Cette question de la vie chère m'habite et m'obsède depuis que je suis engagé en politique, de même que le développement économique. Vous m'avez d'ailleurs adressé une question surprenante sur l'incompatibilité du développement économique et de la lutte contre la vie chère.
Depuis que je suis engagé en politique, je me suis fixé un objectif : comment faire le bonheur des personnes ? Comment répondre concrètement à la vie quotidienne ? Le premier point, qui est une évidence, revient à faire sorte que les personnes puissent vivre afin de boucler leur fin de mois et de vivre décemment. Baisser les prix est donc un aspect. Je me suis toujours informé, j'ai beaucoup lu. Je suis économiste en premier lieu. J'avais une bibliographie complète et je m'informais en tant que simple militant, en tant que maire, en tant que député, puis en tant que président de région. Lorsque je suis arrivé dans ces fonctions, j'étais déjà armé intellectuellement. J'ai ensuite eu la chance d'avoir personnellement rédigé les programmes de plusieurs candidats, excepté celui de M. Mitterrand. J'ai effectivement rédigé les programmes des candidats socialistes à la présidentielle de M. Lionel Jospin, Mme Ségolène Royal, M. Benoît Hamon et de M. François Hollande. Nous avions très clairement signifié l'importance de lutter contre les monopoles, contre les oligopoles, contre toutes les impositions de structure, et ce sont des termes d'économistes. Il fallait de surcroît faire la transparence. Compte tenu du contexte, j'avais personnellement compris, et je crois que c'était accepté, qu'il n'était pas nécessaire de demander la lune, qu'on ne l'aurait pas. Il était également inutile de faire des propositions révolutionnaires. Il est essentiel de comprendre le fonctionnement du logiciel et du système ainsi que la façon de s'en servir, et de se servir des instruments qui sont là, qui attendent et qu'il faut activer. Ce fut en quelque sorte ma démarche intellectuelle.
En 2009, lorsque nous avons eu le grand mouvement qui, contrairement à ce que l'histoire a retenu, a commencé en Guyane, précisément parce que l'État a laissé faire la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) qui a répercuté l'augmentation des prix sur les consommateurs auprès de l'AFD pour permettre à la compagnie pétrolière de vendre du carburant à prix très élevés – 1,79 euros d'après mes souvenirs. Les habitants sont donc descendus dans la rue.
J'avais d'ailleurs été invité pour expliquer la formation des prix dans le secteur pétrolier. Je me suis rendu là-bas à l'époque. Les barragistes m'ont laissé passer. J'ai même été reçu par l'évêque de Cayenne, Mgr Emmanuel Lafont. Nous avions alors fait le décryptage de la formation des prix dans le secteur pétrolier en Guyane. Ce fut là une première expérience. Le phénomène est ensuite arrivé en Guadeloupe où 48 organisations syndicales, politiques, ouvrières se sont coalisées pour lutter contre la vie chère. Je ne me suis jamais opposé au fond du mouvement. En revanche, la forme m'a beaucoup dérangé ; je n'ai pas apprécié certains propos ni certaines attaques ad hominem. En matière de démocratie, le premier défilé réclamait ma démission alors que je recevais tout le monde. Le fond était juste cependant : contre la vie chère, contre la profitation, très beau terme créole.
M. Sarkozy s'est par la suite mêlé de l'affaire et m'a contacté à plusieurs reprises. Nous avons finalement organisé un comité interministériel des outre-mer (CIOM) avec 137 mesures quelque peu décevantes. Le seul point intéressant que j'ai du reste reconduit lorsque j'ai été nommé au ministère était le revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA), les 200 euros octroyés après arrêté interministériel étendu par M. Xavier Bertrand devenu ministre. Le dispositif arrivait alors à échéance, initialement prévu pour trois ans, de 2009 à 2012. J'ai prorogé le RSTA pour 18 mois.
