Trouver des solutions concrètes à la crise actuelle de notre système de santé, tel est l'objectif de la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner. En ville comme à l'hôpital, il nous revient de définir une meilleure organisation territoriale des soins, en incitant à une plus forte coordination des acteurs de terrain.
À l'heure où la santé est la préoccupation principale des Français, comme le montrent régulièrement toutes les enquêtes d'opinion, nous nous devons d'agir rapidement et en recherchant l'efficacité. Il est de notre responsabilité de résoudre cette question lancinante, difficile, de l'accès aux soins de nos concitoyens : ils font malheureusement les frais de l'accumulation de plus de vingt ans de décisions politiques et administratives malheureuses, d'un manque réel d'anticipation, parfois de la force des habitudes ou du conservatisme exacerbé de nombreux acteurs.
Depuis des années, j'ai constaté, comme d'autres, que le système de santé se caractérise par son hypercentralisation – parfois sa suradministration – et par son extrême cloisonnement entre les professionnels, contraints par des statuts juridiques et des modes de financement rendant souvent difficiles les coopérations. Le temps est venu de faire confiance aux acteurs de terrain, à tous ceux qui, directement – les professionnels de santé – ou indirectement – les administrations de l'État et de la sécurité sociale, les collectivités locales, les associations de patients –, concourent à la prise en charge des Français en matière de santé et sont partie prenante de la question de l'organisation des soins.
La crise épidémique que notre pays a traversée a non seulement montré le besoin d'objectifs nationaux clairement posés par l'État, mais a aussi rappelé la force des initiatives et des coopérations pensées dans les territoires. Je suis convaincu que l'avenir de notre système de santé passe par notre capacité à accompagner des modes d'organisation dans la prise en charge de nos concitoyens, réfléchie au plus près du terrain, adaptée aux spécificités du territoire et aux besoins de la population.
Heureusement, nous ne partons pas de zéro. Le virage de la territorialisation des politiques de santé a été pris depuis quelques années, notamment sous le précédent quinquennat. Il y a d'abord eu la stratégie Ma santé 2022, lancée en 2018, qui en a posé les jalons. Elle a, entre autres, instauré la reconnaissance du principe de responsabilité populationnel des acteurs de santé : ils sont collectivement en charge de la population qu'ils servent et il faut privilégier les moyens dont ils souhaitent se doter pour y faire face. Il y a eu aussi le texte récent, présenté par ma collègue Stéphanie Rist, portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, qui constitue une pierre utile dans la perspective d'un décloisonnement de notre système de santé.
Dans une continuité d'approche avec cette volonté de pousser plus loin la territorialisation de notre système de santé, la proposition de loi que nous allons discuter a aussi pour vocation d'inscrire dans le droit positif les annonces récemment formulées par le Président de la République, notamment lors de ses vœux aux soignants, début janvier : meilleur partage des efforts entre tous les soignants – par exemple en matière de permanence des soins –, décloisonnement entre tous les modes d'exercice, ou encore volonté de faire confiance aux soignants pour faire émerger des stratégies en santé adaptées aux besoins de chaque territoire.
Cette proposition de loi vise aussi à concrétiser la déclinaison dans les territoires de l'approche mise en avant par le Conseil national de la refondation (CNR) Santé, sur la consolidation de la permanence des soins ou sur l'émergence de stratégies territoriales, via les conseils territoriaux de santé (CTS) ou le coup d'accélérateur donné aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Vous l'aurez compris, la souplesse, le dialogue, la coopération et la mobilisation de toutes les énergies dans les territoires s'érigent comme le fil conducteur de ce texte. Avec douze dispositifs territoriaux en matière de santé, qui s'interposent entre le cabinet du médecin et l'agence régionale de santé (ARS), notre système a besoin de retrouver de la simplicité et de la lisibilité, pour une meilleure efficacité.
Tel est l'objet des deux premiers articles du texte, qui tendent à faire du territoire de santé le périmètre de référence de la déclinaison localement des politiques de santé. Les territoires de santé seront les lieux de la pérennisation des CNR territoriaux.
L'article 1er prévoit ainsi que le CTS prend corps, en ayant la responsabilité de la définition des objectifs prioritaires du territoire de santé, tels que les besoins de couverture territoriale en permanence des soins ou la juste répartition des forces médicales. Rappelons que le CTS, qui réunira l'ensemble des parties prenantes, n'est pas une création, puisque son cadre légal a été posé par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. S'il s'agit actuellement d'une coquille souvent vide, il sera demain le lieu où s'élaboreront collectivement les stratégies locales en matière de santé. Le dispositif proposé affirme en effet le caractère collectif de la responsabilité des professionnels de santé.
De plus, le texte prévoit de responsabiliser les acteurs de terrain sur la nécessaire réduction des inégalités de densité démographique. C'est primordial, à l'heure où plus de 1 600 000 de nos concitoyens renoncent chaque année à des soins médicaux et où plus de 11 % d'entre eux n'ont pas de médecin traitant.
Associer l'ensemble des parties prenantes d'un territoire dans l'élaboration du projet territorial de santé est également fondamental. Tous les acteurs – élus, préfets, directeurs généraux d'ARS et leurs services, représentants des établissements sanitaires et médico-sociaux, libéraux au sein des CPTS – doivent orienter et coordonner la politique locale de santé sur le territoire. C'est le sens de la disposition qui élargit la composition du conseil territorial de santé.
