Intervention de Christophe Naegelen

Séance en hémicycle du jeudi 8 juin 2023 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Durant les nombreuses auditions que nous avons pu mener, les acteurs du secteur financier ont présenté la taxe sur les transactions financières (TTF) comme un mauvais impôt qui fonctionne bien. À titre personnel, je dirais plutôt que c'est un impôt logique, qui pourrait rapporter plus et surtout être plus juste.

Cet impôt est logique parce que son champ d'application est simple : il s'agit des achats d'actions des grandes entreprises cotées : elles sont environ 130 aujourd'hui, qui concentrent l'essentiel des volumes de transactions. Il y a peu de risques de contournement, grâce à un principe d'émission : on taxe les achats d'actions de grandes sociétés cotées installées en France, quels que soient la nationalité de l'investisseur, le lieu de cotation et la nationalité de l'entreprise. Ce principe est bien plus efficace que la taxation des investisseurs français, qui a déjà échoué avec l'ancien impôt sur les opérations de Bourse (IOB), ou même la TTF suédoise dans les années 1980-1990, qu'ont évoquée, en commission, les groupes qui ne voulaient pas voter la proposition de loi (PPL) – bien qu'on ne puisse comparer cette dernière taxe à la nôtre.

Le rendement de la TTF française augmente constamment : 2,2 milliards prévus en 2023 contre 766 millions en 2013. Il faut noter que ce rendement augmente même sans hausse de taux, puisque celui-ci, s'établissant depuis 2017 à 0,3 %, est demeuré constant.

Le coût de collecte est faible, bien plus que celui de l'impôt sur le revenu (IR), et le recouvrement est délégué à Euroclear, unique dépositaire central en France, qui enregistre les transferts de titres sur le marché à la fin de la journée et livre les titres dans les deux jours.

L'impact de la TTF sur l'attractivité de la place est très modéré. Malgré les craintes qui se sont exprimées lors de sa création, en 2012, les volumes de transaction augmentent tendanciellement, la volatilité n'a pas baissé à long terme et la place connaît une dynamique de croissance. Des pays dotés de places financières robustes appliquent des taxes semblables – notamment le Royaume Uni avec la stamp duty, Hong Kong ou Taïwan –, dont le rendement s'élève à plusieurs milliards de dollars. Dans l'Union européenne, l'Italie et l'Espagne perçoivent également des taxes semblables.

Il faut cependant améliorer cet impôt afin de le rendre plus juste. Son assiette est beaucoup trop étroite. On taxe les transferts d'action qui matérialisent une prise de position de long terme, mais non d'autres transactions dont l'utilité sociale ou économique est plus discutable et qui ne contribuent pas toujours à l'efficience des marchés, voire qui sont surtout spéculatives et ne créent pas de valeur ajoutée. On ne taxe pas non plus les transactions intrajournalières, qui représentent environ 80 % du volume de transactions, ni les produits dérivés, qui peuvent servir de couverture ou d'outils de spéculation. Enfin, les modalités de collecte sont peu transparentes et insuffisamment contrôlées, comme l'a relevé la Cour des comptes dans un référé de 2017.

La PPL initiale prévoyait un élargissement substantiel de l'assiette, mais l'article a été supprimé en commission, contre l'avis de tous les groupes d'opposition. Je vous propose de le rétablir, au prix de plusieurs modifications, en nous inspirant du rapport Barroso, en prenant exemple sur plusieurs pays et en nous enrichissant des différentes auditions auxquelles nous avons procédé.

Depuis vingt ans, en raison des progrès technologiques et de la déréglementation des marchés qui a réduit les coûts de transaction, le volume des transactions intrajournalières a explosé – pour quelle utilité sociale, puisque cette explosion ne se traduit pas par une augmentation du financement des entreprises ? Aujourd'hui, faute d'un registre, on ne connaît ni le nombre ni le volume précis de ces transactions intrajournalières.

Le Parlement avait voté leur taxation dans la loi de finances pour 2017, mais l'avait abrogée l'année suivante avant son entrée en vigueur. L'administration et la place avancent un obstacle technique : il faudrait pouvoir se fonder sur un transfert de propriété acté par le dépositaire central Euroclear, qui intervient seulement sur le solde net de transactions à la fin de la journée. Pourtant, le système est déjà déclaratif : dès lors que les intermédiaires déclarent les transactions et les montants à Euroclear, on pourrait taxer les ordres d'achat, comme le recommande d'ailleurs le prix Nobel Joseph Sitglitz.

