Je dresserai en premier lieu une introduction rapide du fonctionnement des services aériens entre la métropole française et les outre-mer au sens large ; je me concentrerai un peu plus sur les départements d'outre-mer. Il est bien évident que les sujets néo-calédoniens et polynésiens sont également concernés, nous pourrons les aborder si vous souhaitez que nous approfondissions cette question.
La question des tarifs aériens entre la métropole et les outre-mer, ou entre les outre-mer et la métropole, s'analyse dans un contexte du fonctionnement général du marché entre ces différents points. Soulignons tout d'abord les règles du jeu pour les opérateurs sur ces liaisons avant de détailler les conséquences économiques et d'entrer davantage dans les questions que vous vous posez.
La nature européenne de nos départements d'outre-mer a des conséquences juridiques très concrètes sur les opérations aériennes. S'agissant de nos six départements d'outre-mer, qui sont des départements européens, tous les textes européens relatifs à l'aviation s'appliquent entièrement, et notamment le fameux règlement qui régit le marché intérieur de l'aviation en Europe numéroté 1008-2008, adopté en 2008, et qui n'est que la reprise, sur ce point, d'un texte qui date de 1997. Ces textes stipulent que les services aériens entre tous points d'Europe et tous points des départements d'outre-mer (DOM) voient s'appliquer un régime libéralisé : n'importe quelle compagnie ayant une licence de transporteur aérien européenne peut exploiter librement des services, aussi librement qu'entre Paris et Rome ou qu'entre Strasbourg et Nantes. Aucune autorisation de l'aviation civile, par exemple, n'est requise pour exploiter des services. Dans cette optique, toute compagnie peut exploiter à tout moment sur simple notification, à sa guise, des services entre Paris et la Martinique ou entre Nantes et La Réunion etc.
Cette liberté de mise en œuvre de services, liberté de capacité aérienne, est totale et s'accompagne d'une liberté tarifaire, autre composante importante de ce régime libéralisé. C'est ainsi que le nombre de compagnies aériennes sur le marché est nettement plus élevé que ce que nous observons sur des liaisons de distance comparables au départ de la France. Le nombre de compagnies aériennes par liaison est le maximum observé au départ de la métropole, comparé à n'importe quel autre faisceau et à n'importe quel autre continent nord-américain, africain, au Maghreb ou à l'Asie. Ce régime libéral permet à tout un chacun d'opérer des services. Si la compagnie aérienne Lufthansa voulait opérer des services entre Paris et la Guadeloupe, elle pourrait le faire. Une filiale de British Airways, qui s'appelait OpenSkies – Level, a opéré entre l'aéroport d'Orly et les deux îles des Antilles. Il est de fait légitime de s'interroger quant au lancement sur ce type de marché d'autres entreprises européennes au prix avantageux, low cost de longs courriers qui apparaissent actuellement dans le nord de l'Europe.
Dans le cas particulier des territoires polynésiens et néo-calédoniens, le régime est différent, ces territoires n'étant pas européens. La distance à parcourir est d'ailleurs également différente et nécessite presque tout le temps un point d'escale, excepté dans certains cas très particuliers. Les besoins du public ne sont pas les mêmes. Soulignons du reste une capacité de concurrence différente au regard du point d'escale qui s'exprime de façon différente sur chacun des deux segments. Je prends l'exemple de la Polynésie où le lien se fait d'une part entre la métropole et San Francisco ou Los Angeles, et d'autre part, entre Los Angeles et San Francisco et Papeete. Chacun des segments mériterait d'être analysé en détail.
Par ailleurs, du point de vue économique, précisons que la France compte une centaine de compagnies aériennes, dont 18 de grande taille. Sept d'entre elles opèrent en long-courrier vers les outre-mer françaises, ce qui est un chiffre important. Au-delà d'Air France, nous retrouvons Corsair, Air Caraïbes, French Bee, Air Austral et dans les territoires polynésiens, Air Calédonie International et Air Tahiti-Nui qui fait des liaisons long-courriers. Pour les Antilles, trois compagnies aériennes opèrent entre la métropole et chacune des deux îles, et quatre compagnies vers la Réunion. Il y en a eu jusqu'à cinq, ce qui représente un chiffre considérable en long-courrier. Pour Mayotte, deux compagnies sont à dénombrer, de même que pour la Guyane.
Pour ce qui concerne le Pacifique, les schémas sont plus complexes. Cette concurrence est un atout pour les territoires, un bienfait pour les consommateurs. Je sais que nous sommes là pour parler de la hausse des tarifs, mais je tiens à rappeler ce phénomène important qui est le bénéfice que les consommateurs retirent de cette concurrence, qui bénéficient de tarifs au kilomètre par passager plus bas que sur des liaisons internationales de distance comparable au départ de la France. Avant la crise sanitaire, d'après les mesures que nous parvenons à faire et sous le contrôle de mon collègue, ce prix au kilomètre parpassagers transporté était de l'ordre de 33 % plus bas que la moyenne de toute autre liaison internationale de distance comparable, que ce soit l'Asie, l'Afrique, l'Amérique. Post-Covid-19, à la fin de l'année 2022, nous étions encore à moins 41 % en moyenne par rapport à la moyenne mondiale. Ces chiffres peuvent paraître surprenants dans un contexte où nos compatriotes peuvent ressentir une hausse des tarifs élevés, mais je tiens à le déclarer sincèrement, car il est important d'avoir cet élément en tête, d'autant plus lorsque nous analyserons les hausses.