L'idée est repartie dans le CIOM que prépare M. Carenco pour faire ressortir la nécessiter de réveiller cette affaire en matière de pouvoir d'achat et de fonctionnement du dispositif. En arrivant à la région et au ministère, nous avions compris qu'au moins trois aspects seraient primordiaux : d'une part, faire voter l'opposition. Un accord, même tacite, de l'opposition était en effet requis. La majorité présente un logiciel en tête sur le marché, c'est la concurrence, de la régulation. Il ne convenait pas de demander une économie administrée, il fallait faire voter l'opposition. Concernant tous les textes que j'ai portés, l'opposition a sinon voté ou s'est abstenue, des abstentions constructives selon leurs propres termes. Ce fut le cas pour la régulation économique, pour l'égalité réelle ou encore pour le sucre.
Une première tentative infructueuse avec quatre voix avait été lancée parce qu'une ministre originaire de mon territoire avait demandé à voter contre. Nous l'avons repris par la suite. Lorsque je suis arrivé au ministère, j'avais déjà un plan de travail : tout d'abord, ne pas nous laisser imposer. Lorsque le Premier ministre m'a appelé pour être nommé ministre, j'ai refusé. M. François Hollande m'avait alors appelé en soulignant que je connaissais les dossiers, les hommes, les territoires affirmant que nous n'aurions pas « d'état de grâce ». Il m'a demandé de réaliser le travail, sachant que je pouvais être aux affaires agricoles ou au budget.
J'ai alors posé trois conditions :
– renommer le ministère « de l'outre-mer » en ministère « des outre-mer » et me laisser choisir mon directeur de cabinet : j'ai très librement choisi M. Fabrice Rigoulet-Roze, qui était à l'époque le conseiller de M. Christian Paul et qui m'avait rendu service lorsque j'étais maire de Vieux-Habitants, commune qui connaissait un gros déficit. Personne ne connaissait le texte, il était le seul à affirmer qu'il était possible de faire un virement direct à la commune sans passer par le préfet. Je l'ai rappelé en souvenir ; il était dans le département du Nord et est aujourd'hui préfet en Loire-Atlantique. J'ai ainsi constitué mon cabinet et ne me suis pas laissé imposer des nominations avec les yeux de Matignon et de Bercy ;
– j'ai demandé la présence de correspondants dans tous les ministères, et si on ne pouvait pas créer des postes totalement dédiés, il fallait pour le moins que l'outre-mer figure dans leur portefeuille. J'étais donc informé de tout qui se préparait dans mes ministères ;
– enfin, il fallait constituer les moyens du ministère. Le ministère comptait 356 agents. Lorsque M. Jégo est parti, il n'en restait plus que 137 à la direction générale des outre-mer (DGOM), ce qui est toujours le cas. La DGOM était une simple délégation outre-mer. Aucun grand administrateur bien capé ne voulait venir y travailler. Nous avons donc dû le transformer, c'était un combat contre le ministère de l'intérieur dont nous dépendions historiquement. Nous avons transformé cette délégation en direction. Ces personnes avaient ainsi des références bien capées à ce travail. L'effectif demeure toutefois insuffisant.
Lors du deuxième conseil des ministres, M. Hollande a demandé qui était disposé à déposer les textes qui devraient être prêts à la rentrée, en septembre-octobre. J'ai immédiatement répondu présent. En deux mois, nous n'avons pas dormi et avons beaucoup œuvré. Nous détenions déjà le bagage intellectuel pour le faire. L'administration m'a proposé plusieurs projets que j'ai récusés qui étaient à mon sens cosmétiques. L'administration n'est pas là pour vous éclairer, mais pour rester dans les normes comptables et budgétaires. Ils sont très compétents, mais si vous n'êtes pas un peu audacieux, on vous servira du réchauffé. J'ai ainsi récusé à plusieurs reprises et nous avons finalement présenté un texte qui a terminé en 35 articles, me semble-t-il. Je précise que des éléments précis, concis et rapidement exécutables étaient attendus, pas trop de décrets d'application, d'arrêtés ou de circulaires. Je crois que nous avons réussi cet exercice. Le principe pour lutter contre la vie chère tendait à ne pas demander des actions impossibles, mais à associer l'opposition, à rester dans le cercle de la raison, j'ose vous dire, un peu libérale, c'est-à-dire travailler le marché, travailler la concurrence, trouver les instruments de régulation.
