Intervention de Catherine MacGregor

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie :

. Merci pour votre invitation qui va me permettre de partager avec vous la vision d'Engie sur les enjeux actuels et à venir en matière d'énergies et de transition énergétique, grande tendance qui est au cœur de notre métier et de notre raison d'être.

Je dirai en préambule quelques mots sur Engie. Le groupe Engie est un leader mondial de l'énergie et de la transition énergétique, avec 96 000 collaborateurs à travers le monde, dont moins de 50 % sur le territoire national mais avec cet ancrage et cette longue histoire dans notre beau pays. Nous sommes le deuxième fournisseur d'électricité et le premier fournisseur de gaz en France. Notre part de marché sur le secteur du gaz est de 40 %. Pour rappel, nous ne produisons pas de gaz fossile, nous sommes fournisseurs : nous achetons du gaz à des producteurs. Nous sommes également le plus grand opérateur d'infrastructures gazières en France. Ces infrastructures ont d'ailleurs joué un rôle critique l'année dernière, en particulier notre réseau d'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) et de stockage.

Nous sommes également un producteur majeur d'énergies renouvelables avec une position de numéro un en France dans l'éolien et dans le solaire, et ça on l'oublie souvent. Nous sommes très engagés en Europe et à l'international, notamment en Belgique et en Amérique latine, au Brésil notamment. Alors que nous étions présents dans 78 pays, nous avons opéré un recentrage géographique sur 31 pays : en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Amérique du Nord.

Historiquement très présent dans le secteur du gaz, nous sommes maintenant présents sur quasiment tous les vecteurs énergétiques et les énergies renouvelables, qu'elles soient électriques – d'origine éolienne, solaire ou hydroélectrique – ou issues du gaz. Chez Engie, nous avons cette singularité de porter la vision d'un mix énergétique équilibré, qui alliera l'électron et la molécule. Nous avons la conviction que toute transition énergétique réussie doit s'appuyer sur le gaz, qui a en effet la capacité d'être transporté, importé, stocké, exporté et puis, enfin, transformé pour les usages dont on va avoir besoin pour la transformation de cette industrie. Le gaz fossile peut devenir du gaz décarboné par le biométhane, l'hydrogène et ses dérivés. Ainsi, le mouvement d'électrification en cours, majeur dans son ampleur, devra selon nous être complété par une décarbonation du gaz. En cela, les infrastructures d'Engie continueront à jouer un rôle important.

Le bouquet énergétique se complètera de solutions décentralisées et customisées – réseaux de chaleur, réseaux de froid –, qui vont permettre à tous les acteurs de trouver des solutions de décarbonation.

Nous sommes donc très engagés pour accélérer la transition énergétique, au cœur de notre raison d'être. Nous y mettons les moyens financiers nécessaires. Pour 2023 à 2025, nous avons annoncé un plan d'investissements en croissance de 22 à 25 milliards d'euros, dont la moitié est fléchée vers le développement des énergies renouvelables.

Nous avons également une feuille de route ambitieuse en matière de neutralité carbone. Cette ambition est au cœur de notre stratégie. Nous avons l'ambition être net zéro carbone en 2045 sur l'ensemble de nos émissions. Cela signifie que nous nous engageons à réduire de 90 %, à l'horizon 2045, l'ensemble des émissions du groupe enregistrées en 2017. Pour les 10 % restants, nous trouverons des solutions de compensation.

Cette feuille de route comprend des jalons intermédiaires, à l'horizon 2025 et en 2030. Nous suivons une trajectoire certifiée SBTi (Science-Based Targets initiative) pour être bien en dessous d'une augmentation des températures de 2 degrés Celsius. Pour cela, nous nous sommes assurés que 99 % du bilan carbone du groupe fasse l'objet d'objectifs quantifiés à l'horizon 2030.

Quatre leviers nous permettront d'atteindre ces objectifs : sortir complètement du charbon – aujourd'hui, 2 % de notre électricité en est encore issue ; développer les énergies renouvelables ; « le verdissement » du gaz ; développer des capacités de flexibilité pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables – batteries, centrales à gaz décarboné – afin d'apporter de la robustesse au système électrique de demain.