Nous voulons aussi renforcer les dynamiques de collaboration et d'organisation territoriale, en nous appuyant sur ce qui a pu être fait pendant la crise du covid-19. C'est pourquoi l'article 3 vise à rattacher automatiquement les professionnels de santé et les centres de santé à une CPTS du territoire auquel ils appartiennent. Il existe aujourd'hui environ 800 CPTS, avec des niveaux de développement très hétérogènes. La mesure que je propose permettra d'accélérer leur déploiement. Elle résonne avec la volonté exprimée par le Président de la République à Vendôme, que, d'ici à la fin de l'année, tout le territoire soit couvert par une CPTS, et ce, en respectant le libre choix de chaque professionnel de s'inscrire ou pas dans cette dynamique, en lui reconnaissant la possibilité de s'affranchir de cette intégration.
Je sais combien l'amélioration de notre système de santé ne peut se faire sans une refonte du dispositif de la permanence de soins en établissement de santé. La loi Rist en a posé les bases, en inscrivant le principe de la responsabilité collective garantissant l'accès aux soins en ambulatoire à toute la population. Nous devons désormais mettre en œuvre cette responsabilité collective pour la permanence des soins en établissement.
Il convient ainsi de réduire la pression sur l'hôpital – elle est trop souvent la seule lumière allumée sur les territoires –, même si je n'oublie pas que 40 % des généralistes pour l'ambulatoire assurent eux aussi des gardes. La permanence des soins devant être l'affaire de tous les professionnels, nous devons rééquilibrer le dispositif entre le secteur public et le secteur privé. C'est toute l'ambition de l'article 4.
Par ailleurs, issu de la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « HSPT », le contrat d'engagement de service public (CESP), visant à encourager les jeunes médecins à s'installer dans les territoires sous-dotés, demeure perfectible. Ainsi, le nombre de contrats signés a fortement chuté entre 2017 et 2021, avec une diminution de plus de 40 %. C'est une évolution très regrettable pour les Français habitant dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante.
L'article 5 rénove le CESP. Il l'ouvre à tous les professionnels en médecine, en odontologie, en maïeutique et en pharmacie, à l'issue de la deuxième année du premier cycle des études de santé, pour les inciter à un exercice pérenne en zone sous-dotée.
Le maintien de l'offre de soins dans un territoire donné doit aussi passer par une meilleure intégration des praticiens formés hors de l'Union européenne. Une réforme de leur statut a été votée en 2019, mais, encore aujourd'hui, ces praticiens, indispensables à certains services, rencontrent des difficultés pour obtenir un poste. Les articles 9 et 10 proposent de faciliter leur exercice, en prévoyant de nouvelles autorisations d'exercice provisoire et une nouvelle carte de séjour pluriannuelle.
Encourager la titularisation des néo-diplômés, qui tendent à s'installer de plus en plus tard, est également prévu dans cette proposition de loi. L'article 7 vise à interdire l'exercice de l'intérim en début de carrière dans les établissements de santé et médico-sociaux, ainsi que dans les laboratoires de biologie médicale. Cette mesure vise à lutter contre les excès de l'emploi temporaire, qui rendent de plus en plus difficile le recrutement sur des postes pérennes, aussi bien dans les établissements de santé que dans les cabinets de ville.
Mais, chers collègues, transformer notre système de soins doit aussi nous conduire à nous attaquer à certaines des difficultés qui rongent l'hôpital public. Si l'instauration des groupements hospitaliers de territoire (GHT), en 2009, a été un véritable big bang organisationnel du secteur hospitalier, ces derniers n'ont pas toujours correspondu aux réalités territoriales.
L'article 6 permettra aux GHT qui ont atteint une maturité suffisante d'acquérir une personnalité morale, ce qui simplifiera la conduite de projets à l'échelle du groupement. Il est également proposé d'étendre les compétences du conseil de surveillance, pour en faire un véritable lieu de débat sur la gestion et l'offre de soins de l'hôpital, en lien avec le territoire.
Enfin, dans le sillage de l'affaire Orpea, l'article 8 renforce le contrôle financier sur les cliniques privées, leurs satellites et les sociétés qui les contrôlent. Il tend à élargir le périmètre des institutions en mesure de les contrôler, dans un contexte où les ARS n'ont ni les moyens ni l'expertise pour tout faire.
Pour conclure, j'ai la conviction que les mesures portées par ce texte permettront d'apporter certaines solutions concrètes aux enjeux actuels de notre système de soins en ville et à l'hôpital. Il est urgent d'agir maintenant pour améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.
Je tiens à remercier l'ensemble des personnes auditionnées – les représentants des médecins, des infirmiers et des étudiants, les ordres des professions de santé, les représentants des élus locaux, les fédérations hospitalières – pour leur collaboration et pour leur contribution.
Nous nous devons de prendre en main la santé de nos concitoyens, qui sont les premiers perdants face à un système aujourd'hui à genoux. Je remercie aussi mon groupe – Horizons et apparentés –, ainsi que les deux cents députés cosignataires de cette proposition de loi, pour leur confiance et leur soutien.