Les gouvernements français successifs bottent en touche au motif qu'il serait nécessaire d'instaurer une taxe sur les transactions financières européenne. Or la Commission européenne a proposé dès 2011 une TTF à l'assiette très large incluant les dérivés et les transactions intrajournalières, comme nous le demandons aujourd'hui.

Cette version a tout pour plaire : une assiette très large et peu distorsive, un taux bas et un rendement prévisible. C'est pourtant la position française qui bloque l'avancée du texte, car la France propose une assiette que les autres pays jugent bien trop étroite. Dans une lettre datée de 2020 aux ministres des finances de la coopération renforcée, l'Autriche a menacé de quitter le processus si l'on retenait une TTF du type français, qui désinciterait au rachat d'actions et encouragerait les transactions spéculatives.

Je propose donc à la France d'avancer et de taxer les ordres d'achat plutôt que les transferts de propriété actés par Euroclear sur une base déclarative, ce qui permet d'inclure les ordres d'achat annulés par une transaction journalière inverse. Des adaptations informatiques et juridiques sont nécessaires pour ceux qui interviennent sur le marché, mais elles sont réalistes. C'est d'ailleurs la procédure prévue par le projet de la Commission européenne qui tend à taxer les transactions brutes avant toute compensation.

Je propose, par mon amendement n° 31 tendant à rétablir l'article 1er , d'exempter les apporteurs de liquidités, autrement appelés market makers, pour préserver l'attractivité de la place de Paris. Ils interviennent sur moins de 1 % des montants échangés sur celle-ci et ils fournissent un service de liquidités utile, qui suppose, pour être rentable, des transactions intraday non taxées.

Je propose aussi de taxer les produits dérivés, car, s'ils peuvent servir de couverture, donc avoir une utilité financière et économique, ce sont des outils de spéculation risqués. Sur son site internet, l'AMF – Autorité des marchés financiers – indique en effet : « En aucun cas ils ne répondent à des besoins d'investissement de moyen ou de long terme ». Ils sont souvent négociés hors des marchés réglementés. Il serait donc utile d'inciter à renforcer la connaissance et la transparence de ces outils. Je propose ainsi d'inclure dans l'assiette les dérivés uniquement sur actions et indices. Il est paradoxal de taxer la détention d'actions longues et non les transactions les plus spéculatives. À ce stade, mieux vaut ne pas inclure dans la taxation certains dérivés utiles pour des opérations de couverture, par exemple en matière agricole.

Je propose aussi de nous inspirer de l'Italie qui, bien qu'elle taxe les dérivés, a la place financière la plus fréquentée en parts de marché, parce qu'elle taxe davantage les dérivés hors marché réglementé.

Il faut cependant préserver les atouts actuels de la taxe : un taux raisonnable qui ne décourage pas l'investissement de l'épargne en actions ni la cotation sur la place de Paris ; un champ d'assujettis protecteur, en conservant un seuil de capitalisation, dont on peut discuter le niveau, pour protéger les petites capitalisations moins liquides.

Ce texte renforcera la transparence des marchés et le contrôle de l'application de la loi fiscale. La taxation des transactions intrajournalières et des dérivés incitera l'administration et la place à constituer enfin le registre des transactions et à donner les moyens de connaître la nature des transactions réalisées.

Adopté en commission, l'article 2, rédigé à partir de mon amendement, permettra de renforcer l'information sur les modalités de collecte de la taxe par Euroclear, qui préoccupe à juste titre plusieurs groupes parlementaires de notre assemblée. Il prévoit la remise au Parlement, avant le prochain projet de loi de finances, d'un rapport gouvernemental détaillé qui fera le point sur les contrôles exercés sur les développements technologiques nécessaires à l'extension de l'assiette. Ce rapport pourra être enrichi et précisé par les amendements déposés en séance sur le sujet.

Enfin, cette PPL contribuera à désendetter l'État et à rééquilibrer la taxation entre capital et travail. Je tiens à le rappeler, notre dette a augmenté de près de 15 points de PIB ; en 2022, elle dépassait 111 % du PIB. Il est urgent de rétablir nos finances publiques, d'autant que la hausse des taux aggravera encore la charge des intérêts. Il importe surtout de rétablir une forme d'équité entre la taxation du capital et celle du travail. L'extension de l'assiette de la TTF aux transactions intraday et aux produits dérivés procurera un rendement important. C'est une mesure juste, qui tend à valoriser bien davantage le travail, du moins à taxer un peu plus le capital – en l'espèce uniquement les mouvements spéculatifs qui ne créent pas de valeur pour notre pays.

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