Je reconnais avoir bénéficié d'un concours que je salue aujourd'hui, ce que du reste j'ai toujours fait, qui est celui de M. Bruno Lasserre, l'actuel vice-président du Conseil d'État, qui était à l'époque président de l'Autorité de la concurrence (ADLC), qui nous a aidés à penser les injonctions structurelles, instrument considérable que nous n'utilisons pas. En effet, dans le fonctionnement du marché, lorsque des préoccupations de concurrence ressortent, et il ne s'agit pas de concurrence effective parce que de petits marchés peuvent parfois nécessiter un monopole, en cas des préoccupations de concurrence, des mesures structurelles peuvent être requises. Ces mesures peuvent se traduire par des cessions d'actifs, des cessions d'actions pour que les principes généraux de marché efficients fonctionnent.
M. Emmanuel Macron, alors ministre, est venu me voir à deux reprises dans mon bureau à l'Assemblée nationale et m'a interrogé sur ce que j'avais entrepris. Le Conseil constitutionnel avait déjà censuré ce principe parce que M. Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, avait voulu réguler le marché de l'alimentaire de Paris entre Casino et de grands groupes alimentaires, ce qui n'avait pas prospéré. J'ai constaté que l'on avait restreint le champ uniquement aux produits alimentaires de première nécessité, parce que l'on atteint au droit de propriété. J'avais auparavant effectué un test en Nouvelle-Calédonie, car les lois de pays de la Nouvelle-Calédonie sont contrôlées par le Conseil d'État et surtout par le Conseil constitutionnel. Ils l'ont validé. Le ministre Macron ne s'est pas gêné et a voulu généraliser ce que je lui avais confié. Il en résulta une censure par le Conseil d'État. Il ne s'est pas gêné dans son projet de loi pour restreindre le champ d'application de la loi qui n'est pas applicable que dans les outre-mer. Même si en apparence et facialement, la concurrence et le marché fonctionnent bien, il n'y a pas de but de position dominante facialement. En réalité, sur le fonctionnement de marchés efficients, il faut parfois demander des réponses structurelles. Cette mesure a été imposée M. Bernard Hayot pour le Robert, à Vindémia également à La Réunion.
Le fonctionnement pourrait cependant être plus optimal. Les injonctions structurelles qui existent presque uniquement pour les outre-mer ont été peu utilisées. M. Macron avait restreint ce dispositif, fragilisé, diminué. Deux critères étaient possibles pour l'utiliser, il en a ajouté un troisième : la concurrence effective. Les trois conditions cumulatives étaient par conséquent difficiles à observer. Or, en 2020, il a dû revenir à nos deux critères, nos deux indicateurs pour déclencher la mise en œuvre des injonctions structurelles dans nos marchés, en y ajoutant d'ailleurs les marchés de gros.
La révolution porte surtout l'article 410-3 du code de commerce qui consiste à dire que dans une économie libérale, le marché régule et fixe donc les prix – et il n'était pas question pour nous de demander une économie administrée, M. Balladur y avait mis fin en 1986 avec la suppression de l'ordonnance du 30 juin 1945 relative aux prix. Cependant, des prix administrés subsistaient dans les outre-mer. C'est toujours le cas du carburant. Il restait le pain, le riz, le butane ainsi que les prix agricoles qui demeurent encore à ce jour, et les baux ruraux. Il revient en effet au préfet de fixer les prix sur la location d'un hectare de terre en banane, en cannes ou en maraîchage, par exemple, les quantités figurent dans des arrêtés préfectoraux, ainsi que les cantines scolaires. Tous ces aspects ont désormais évolué, les cantines sont libres, les maires fixent les prix. Personne ne respecte les prix des baux ruraux par ailleurs. Seul le carburant demeure.
