Nous avons mis du temps à réaliser ce que nous vivons aujourd'hui. Nous sommes dans l'urgence. Notre travail est le résultat d'une initiative dédiée aux départements d'outre-mer afin de mieux observer leur fonctionnement et dynamique internes. Plus que jamais, il nous faut penser à l'identité et à la coopération. La Martinique et la Guadeloupe ont beaucoup de choses communes et il est plus facile de conjuguer leur identité et de construire des coopérations, en essayant de passer outre les susceptibilités. En Guyane, nous avons été frappés par l'importance des couples mixtes et la grande tolérance de la société à l'égard de l'immigration. Les populations étrangères étaient mieux considérées que les populations de l'intérieur, d'une certaine manière. Il n'est pas certain aujourd'hui, et dix ans après cette étude, que nous retrouvions cette situation de tolérance. Quelque chose est en train de changer. Le projet d'une société tolérante n'a pas été accompagné par une société qui produit sa richesse. Le centre spatial et ses difficultés laissent à penser que tout est fragile. Nous avons vu se cristalliser, ces deux dernières années, le rapport aux populations étrangères. Ce qui était une force il y a dix ans devient une fragilité. Il faut regarder cet aspect de près. Nous ne parlons pas d'économie, mais de la manière de « faire société », qui consiste à établir un lien avec celui qui n'est pas exactement moi-même, avec lequel je peux construire un projet commun. C'est tout l'enjeu des sociétés qui reçoivent de l'immigration.
Cette situation n'est pas semblable à celle de la Martinique et de la Guadeloupe. Les précarités liées au travail illégal, à la non-déclaration d'emploi et à la précarité économique n'ont pas changé depuis une dizaine d'années. On doit faire en sorte que le minimum produit comme service ou richesse par des populations en position de faiblesse soit reconnu à travers la légitimité de leur salaire. On peut ainsi « faire société » dans une chaîne de production quand on a de la sous-traitance dans tous les sens. C'est un premier point qui revalorise psychologiquement, sociologiquement et économiquement les travailleurs. Cette situation existe depuis vingt-cinq ans, mais on en parle peu. Les services de la direction du travail ne s'expriment plus sur ces questions. Les services de la production du privé reposent beaucoup sur cette précarité entretenue dans le privé. Nous sommes responsables, en tant que Martiniquais ou Guadeloupéens, de placer ceux qui sont dans les situations les plus précaires sous un minimum de protection que suppose la loi. Nous sommes dans une chaîne de collaboration et je suis reconnu comme contributeur de quelque chose qui mène à la contribution globale de la chaîne. C'est un enjeu politique qui suppose que ceux qui sont capables de produire des richesses les produisent en respect de ceux qui aident à produire la richesse. On crée une appétence à la production de richesses.
Il faut repenser différemment les univers dans lesquels nous avons fonctionné. De nouveaux univers économiques se mettent en place. Je ne suis pas assez compétent pour les connaître précisément. Ces univers supposent une haute technologie, un niveau intellectuel important. Comment faire en sorte qu'ils soient rentables et contribuent à tous ? Il faut faire retomber leurs effets nouveaux sur le territoire et permettre ainsi le retour des jeunes, attirés par une perspective de travail. Il nous faut penser à la mesure de nos moyens et à la rentabilité de ces moyens par rapport à notre territoire, ce qui suppose une volonté politique de changer la manière de fonctionner et de « faire société ». Il faut que les contributions françaises et européennes soient investies dans quelque chose qui s'ouvre sur l'avenir, sans se limiter au maintien des oligopoles.