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Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 2 août 2022 à 21h30
Accession de la finlande et de la suède au traité de l'atlantique nord — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Le déclenchement de la guerre en Ukraine et son lot de violences intolérables ont rappelé brutalement aux Européens que l'histoire se répète. Nous avions pris l'habitude de vivre en paix. Nous nous bercions d'illusions.

Voilà que les horreurs du XXe siècle resurgissent et que, comme alors, les alliances se mettent en ordre de bataille. Voilà que la vieille OTAN, que d'aucuns jugeaient en état de « mort cérébrale », ressuscite à la faveur d'une crise aux relents de guerre froide. Avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord reviennent les lancinantes questions relatives à son existence, à sa vocation, à sa cohésion, à sa gouvernance et à sa stratégie. Faudra-t-il donner tort au général de Gaulle qui écrivait, dès le 17 septembre 1958, que « l'OTAN ne correspond plus aux nécessités de notre défense » ?

À l'aune de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la Finlande et la Suède ont apporté leur réponse. C'est un véritable événement historique : ces deux États ont décidé, de manière souveraine, d'abandonner leur longue tradition de non-alignement et leur rôle d'arbitres entre l'Est et l'Ouest, alors même que cette neutralité avait permis à la Finlande d'acquérir un rayonnement diplomatique sans commune mesure avec son poids géopolitique réel. La guerre en Ukraine a changé la donne, et cela en seulement quelques mois. Désormais, 76 % de la population finlandaise est favorable à l'adhésion à l'OTAN, soit trois fois plus qu'avant l'invasion de l'Ukraine par les forces russes.

« La guerre en Ukraine a prouvé que les Russes n'hésitent pas à mener une guerre classique sur le sol européen, et la menace qu'ils représentent apparaît bien plus concrète », analyse Guillaume Lagane, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Il ajoute que « les Finlandais voient bien à quel point faire partie de l'OTAN crée une différence majeure pour garantir l'intégrité du territoire [de leur] pays », dès lors qu'ils bénéficieraient de la solidarité américaine en cas d'agression. Cette crainte n'est pas une vue de l'esprit. Rappelons que la Russie vient de cesser ses livraisons d'électricité à la Finlande et que les spécialistes jugent que la probabilité de cyberattaques contre ce pays et contre la Suède est très forte.

L'adhésion de ces pays nordiques à l'Alliance atlantique représente une opportunité véritablement historique pour l'ensemble de ses membres, d'autant qu'à l'instar de la Suède, la Finlande dispose d'une armée moderne et efficace : pour ce pays frontalier de la Russie, la neutralité n'a jamais signifié l'abandon de toute défense. Cet événement constitue incontestablement un nouvel échec stratégique pour Vladimir Poutine, lequel a d'ailleurs déjà annoncé qu'il réagirait à tout déploiement militaire en Suède ou en Finlande, ce qui prouve bien qu'une nouvelle donne se joue dans l'espace nordique.

Mais la Russie n'est pas seule à dénoncer de tels accords d'adhésion : elle est rejointe en cela par la Turquie, qui profite de la situation pour régler ses problèmes bilatéraux avec les deux pays concernés. Ce régime islamo-conservateur s'imagine autorisé à soumettre la Finlande, la Suède et, plus largement, l'Occident à une forme de chantage en demandant la levée des restrictions qui le frappent en matière d'armements. L'argument employé par Ankara ? Helsinki et Stockholm soutiendraient le PKK, le parti autonomiste kurde considéré comme une organisation terroriste – et la Turquie d'aller jusqu'à accuser Stockholm d'aider militairement cette organisation.

Si l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN ne peut qu'être saluée – ce que je fais –, elle ne peut ni ne doit se faire au détriment de la construction d'une véritable défense européenne. La guerre en Ukraine et l'émotion légitime qu'elle suscite ne doivent pas manquer de nous interroger sur les capacités militaires de l'Europe. Ce sera notre devoir que de faire en sorte que le processus d'élargissement de l'OTAN ne mette pas un coup d'arrêt aux ambitions des pays européens en matière de défense commune. Il n'y a pas à choisir entre l'OTAN et une véritable défense européenne : il faut les deux, impérativement.

La guerre a fait son grand retour en Europe. Elle obscurcit l'horizon. Elle n'est plus une menace virtuelle. Elle est bien réelle : elle est là, tout près de chez nous. Mais elle couve aussi à Taïwan, un territoire qui, bien que beaucoup plus éloigné, pourrait aussi nous concerner demain – Taïwan dont, aujourd'hui même, des avions de chasse chinois ont violé l'espace aérien. Comme un avant-goût d'Ukraine.

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