Je souhaiterais à présent vous faire part de notre analyse de la situation internationale, notamment des conséquences de la guerre en Ukraine qui a fortement impacté le monde et l'Europe. Cet événement a engendré une situation tragique pour les populations concernées par la guerre mais il a eu également un impact majeur sur le plan énergétique, compte tenu de la forte dépendance de l'Europe au gaz russe – 40 % pour certains pays européens et un peu moins de 20 % pour la France.

L'Europe, la France et le groupe Engie, à sa mesure, ont trouvé des solutions permettant d'assurer la sécurité d'approvisionnement en faisant appel à l'ensemble des leviers qui étaient à leur disposition. De ce point de vue, nous pouvons nous féliciter de la diversification des sources d'approvisionnement car nous avons pu faire appel à nos fournisseurs historiques, comme la Norvège, et à l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL), grâce à l'ensemble de nos infrastructures d'importation – terminaux méthaniers à l'Ouest et au Sud de la France –, qui ont pleinement joué leur rôle. À noter que le remplissage historique de nos espaces de stockage a été assuré quasiment à 100 % au début de l'hiver.

Nous avons également pu observer une inversion des flux gaziers grâce aux interconnexions des réseaux européens, circulant non plus de l'Est vers l'Ouest de l'Europe mais de la France vers l'Allemagne, ce qui a permis d'aider les pays voisins. De notre point de vue d'énergéticien, la notion de marché européen est extrêmement importante, pour le gaz comme pour l'électricité. Il est très important de maintenir l'intégrité de ce marché européen.

Nous avons réussi à surmonter le quasi-arrêt des livraisons russes et nous avons pu aborder l'hiver avec une relative sérénité. En revanche, nous considérons les hivers futurs avec une sérénité plus relative. En effet, nous sommes plutôt confiants sur l'hiver 2023-2024 compte tenu de la dynamique actuelle, avec des imports très forts de GNL et les efforts continus de réduction de la demande. Les stocks de gaz sont à des niveaux records à la fin du mois de mai, en Europe comme en France. En revanche, il subsiste des incertitudes, en particulier sur le fait que les volumes russes qui étaient destinés à l'Europe ont disparu du marché global. Il conviendra de rester vigilants. Il faudra que les efforts de réduction de la demande des consommateurs se pérennisent. Le niveau de demande pour le GNL pourrait être un sujet en Europe si la demande en Asie repart de manière très forte car la production de GNL va demeurer stable jusque vers 2026-2027, date à partir de laquelle un démarrage des nouvelles unités de liquéfaction, notamment au Qatar et aux États-Unis, est envisagé.

Bien sûr, subsistent également des risques sur la disponibilité des infrastructures gazières en amont et des possibilités de tensions avec un contexte de prix susceptibles de repartir à la hausse et pouvant connaître des niveaux de volatilité importants. Aussi, notre message est de poursuivre les économies d'énergie amorcées pour renforcer notre indépendance. Nous avons appelé ces efforts de nos vœux avec MM. Pouyanné et Lévy l'année dernière. Ils restent très pertinents et seront très importants car la neutralité carbone sera atteinte grâce aux moyens et aux solutions d'efficacité énergétique.

Je voudrais à présent commenter les politiques énergétiques sur le plan international et la manière dont réagissent les principaux acteurs mondiaux. Il convient de rappeler deux enjeux majeurs : l'importance de l'accès à une énergie de préférence abordable et décarbonée et la nécessité de sécuriser les chaînes d'approvisionnement.