Il n'était pas question de demander à l'État d'administrer les prix. Nous avons par conséquent trouvé le biais que M. Jégo avait déjà exploré, mais qui n'avait pas été codifié et qui, de surcroît, avait été mal rédigé. Nous avons repris le texte et avons notifié qu'en cas de dysfonctionnement de marché en biens ou en prestations de service, et ce peut être après un cyclone ou un tremblement de terre, l'État peut prendre des mesures, peut fixer des prix, peut fixer des conditions d'accès, de loyauté de transaction, notamment sur ce qu'on appelle les facilités essentielles, c'est-à-dire les équipements essentiels : le port, l'aéroport, les télécommunications, les satellites que personne ne juge. Avec Canalsat, nous avons un monopole de transport ou de signaux. Aucun rapport n'a jamais été établi sur les mobilités ; nous devrions somme toute y intégrer les communications. J'ai soulevé ce point à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale qui n'a jamais avancé, car quelque part, celui-ci dérange.
Lorsque nous sommes arrivés en 2012, nous avons repris le texte de la loi sucre qui avait été refusé. Nous avons également immédiatement pris la loi relative à la régulation économique. Je me suis ensuite attaqué au carburant. Je n'ai jamais vu autant d'agressivité ni autant de menaces. Dans une salle contenant presque 100 personnes, j'avais décidé de m'exprimer seul, mon cabinet parlerait par la suite à ma demande. S'agissant de la formation des prix, je tiens à souligner que des points sont encore à revoir parce qu'on n'a pas voulu appliquer les trois décrets et les trois arrêtés de méthode par bassin océanique.
Vous êtes une commission d'enquête et avez donc le pouvoir d'obtenir ce qu'à l'époque on refusait au nom du secret des affaires. Nous l'avons fait une première fois avec M. Philippe Edmond-Mariette qui était député de la Martinique. Nous avions effectué une demande en commission d'enquête sur la formation des prix du secteur aérien. Une mission d'information nous a été donnée ; nous n'avons pas obtenu la formation des prix ni de technique permettant de fixer les prix de différentiel dans un avion. Au nom du secret commercial, nous n'avons pas obtenu ces éléments. Nous avons porté plainte à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui n'a pas bougé. Nous avons saisi l'Europe, le droit européen de la concurrence étant somme toute relativement fort. Nous n'avons pas obtenu de réponse. J'étais pour ma part membre de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et tiens à signaler que c'est une forteresse. La commission d'enquête a les moyens de savoir. Un rapport a été diffusé au mois de février 2022, j'espère que vous l'avez déjà, à la demande du président de la République. Lorsque nous avons demandé l'application de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite « loi Lurel », sur les carburants ainsi que la transparence des prix, il nous a été répondu qu'une enquête allait être menée. Il semblerait que cette enquête ait été réalisée, mais personne ne la connaît. Le gouvernement peut en effet publier et mettre des enquêtes en ligne ou non. Je vous conseille de demander ce rapport à l'Inspection générale des finances (IGF).
Trois aspects doivent être vérifiés, dont la vie chère, les frais de trading. Je reconnais avoir échoué en la matière, on m'a trompé.
Lorsque vous achetez un baril de pétrole dans la mer du Nord de 159 litres, la SARA et à l'époque Total demandaient 7 dollars par baril au nom des frais de négociation. Du reste, depuis 2010, il avait été notifié à ma prédécesseure, Mme Penchard, la nécessité de fournir des documents justifiant les 7 dollars par baril de pétrole, les frais de trading.