Le premier bienfait se retrouve probablement avec l'importante concurrence que les transporteurs se livrent. Des hausses sont certes à considérer, je vais aborder le point. Il est toutefois possible de regarder le sujet d'une autre manière et de constater que le trafic continue d'augmenter entre la métropole et les DOM, parce que la demande est bien présente et parce que les passagers trouvent leur compte à acheter un billet sur des liaisons. Il est également possible de le regarder d'une autre manière et se demander si ce marché attirerait de nouveaux transporteurs si les tarifs étaient élevés et les marges importantes.
Nous pourrions imaginer Lufthansa se lancer sur la liaison ou de grandes compagnies low cost européennes très célèbres acheter des appareils long-courriers pour se lancer sur ce marché lucratif ou pour faire baisser les prix. Or, ce n'est pas le cas. Nous n'avons pas de Lufthansa, nous n'avons pas d'EasyJet ni de Ryanair parce que la marge n'est sans doute pas jugée suffisante pour eux, ou encore parce que ce n'est pas leur modèle économique ou business model, mais nous n'avons pas de nouvel entrant. L'acteur européen que nous avions, qui était OpenSkies – Level a finalement été liquidé.
Une troisième manière d'examiner cette question microéconomique de la concurrence revient à constater qu'au contraire, des transporteurs ont régulièrement fait faillite sur ces liaisons. Je pense à AOM Air Liberté dans les années 2000 ou à XL Airways qui a fait faillite en 2019 et, comme je viens de le citer, à OpenSkies – Level qui a été liquidée, tout à fait régulièrement et conformément à toutes les règles, fin 2020début 2021.
Il est vrai cependant que les tarifs ont évolué. La crise sanitaire a engendré un sérieux choc au fonctionnement du marché. Le prix du kérosène et le prix du dollar ont beaucoup bougé. Entre septembre 2021 et septembre 2022, le prix du kérosène en euros avait augmenté de 94 % pour un poste de coût qui est de l'ordre du tiers de celui d'une compagnie aérienne. Sur une période un peu plus longue de deux ans, de mars 2021 à mars 2023, il a augmenté de 80 %. Du reste, il était prévisible que les transporteurs reportent tout ou partie de cette augmentation sur leurs tarifs. Cette augmentation de 94 % représente environ 120 euros sur un aller-retour Paris – Antilles pour un passager.
Dans un contexte extrêmement concurrentiel, les transporteurs cherchent à gagner de l'argent et fixent leurs tarifs en fonction de la demande. Entre dix et vingt tarifs différents existent dans un avion. Dans les entreprises, les cadres, que l'on appelle les pricers, fixent toutes les heures les tarifs en modifiant le nombre de places disponibles sur chacune de ces places de réservation. Ils ne modifient pas le tarif lui-même, mais la quantité de billets disponibles dans chacune des classes de tarifs. Ils adaptent la disponibilité des billets et donc les tarifs reçus par le passager à la demande. Il me semble qu'ils comparent le remplissage de l'avion à la même date que l'année précédente, afin de s'assurer qu'il soit normal que l'avion soit rempli, peu rempli, moyennement rempli. Compte tenu du profil de passagers que nous avons dans ces avions vers les outre-mer, nous constatons un phénomène de cyclicité assez prononcé. C'est peut-être la nuance que je mettrais à cette dimension de concurrence : à la DGAC, nous observons de façon traditionnelle que la volatilité du marché est un peu supérieure à celle des autres lignes : en période de pointe, les tarifs augmentent un peu plus que leur augmentation sur une liaison américaine par exemple, ou sud-américaine ou africaine, et descendent un peu plus en période de basse saison. Cette saisonnalité ou volatilité a eu tendance à augmenter après la crise de la Covid-19. Pourquoi ? Dans ces avions, les voyageurs sont principalement des voyageurs que nous appelons affinitaires, VFR (Visiting friends and relatives). Ce sont des familles, des jeunes, des étudiants. Il existe un fort trafic familial, relationnel et intense avec la métropole. Ces voyageurs sont accompagnés d'autres voyageurs qui sont des touristes. Toute cette population a tendance à voyager au même moment, bien plus que sur une liaison nord-américaine ou sud-américaine, ce qui explique la volatilité des tarifs.
Je répondrai par la suite à d'éventuelles questions concernant les moyens sur ce qu'il est possible d'entreprendre ou non.