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Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 24 mai 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono, rapporteure :

Je partage l'avis présenté par la collègue Félicie Gérard, en soutien à cette proposition de règlement européen sur la restauration de la nature. Nous avons conduit une quinzaine d'auditions de tous types d'acteurs : ministères français, ONG, associations d'agriculteurs, institutions européennes. La très grande majorité s'est accordée sur l'importance majeure de ce texte.

Notre écosystème global est en état d'urgence écologique. Les bouleversements climatiques, conséquences des trop nombreuses émissions de gaz à effet de serre provoquées par les activités humaines, ont atteint un niveau tel qu'ils menacent la survie des espèces, dont la nôtre. La dégradation de la qualité des sols et leur artificialisation, ainsi que la pollution par les pesticides et les rejets industriels, participent de la disparition d'habitats naturels tout en fragilisant l'agriculture. Ces phénomènes provoquent une régression massive de la biodiversité et une sixième extinction des espèces à un rythme jamais constaté depuis la disparition des dinosaures. Un million d'espèces animales et végétales, soit 1 sur 8, sont menacées d'extinction à court terme. Nous devons prendre ce problème à bras-le-corps.

La proposition de règlement européen va dans le bon sens. Ses objectifs sont ambitieux mais nécessaires. Pour les atteindre, il faut y mettre les moyens financiers et humains. C'est un point essentiel de notre avis : l'aide indispensable à apporter aux agriculteurs, paysans, pêcheurs, pour leur permettre d'être partie prenante de ce changement. Ce soutien doit se déployer de manière à ce que l'accent ne soit pas mis uniquement sur les grandes structures agricoles intensives au détriment des petites exploitations. C'est un des grands défauts de la PAC, dont une partie du financement dépend du nombre d'hectares exploités, favorisant de fait les grands propriétaires et ne permettant pas de soutenir suffisamment le modèle pourtant très vertueux de la paysannerie. On retrouve ce modèle, dans les pays de la Méditerranée, alors qu'il a quasiment disparu au nord de l'Europe. Cela nous a été indiqué lors de nos auditions.

Nous plaidons donc en faveur d'une aide, à la fois nationale et européenne, qui ne cible pas exclusivement les grandes exploitations intensives, et qui, toutefois, doit les accompagner vers un modèle durable. Nous souhaitons un dispositif de soutien, notamment envers les petites structures orientées vers l'agriculture biologique, le circuit-court, le pastoralisme et la pêche artisanale. Cette aide devrait être fondée sur les actifs, c'est-à-dire celles et ceux qui produisent, et ne doit pas seulement dépendre du nombre d'hectares.

Il nous semble également important de répondre à une inquiétude entendue lors des auditions, en précisant que la restauration de la nature ne va pas à l'encontre de l'objectif de sécurité alimentaire. Les deux objectifs vont de pair, plusieurs exemples le démontrent. Si nous parvenons à inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici à 2030, nous faciliterons la reproduction des végétaux et favoriserons de ce fait les récoltes. De même, interdire la pêche dans certains espaces permet aux espèces de se reproduire plus largement et de grandir. Les pêcheurs l'ont bien compris puisqu'ils s'interdisent eux-mêmes certaines techniques et demandent de renforcer la législation à ce sujet.

C'est pourquoi nous soutenons les objectifs de cette proposition de règlement et demandons à les rehausser. Nous appelons à ce que la couverture, par des mesures de restaurations, de 20 % des zones de l'Union d'ici à 2030 s'applique séparément aux zones terrestres et aux zones maritimes – sans compensation possible de l'un vers l'autre.

Cet avis politique attire l'attention sur l'importance de l'équité entre États. L'effort de protection et de restauration de la nature doit être partagé entre tous les États membres de l'Union européenne et doit être collectif pour être efficace. Il n'est pas question que certains États remplissent leurs obligations, tandis que d'autres limitent leurs efforts. Nous avons par exemple une inquiétude liée au critère de définition des zones en mauvais état de conservation : plus les zones dégradées sont étendues sur le territoire national, plus l'effort de restauration de l'État membre sera important.

Or, les méthodologies et données utilisées par la Commission dans son analyse d'impact ont conduit à une surévaluation de l'effort à fournir par la France pour restaurer ses surfaces agricoles et forestières, par rapport à d'autres États. La Commission estime que les besoins de restauration des écosystèmes terrestres, côtiers et d'eau douce représentent entre 13,4 % et 17 % de la superficie nationale de la France, contre 1,5 % à 2,4 % en Allemagne. Un tel écart est difficilement compréhensible. Concernant les prairies, le « rapportage » Natura 2000, repris dans l'étude d'impact du règlement, indique que 43 % des prairies de l'Union en état dégradé sont situées en France. Ce résultat, qui pose également question, demanderait un effort de restauration disproportionné par rapport aux autres États membres. Enfin, il n'est pas encore définitivement établi si les régions dites ultrapériphériques, les Outre-mer, seront incluses dans le périmètre des obligations du règlement. Si c'était le cas, la France serait le seul pays concerné, alors même que ces écosystèmes des régions d'Outre-mer sont très différents de ceux de l'Hexagone et du continent européen. Ils nécessitent un effort de recherche approfondi car leur état est en grande partie inconnu.

Je terminerai mon propos en vous indiquant la raison pour laquelle nous avons choisi de présenter cet avis commun et vous proposons de l'adopter. Le texte de règlement est encore loin de faire l'unanimité au niveau européen. Au Conseil de l'Union, seul un noyau de pays soutient l'adoption du texte ambitieux, tels que la France, l'Espagne, l'Allemagne, la Slovaquie et le Luxembourg. Les autres États sont encore inquiets de devoir remplir un certain nombre d'obligations jugées trop importantes et cherchent de ce fait des moyens de vider de sa substance contraignante la proposition. Au Parlement, le parti de droite PPE recherche une majorité de compromis pour rejeter le règlement.

Nous sommes donc dans une dynamique de négociation inédite, dans laquelle la proposition initiale de la Commission apparaît encore trop contraignante à certaines parties, alors même que tout le monde s'accorde sur le niveau de la crise de biodiversité qui nous menace chaque jour un peu plus.

L'adoption de cet avis permettra donc de donner du poids à la position tenue par la France alors que les négociations arrivent à leur terme au sein de chacune des institutions. Nous appelons collectivement à ce que l'Union européenne soit à la hauteur du défi civilisationnel que représente la restauration de la nature, et que nous soyons en capacité de remplir les engagements internationaux que nous venons de souscrire lors de la COP15.

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