Le président de la République M. François Hollande, mon ami, et le Premier ministre M. Jean-Marc Ayrault, mon camarade socialiste, sont venus me voir après le lobbying de Total. J'ai présenté ma démission ce jour-là pour démontrer que je ne céderai pas sur ce point. Je demandais la suppression de 5 euros et pouvais faire un compromis à 3,65 dollars. Il me semble que le tarif a été fixé à 4,7 euros après mon départ du ministère, ce qui contribue à la vie chère, au prix des carburants.
Par ailleurs, on a supprimé ce qui relevait d'une concussion. J'ai perdu ce combat de fixation des prix qui étaient auparavant fixés tous les trois mois et qui le sont tous les mois En procédant de la sorte tous les mois, on contribue à surenréchir les prix. Ces personnes achètent à terme sur des marchés à terme, ce qui permet d'avoir des prix sur trois mois, sur six mois, voire davantage, mais tous les mois, le dernier prix spot est répercuté. J'estime que ce n'est pas loyal, pour ne pas dire autre chose.
Vous remarquerez de plus l'inscription « IPG » ou indemnité de précarité des gérants. On donne parfois à certains 100 000 euros, 50 000 euros ou 250 000 euros, parce que des stations-service gèrent un local qui n'est pas le leur. Ce sont des locataires-gérants. Les stations-service sont possédées par les compagnies pétrolières, elles-mêmes fournies par la SARA qui alimente ces stations-service avec des camions-citernes.
Ces personnes sont gérantes mais pas propriétaires, excepté quelques-unes qui avaient historiquement fait leur station. Ces personnes perçoivent une indemnité de précarité des gérants, payée par le consommateur, après avoir passé des accords interprofessionnels pétroliers. Ce dispositif existe dans l'hexagone, les professionnels prennent cependant sur leurs marges et paient. Dans les outre-mer, ce sont les consommateurs qui paient. Certes, le pourcentage est minime, mais regard vu des millions de litres, certains exploitants, certains locataires gérants ont des sommes parfois très importantes selon le débit de leur station.
Un troisième point est à souligner. Ce sont des personnes de mon propre cabinet qui sont aujourd'hui à l'Élysée qui ont effectué le lissage par la suite. Je me suis parfois opposé à des dérives verbales ou à des actes irresponsables. M. Elie Domota a conduit la grève générale du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) une fois, mais ce prix-là est politique. Qui est aujourd'hui le meilleur défenseur des arrêtés Lurel ? Il s'agit bien de la SARA elle-même. Un accord a en effet été trouvé ; auparavant, environ 13 % de rentabilité du capital ressortaient contre 9 % désormais. Un vrai combat a été nécessaire pour obtenir 9 %. Les marges de la SARA ont ainsi diminué, de même que celles des compagnies pétrolières. Nous n'avons pas touché aux marges des stations-service. Dans cette optique, un accord informel ou gentleman agreement était appliqué et consistait conserver les emplois. Ainsi, 1 000 emplois étaient concernés en Guadeloupe. Les pompes automatiques n'étaient pas souhaitées pour ne pas supprimer les emplois. Nous avons désormais les marges les plus élevées du monde, environ 13,08 par litre de carburant.
J'ai par ailleurs entendu M. le ministre délégué aux outre-mer Jean-François Carenco affirmer après mon passage à Public Sénat que le prix du carburant était plus faible dans les outre-mer. C'est en effet le cas, d'une part parce que nous avons fait le travail alors qu'eux tentent, par lissage, par trading, par l'IPG, de maintenir des aspects qui ne sont pas justifiés. Toutefois, il ne dit pas que la fiscalité des collectivités, donc des régions, est la plus faible de France. Celle-ci est certes moins élevée que la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui existe dans l'hexagone. Notre équivalent est la taxe spéciale sur les carburants qui est plus faible. Depuis 15 ans, à la région Guadeloupe, nous n'avons jamais augmenté cette taxe.