Avant la guerre en Ukraine, l'Europe pouvait se prévaloir d'une avance historique sur la décarbonation avec la « loi climat », le programme «  Fit for 55  », des instruments emblématiques comme le mécanisme d'ajustement de carbone aux frontières, le développement massif des énergies renouvelables ou les efforts d'efficacité énergétique. Après la guerre, elle a maintenu, voire renforcé, ses ambitions avec des objectifs chiffrés sur le biométhane et le biogaz. Au-delà, s'ajoutent des enjeux de compétitivité de l'Union européenne, avec une prise de conscience très aiguë du différentiel du prix de l'énergie avec les pays tiers, et notamment les États-Unis. La transition énergétique devient une réponse, non seulement au réchauffement climatique mais également à la souveraineté énergétique européenne et aux enjeux de compétitivité.

L'Allemagne est un pays qui cristallise beaucoup d'attentions sur nos sujets énergétiques. Elle a pris des décisions en matière de sortie du nucléaire et du charbon à hauteur de 2030. Elle veut réduire ses émissions de 65 % à cette date, avec un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2045. Elle a par ailleurs un besoin massif de substitution du gaz russe. L'Allemagne a pris le parti d'accélérer de manière absolument massive les énergies renouvelables avec une ambition d'en dépendre à hauteur de 80 % d'ici 2030.

Jusqu'à la guerre en Ukraine, la Russie est restée centrale du point de vue énergétique, en Europe et dans le monde. Aujourd'hui, elle est partiellement marginalisée. Un de ses gros enjeux est d'exporter le gaz qui allait vers l'Europe vers d'autres marchés. C'est la raison de la construction d'un nouveau gazoduc, qui irait de la Russie vers la Chine, en cours de négociation entre ces deux pays.

En parallèle, nous assistons à un réveil récent, mais très fort, des États-Unis, avec une volonté de sécuriser leurs chaînes de valeur et un agenda de relocalisation industrielle très puissante. Je parle bien sûr de l' Inflation Reduction Act (IRA), législation qui a été perçue dans le monde comme un coup de semonce. Ce programme, qui se caractérise par sa simplicité d'application, est estimé à 369 milliards d'euros, principalement sous forme de crédits fiscaux à l'investissement et qui viennent soutenir les coûts de production. Il comporte une grille très lisible de tarifs et de réductions d'impôts qui s'avère extrêmement efficace. Tous les jours, des industriels décident d'investir aux États-Unis grâce à ce programme très ambitieux. Pour mémoire, les États-Unis se sont fixé une réduction de 50 % de leurs émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, et 100 % de production d'électricité décarbonée à l'horizon 2035.

Le Moyen-Orient jouit d'une situation très particulière grâce à ses réserves importantes de pétrole et de gaz. Le ratio d'émissions de CO2 par habitant est l'un des plus importants. Les pays de la région sont également de grands consommateurs d'énergies en raison de leur besoin de dessaler l'eau. Par ailleurs, ils sont extrêmement exposés au réchauffement climatique. L'idée est de sécuriser la manne que représente le pétrole et d'amorcer la décarbonation en investissant massivement dans les énergies renouvelables grâce aux ressources solaires extrêmement abondantes, et dans certains cas dans le nucléaire. Le gaz détient une place importante dans le mix énergétique. Le Moyen-Orient prévoit de produire de l'hydrogène, soit à partir de gaz fossile sur lequel on aurait capté le CO2, soit à partir des énergies renouvelables, et d'exporter cet hydrogène vers d'autres pays.

Engie est implantée en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis et le groupe a signé des partenariats pour produire de l'hydrogène vert et l'exporter potentiellement vers l'Europe.

De même, Engie est un opérateur très présent au Brésil depuis vingt-cinq ans, avec une production d'énergies renouvelables et d'hydrogène. Nous espérons un regain de dynamisme sur le sujet de la décarbonation. Nous avons pour ambition d'être net zéro dans ce pays avant 2045. Nous observons, dans les pays d'Amérique latine, une transition qui est plus ou bien amorcée avec une sortie progressive du charbon et un investissement dans les énergies renouvelables.

En Afrique, Engie est présent ponctuellement en Égypte et au Maroc. Nous observons pareillement des ambitions de développer les énergies renouvelables à des fins domestiques et l'idée de devenir des hubs de production, et notamment d'hydrogène qui pourrait être exporté vers l'Europe en raison de sa proximité.

