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Intervention de Jean-Pierre Pont

Réunion du mercredi 24 mai 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Pont, rapporteur :

Je suis heureux d'intervenir aujourd'hui devant vous sur un sujet rarement évoqué et pourtant au cœur des avancées de la construction européenne apportées concrètement aux citoyens de l'Union pour garantir la pleine jouissance de leurs droits et faciliter leurs démarches administratives. Je vous présente, en effet, une proposition de règlement concernant la filiation publiée par la Commission européenne le 7 décembre dernier dans le domaine de la coopération judiciaire civile.

Cette proposition de règlement relative à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation touche à la vie quotidienne des citoyens de l'Union européenne. Elle préconise également la création d'un certificat européen de filiation.

Pour simplifier, cette proposition vise à harmoniser au sein de l'Union européenne les règles de droit international privé relatives à la filiation afin de permettre, dès lors qu'une filiation a été établie dans un État membre de l'Union, sa reconnaissance automatique dans tous les États membres sans avoir, pour les citoyens, à effectuer de démarche particulière. Cela peut sembler anodin, mais pour mieux comprendre la portée et les enjeux de cette proposition de règlement, il est nécessaire de rappeler l'état actuel du droit en la matière.

La filiation, lien juridique unissant un enfant à ses parents ou à l'un d'entre eux, relève de la compétence exclusive des États membres tout comme l'ensemble du droit matériel de la famille. Chaque État membre est ainsi souverain pour définir les règles de fond relatives à la définition de la famille ou à l'établissement de la filiation. À titre d'exemple, en France, le mode le plus courant d'établissement de la filiation entre une mère et son enfant s'effectue par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance dès l'accouchement.

En revanche, l'établissement de la filiation pour le père s'effectue via une présomption de paternité dont bénéficie l'enfant conçu ou né pendant le mariage.

Pour régler les conflits éventuels pouvant surgir entre différents ordres juridiques dans des situations transnationales – c'est-à-dire dans les situations où des lois de différents États sont potentiellement applicables – chaque État membre peut déterminer ses propres règles pour définir la loi applicable et la juridiction compétente ainsi que le mode de reconnaissance des actes juridiques étrangers.

Les divergences entre États membres se situent à deux niveaux, d'une part, sur les règles de fond de la filiation, d'autre part, sur les règles de droit international privé fixant la loi applicable et les juridictions compétentes.

Ces divergences sont aussi susceptibles de créer d'importantes difficultés juridiques pour les citoyens européens dont la filiation a été établie dans un État membre mais qui ont des attaches ou souhaitent s'installer dans un autre État membre.

En effet, le droit de l'Union, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, impose d'ores et déjà aux États membres de reconnaître la filiation d'un enfant telle qu'établie dans un autre État membre en vertu des acquis que l'enfant tire du droit de l'Union et notamment du droit à la liberté de circulation.

En revanche, cela n'est pas le cas en ce qui concerne la jouissance des droits prévus par les législations nationales, comme les droits de succession ou encore les obligations alimentaires.

Examinons l'hypothèse d'un couple de femmes ayant recours à une procréation médicale assistée dans un pays A mais dont l'une est de nationalité d'un État membre B, ne reconnaissant pas son lien de filiation établi dans le pays A en raison de divergence sur le recours à la PMA par des couples de même sexe. Dans ce cas la filiation de l'enfant ne serait pas reconnue dans cet État B et cet enfant serait privé de tous les droits découlant de cette filiation. Il ne pourrait – par exemple – pas hériter des biens possédés par sa mère dans ce pays, puisqu'il n'y serait pas reconnu comme son fils.

L'ampleur du problème est évidente. La Commission européenne estime à 1 235 000 le nombre de couples avec enfants en situation transfrontière dans l'Union européenne et estime à 103 000 le nombre de parents mobiles et leurs enfants concernés – ou ayant une forte probabilité de l'être – par des problèmes de non reconnaissance de leur lien de filiation dans un autre État membre.

Ce nombre est amené à augmenter dans le contexte de la mobilité croissante des citoyens de l'Union entre États membres.

De surcroît, ces obstacles à la reconnaissance du lien de filiation dans un autre État membre sont davantage susceptibles de toucher les familles homoparentales en raison des divergences de législations relatives au mariage entre partenaires de même sexe et à l'adoption homoparentale.

Il faut souligner que les couples hétérosexuels sont également susceptibles de faire face à des difficultés, notamment pour les enfants nés hors mariage compte tenu des divergences de règles relatives à la présomption de paternité ou aux partenariats civils.

En conséquence, la présentation de la proposition de règlement - s'appuyant sur la compétence de l'Union issue de l'article 81 du TFUE pour adopter des mesures législatives de coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière - a été motivée par deux impératifs :

– d'une part, la préservation de l'intérêt supérieur de l'enfant, de son droit à l'identité, à la vie privée et familiale et à la non-discrimination.

– d'autre part, la stratégie de l'Union européenne en faveur de l'égalité de traitement à l'égard des personnes LGBT.

Ce règlement, s'il était adopté, permettrait aussi d'améliorer sensiblement la sécurité juridique des citoyens de l'UE et de réduire la charge des procédures judiciaires pour les familles et les États membres.