Lorsque j'ai hérité d'une région en déficit, je l'ai baissée après avoir rétabli les équilibres, plus bas que ce que Mme Lucette Michaux-Chevry m'avait laissé. Mon successeur, l'actuel président, M. Ary Chalus, n'a pas appliqué d'augmentation. Si demain on augmentait la fiscalité, on obtiendrait un prix plus élevé, proche de 1,80, ce qui au demeurant avait déclenché des émeutes en Guyane en 2009. J'ai demandé le blocage à 1,50 avec des subventions. Ces propositions sont à destination du prochain CIOM que le gouvernement et le ministre délégué aux outre-mer préparent.
Je tiens à préciser qu'avec cette commission d'enquête, vous avez la chance de pouvoir obtenir des mesures qui ont toujours été refusées aux parlementaires. Je me permets de faire une sorte de recommandation bienveillante : vous pouvez demander des mesures absolument extraordinaires et les obtenir. Il faut attendre de cette commission d'enquête de belles propositions de loi, de beaux amendements très rapidement ainsi que des dispositifs que nous ne connaissions pas concernant l'aérien, le carburant, l'alimentaire, les agences de marque, les exclusivités, les importations, les coalitions, le lobbying ou encore les conflits d'intérêts.
Après m'être occupé du sucre, de la loi de régulation économique, du texte sur les carburants, alors que je n'étais plus ministre, je me suis attaqué à la téléphonie mobile. Nous l'avons obtenu. Ma camarade secrétaire d'État, Mme Axelle Lemaire, avait affirmé que ce n'était pas possible. J'ai reçu des acteurs de Bouygues à l'antenne de la région Guadeloupe. Quatre acteurs de téléphonie mobile étaient présents : Free, Orange France, SFR et Bouygues. L'Europe avait décidé de supprimer les frais liés au roaming, l'itinérance téléphonique. J'ai pour ma part, décidé de le supprimer immédiatement ; Mme Axelle Lemaire était alors secrétaire d'État chargée du numérique et de l'innovation. Les opérateurs sont arrivés dans mon bureau et m'ont signifié que si nous agissions de la sorte, ils n'investiraient plus dans nos territoires.
D'autre part, l'argument d'éventuel un trafic sur les cartes SIM a été mis en avant, soulignant que les agences locales n'auraient plus d'utilité. L'abandon du câble sous-marin à Wallis-et-Futuna avait également été soulevée. Des menaces ont ainsi été faites allant jusqu'à des licenciements. Mme Axelle Lemaire a convoqué tous les députés des outre-mer. J'étais le seul à ne m'être pas rendu à la convocation. Je tiens à affirmer publiquement que j'ai alors uniquement pu compter sur Mme Chantal Berthelot, alors députée de la Guyane, soulignant que rien ne s'opposait à une telle démarche, excepté le poids des lobbys. Nous avons fait passer le texte et sommes allés au Sénat pour tenter de le réécrire et de trouver les aménagements.
Enfin, nous avons laissé mourir le projet de loi sur l'égalité réelle. Le dialogue social est un facteur de productivité ; j'avais fait reconnaître les syndicats locaux. Mme El Khomri est venue en Guadeloupe au prétexte de revoir les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et la politique cœur de ville, qui est d'ailleurs une aberration et qui a beaucoup défavorisé les outre-mer en restreignant les quartiers, les populations et les financements. Ces aspects ont contribué à la cherté des loyers. La situation en matière de logements est en effet anormale. Elle est venue au motif de l'urbanisme, des zonages QPV. En réalité, elle était venue négocier avec moi le retrait du texte sur la reconnaissance des syndicats locaux. Un texte avait cependant été écrit, en prévoyant une expérimentation. Il me semble que celle-ci a pris en 2019 ou 2020. Les syndicats n'ont rien fait.