S'agissant de l'hydrogène et du débat selon lequel il devrait être produit principalement sur notre territoire, nous n'adhérons que partiellement à cette vision. Il faudra tellement d'électricité pour produire cet hydrogène domestique que la production actuelle ne suffira pas ; il faudra certainement faire appel à des compléments d'hydrogène importés d'autres pays.

Le groupe Engie n'est pas présent en Chine, qui fait face à des défis énergétiques considérables. En effet, le charbon compte pour 65 % dans la production électrique chinoise. La république populaire accélère néanmoins le rythme concernant les énergies renouvelables et elle est de loin le premier développeur éolien et solaire dans le monde. Elle vise 150 à 200 gigawatts installés en 2030, soit la moitié de la capacité mondiale installée. La Chine devrait se décarboner rapidement.

Pour ce qui concerne les autres pays asiatiques, nous observons, à des rythmes différents, une volonté de réduire la dépendance au charbon.

Toutes les politiques énergétiques doivent s'accompagner de chaînes d'approvisionnement pérennes et robustes. La transition énergétique implique un besoin croissant de matières premières essentielles. Nous constatons l'absence de pénurie physique sur quasiment l'ensemble des matériaux nécessaires à la transition énergétique. En revanche, il existe un nombre important de goulets d'étranglement pour leur exploitation qui sont, soit liés à la concentration faible de ces matières dans les mines et réservoirs, soit liés au traitement et au raffinage. La Chine a une mainmise relativement importante sur le raffinage et le traitement de ces matières premières pour produire des batteries et des panneaux solaires : 75 % des panneaux solaires proviennent de Chine.

Les politiques décidées aujourd'hui tentent de réduire cette dépendance vis-à-vis de la Chine, avec une volonté de favoriser l'émergence de sources d'approvisionnement locales et de développer des alternatives. Le pendant européen de l'IRA est une forme de sursaut avec le Net Zero Industry Act, le Critical Raw Materials Act et le plan Industrie verte en France. Nous espérons que tous ces instruments permettront de développer pas simplement des programmes favorisant l'industrie mais également des programmes incitant à la relocalisation de certaines sources d'approvisionnement, qui apporteront des solutions plus diversifiées pour les développeurs d'énergies renouvelables, tels qu'Engie.

Engie est membre d'alliances européennes telles que l'Alliance solaire, le partenariat industriel biométhane, l'Alliance des batteries, dans le but d'envoyer des signaux importants aux fournisseurs qui chercheraient à s'établir en Europe. Nous essayons de sécuriser les chaînes de valeur qui sont la clé pour la transition écologique.

S'agissant du contexte macroéconomique, la hausse des prix des matières premières a créé une situation très compliquée l'année dernière. L'Allemagne est passée en récession au premier trimestre. La récession généralisée qui avait été anticipée ne s'est pas concrétisée, même si l'on observe un ralentissement économique. Les banques centrales continuent à combattre l'inflation en augmentant les taux et en faisant peser des risques sur nos économies. En revanche, nous constatons aujourd'hui une baisse des prix de l'énergie (gaz et électricité). Nous restons toutefois prudents car le système reste sous tension.

En conclusion, je dirai que la transition énergétique répond bien à ce triple défi de la sécurité d'approvisionnement, du coût de la décarbonation et de la souveraineté énergétique. En tant qu'entreprise, nous avons une responsabilité quadruple qui est d'assurer notre mission d'énergéticien, d'assurer la sécurité des approvisionnements, de dégager des résultats financiers nous permettant d'investir dans la transition énergétique, et de prendre en compte l'ensemble des contraintes environnementales. Il en va de notre responsabilité sociale et sociétale. Nous devons limiter l'impact de la hausse de prix pour nos clients, maintenir un dialogue social permanent avec nos collaborateurs, et mettre en œuvre les conditions d'appropriation de la transition par les citoyens, facteur indispensable à sa réussite. Nous embrassons cette responsabilité avec passion, optimisme et détermination.

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