifestations, vous avez suspendu ce projet et nous y sommes très attentifs. Nous espérons vivement que vous y renoncerez totalement.
Soyez assurés que vous avez ici des amis, des gens attachés à ce que la Géorgie conserve sa souveraineté et son indépendance, qu'elle recouvre par les moyens les moins violents possibles l'intégrité de son territoire. Nous sommes décidés à accompagner votre enracinement dans la communauté des démocraties occidentales et l'Union européenne. C'est à vous de nous dire ce que vous attendez de nous, ce que nous pouvons faire pour faire vous, et ce que vous voulez faire pour répondre aux attentes de l'Union européenne.