Toutefois, dans cette affaire, j'ai constamment été confronté aux lobbys à l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), que j'ai vue à la télévision dans des négociations avec les grandes surfaces pour le sucre. Une délégation de l'ANIA est venue me rencontrer en spécifiant que je ne pouvais pas agir de la sorte. Mme la députée de la Guadeloupe Hélène Vainqueur et moi-même avons bien résisté, le gouvernement également. Il en fut de même concernant la téléphonie. Au demeurant, la question des droits exclusifs n'est pas réglée. Des grèves se sont déroulées par ailleurs dans tous les outre-mer à propos des carburants. En Guadeloupe, des syndicats ont déclaré qu'il fallait me laisser face à face avec le lobby pétrolier. Je n'oublierai jamais un voyage dans l'avion présidentiel avec le président M. de Margerie, alors que nous nous rendions au Brésil. Le président de Total est venu à ma rencontre et m'a demandé, en me tutoyant, ce que je faisais, si je voulais revoir ses marges et que la plus petite raffinerie de France pourrait fermer. J'ai répondu qu'il avait insulté les députés de Mayotte, qu'il n'était pas convenable d'agir ainsi. La transparence le dérangeait. Il lui était en effet demandé de domicilier ses comptes en Guadeloupe, à Fort-de-France, à Saint-Denis. S'agissant de comptes publics, il était toutefois possible de rester à Paris ou à Bordeaux. L'important étant la publication et le montant des marges. Je voulais de plus pouvoir effectuer des contrôles des pièces et sur place. Nous l'avons d'ailleurs fait à la SARA en Martinique, ils n'ont pas apprécié : nous sommes arrivés avec des agents assermentés et avons demandé la production de toutes les pièces en vue de procéder à des vérifications.
Tous les chefs d'entreprise vous diront qu'ils ne font pas de marge, monsieur le président, ou que leur marge est petite. Ils diront qu'avec les vols à l'étalage, le pourcentage de produits qui disparaissent, leur marge correspond à la ligne de flottaison. Si vous les écoutez, vous croirez que tous se trouvent dans la misère. J'ai toujours défendu l'entreprise. J'ai toujours affirmé la nécessité d'avoir des chefs d'entreprise dans nos pays, qu'il fallait des marchés qui fonctionnent. Je crois à la concurrence, mais je sais que nos entreprises demandent trop et ne font pas suffisamment d'efforts en transparence. Au reste, en matière de marges, personne ne veut croire aux agences de marque. Nous nous retrouvons face à un emboîtement de poupées russes. Et depuis le départ, les agences cèdent à une sédimentation de marges. Certes, vous pouvez affirmer que la marge n'est que de 1 %, vous l'avez cependant déjà accumulée tout le long du processus. Ce langage doit être décrypté. Si j'avais écouté certains de mes amis martiniquais, en l'absence de marge, il n'y aurait pas d'agence de marque, l'interdiction des exclusivités ne servirait à rien. Ce n'est pas le cas cependant. Des dérives existent cependant, je le reconnais, et j'ai demandé de corriger ce phénomène qui ne l'a pas été. Je souligne ainsi l'instauration de certaines pratiques qui ne sont pas dans l'esprit de la loi. Le législateur doit pouvoir corriger cet aspect à l'occasion.
J'affirme à nouveau que vous avez là une chance extraordinaire que personnellement je n'ai pas eue alors que ce sujet me préoccupe depuis longtemps : cette commission. Vous pouvez entériner des mesures précieuses, de beaux arguments, en bousculant le système tout en respectant sa logique d'ensemble. Le marché restera prégnant, même chez nous. Il est vrai qu'il est de petite taille et que des monopoles sont parfois nécessaires. La contestabilité des marchés doit cependant être appliquée chez nous. Même si le monopole est nécessaire, des prix raisonnables doivent être pratiqués en respectant les contraintes de marchés efficients, ce qui n'est pas le cas parce que l'administration, les juristes, nous-mêmes, législateurs, n'allons pas au fond pour réglementer et pour mieux réguler.