Ces objectifs sont résumés en 2020 par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union en une formule claire et simple « si vous êtes parents dans un pays, vous êtes parents dans tous les pays ».

Toutefois – si le règlement n'a nullement pour objet de procéder à une harmonisation du droit matériel de la famille des États membres - la circulation des décisions de filiations nationales alors permises par leur reconnaissance automatique entre États membres – conduirait nécessairement à amoindrir la portée des modèles familiaux nationaux et des restrictions d'ordre public parfois existantes.

Ce règlement nécessite ainsi de préserver un équilibre entre :

– d'une part, le respect de la compétence des États membres

– d'autre part, - pour les citoyens de l'Union européenne - la liberté de circulation, la recherche d'une sécurité juridique et le respect de leurs droits, qui ne sauraient légitimement varier d'un État à l'autre au sein de l'espace de liberté de sécurité et de justice constitué par l'Union européenne.

Un point particulier de vigilance me semble devoir être pris en compte : il s'agit de l'inclusion dans le règlement des filiations issues de la gestation pour autrui, la GPA. En l'état actuel du texte, la reconnaissance de la filiation s'établira quelle que soit la manière dont l'enfant a été conçu ou est né. Aucune clause particulière n'est prévue pour exclure les filiations issues de la GPA.

Cette inclusion éventuelle de la GPA constitue pour la France et pour d'autres États membres, une ligne rouge.

Comme vous le savez, la GPA est interdite en France et constitue une infraction pénale. Elle est en effet incompatible avec la conception française de la dignité humaine et de notre modèle de bioéthique comme le rappellent les articles 16 et 16-7 du Code civil français.

Cette interdiction, sur le sol français, fait également obstacle – pour les GPA réalisées à l'étranger – à toute reconnaissance automatique du lien de filiation entre l'enfant et le parent d'intention.

En conséquence, aucune transcription automatique d'un acte de naissance étranger ne peut être accordée au parent non biologique, celui-ci étant tenu d'avoir recours à une procédure d'adoption de l'enfant. Cette pratique est conforme à la Convention Européenne des Droits de l'Homme telle que jugée par la CEDH dans plusieurs décisions et rappelée dans son avis consultatif du 10 avril 2019. Ainsi, aux termes de la jurisprudence de la CEDH, l'interdiction de la gestation pour autrui relève de la marge d'appréciation de chaque État.

Le droit au respect de la vie privée de l'enfant ne requiert pas que la reconnaissance du lien de filiation entre l'enfant et le parent d'intention s'établisse par la transcription sur les registres de l'état civil de l'acte de naissance légalement établi à l'étranger. Mais peut s'effectuer par une autre voie, telle l'adoption.

Les services du ministère de la Justice, entendus dans le cadre de cette communication, ont souligné l'importance de préserver cette procédure d'adoption.

L'adoption permet de maintenir le contrôle d'un juge afin de :

– premièrement, s'assurer de la réalité du lien entre l'enfant et le parent d'intention

– deuxièmement, veiller que l'établissement de ce lien s'effectue bien à la lumière de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Ce contrôle permet également de vérifier le non détournement des règles internationales.

En effet, la Convention de la Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale prévoit pour toute adoption le consentement des parents biologiques.

Dans le cas d'une GPA, il est primordial de vérifier que la mère porteuse a bien consenti à donner « SON » enfant, contrôle permettant également de prévenir le trafic d'enfants.

J'ajouterai deux arguments supplémentaires militant pour exclure les filiations issues de la GPA de cette proposition de règlement.

En premier lieu, la solution d'équilibre que je viens d'exposer consistant à exclure toute transcription automatique des actes d'état civil étranger a été réaffirmée par le législateur français dans la loi bioéthique du 2 août 2021. Il est donc de notre devoir de confirmer la volonté exprimée par la représentation nationale.

En second lieu, cette exclusion apparaît d'autant plus légitime qu'il n'existe aucun consensus au sein de l'Union européenne sur le recours à la gestation pour autrui. Les États membres, autorisant explicitement une telle pratique sont extrêmement minoritaires puisqu'ils seraient au nombre de trois. Si la GPA est tolérée – sans cadre légal dans trois autres États membres – elle demeure illégale dans la totalité des autres pays de l'Union.

Mes chers collègues, cette communication d'aujourd'hui intervient à un stade précoce du processus de discussion – les travaux sur cette proposition de règlement venant seulement de débuter. Ils en sont pour le moment au stade des négociations techniques entre représentants des États membres.

La proposition de règlement est ainsi susceptible d'évoluer considérablement avant d'être soumise au vote du Conseil - vote requérant en outre l'unanimité des États.

La France, soutenue par de nombreux États membres, travaille activement pour trouver le meilleur équilibre possible entre la préservation de l'intérêt supérieur de l'enfant et la garantie des droits de toutes les familles à travers l'Union, sans négliger le respect des lignes rouges fixées par le législateur à propos de la GPA.

Je souhaite voir notre commission suivre avec attention l'évolution sur cette importante proposition de règlement : un texte, source de nombreux progrès pour les citoyens européens, un texte, renforçant encore les acquis concrets de l'Europe dans les domaines de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, un texte à l'honneur de la démocratie et de l'Union européenne.

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