Les organisations collectives sont comme les êtres humains : il leur arrive de mieux supporter l'adversité que la prospérité, de se déliter dans les lendemains de victoire et de se renforcer dans les épreuves. Les États membres de l'Alliance atlantique avaient paru triompher avec la fin de la guerre froide ; pourtant, l'OTAN a plutôt mal vécu les effets d'une victoire qu'on avait pu croire sans appel.
L'organisation a traversé une crise multiforme d'identité. Elle s'est interrogée sur l'utilité même de son existence ; sur la nature ultime de sa vocation, militaire ou politique ; sur la légitimité de son élargissement aux États libérés du joug soviétique, voire aux États successeurs de l'Union soviétique ; enfin, sur l'extension potentielle de la zone de compétence couverte par l'article 5 du traité compte tenu de la montée en puissance de la menace chinoise.
Trois faits majeurs ont signé cette crise : le cavalier seul d'une Turquie ressaisie par ses ambivalences ottomanes, l'inertie budgétaire des États incapables de se rapprocher des 2 % de produit intérieur consacrés à la défense, les flottements du partenaire américain tenté, avec Donald Trump, de passer par pertes et profits ses responsabilités vis-à-vis des Européens. Le Président de la République a résumé la chose en parlant de « mort cérébrale ».
Le retour d'une guerre de haute intensité au cœur de l'Europe a tout changé. Le temps n'est plus où Boris Eltsine pouvait, sans doute sincèrement, déclarer : « La période impériale de l'histoire russe est terminée […] Il n'y aura plus jamais de violence et de subordination dans les relations de la Russie avec ses partenaires. » Vladimir Poutine en a décidé autrement. La rhétorique du Kremlin sur une prétendue menace de l'OTAN est une sinistre fable. La vérité, c'est celle d'un revirement à 180 degrés de la politique russe, le retour préparé, décidé, annoncé, orchestré et mis en œuvre de la reconquête de l'empire évanoui.
Aujourd'hui, la Fédération de Russie occupe militairement une partie du territoire de trois États souverains – la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine –, contrôle de plus en plus directement l'Arménie, la Biélorussie et le Kazakhstan, et mène sans aucune sorte de justification morale ou juridique, au mépris de la Charte des Nations unies, des accords d'Helsinki et de Budapest, l'invasion-destruction du territoire et de la population d'une Ukraine libre aux frontières qu'elle avait elle-même reconnues et prétendu garantir.