Je tiens à souligner à mon tour le caractère inédit et même historique de cette audition : elle inaugure l'examen d'une nouvelle loi financière résultant de la révision organique du 14 mars 2022, impulsée par Thomas Mesnier et à laquelle plusieurs d'entre vous ont participé. Je forme avec vous le vœu que les débats autour de ce texte permettront d'enrichir le temps consacré durant le printemps à l'évaluation et au retour sur les comptes de l'exercice clos, tant dans le champ de l'État que dans celui de la sécurité sociale.
Comme je l'ai souligné s'agissant du projet de loi de règlement du budget de l'État, il s'agit ici, pour l'essentiel, d'une photographie des comptes de l'année précédente. C'est donc aussi un test pour les parlementaires, qu'ils appartiennent à la majorité ou aux oppositions : ce texte permet de savoir qui se place dans une posture d'opposition systématique et stérile, consistant à rejeter tous les projets de loi, y compris ceux qui ne sont qu'un état des lieux de l'année précédente, auxquels on ne peut absolument rien changer – tout en sachant que les oppositions constructives, essayant d'améliorer les textes, peuvent formuler leurs propositions plutôt dans le cadre de la loi de financement pour l'année suivante.
Sur le fond, ce projet de loi donne une image sincère des comptes de la sécurité sociale. Trois branches sur cinq sont excédentaires : à hauteur de 200 millions d'euros pour la branche autonomie, dans sa deuxième année d'existence ; de 1,9 milliard pour la branche famille et de 1,7 milliard pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Toutefois, dans l'ensemble, les comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) présentent un déficit de 19,6 milliards, en raison de la situation des deux principales branches : la branche maladie a un déficit de 21 milliards et la branche retraites de 3,8 milliards.
Le déficit de la branche maladie se résorbe, même s'il reste très important, du fait en particulier des dépenses liées à la crise sanitaire, qui se sont encore élevées à 11,7 milliards d'euros en 2022 et ont permis de financer la poursuite, notamment en début d'année, des tests de dépistage et de la campagne de vaccination.
S'agissant de la branche vieillesse, le déficit s'établit à 3,8 milliards d'euros dans le champ des régimes obligatoires de base, ce qui témoigne d'une dégradation par rapport à l'an dernier, même si la situation s'est améliorée par rapport à 2020. C'est précisément parce que la trajectoire de cette branche n'était pas soutenable que nous avons défendu une réforme qui permettra au système de retraite de revenir progressivement à l'équilibre.
Par rapport à 2021, le déficit global de la sécurité sociale se réduit de 4,6 milliards d'euros. Outre le fait que les dépenses liées à la crise ont été moindres, cette amélioration est largement le fruit de la politique économique que nous menons. Celle-ci a permis la création de 1 700 000 emplois depuis 2017, dont 337 000 pour la seule année 2022. Ces 337 000 nouveaux emplois représentent l'équivalent de 5 milliards d'euros de cotisations supplémentaires alimentant chaque année les caisses de la sécurité sociale. C'est autant d'argent en plus pour les hôpitaux, les crèches ou encore les Ehpad. Combinées aux hausses de salaires, ces créations d'emplois ont permis une croissance de la masse salariale de 8,9 % en 2022.
Au total, les recettes de la sécurité sociale, y compris la fiscalité affectée, ont progressé de 5,4 % en 2022. Les allégements généraux de cotisations font souvent l'objet de débats. D'une part, ils sont compensés à la sécurité sociale. D'autre part, et surtout, c'est cette politique qui a permis la création massive d'emplois. Si nous n'avions pas créé 1 700 000 emplois depuis 2017, le déficit de la sécurité sociale se serait alourdi de 25 milliards. Le meilleur moyen de financer nos politiques publiques, en particulier notre modèle social, c'est de faire en sorte que davantage de Français travaillent. Si notre taux d'emploi était le même que celui de nos voisins allemands, les recettes fiscales et sociales seraient tellement importantes qu'il serait beaucoup plus facile d'équilibrer les comptes chaque année et de réduire les déficits. Il faut donc tout faire pour améliorer le taux d'emploi. Nous nous y efforçons en luttant contre le chômage et en menant des réformes, notamment celle de l'apprentissage, et désormais celle du lycée professionnel. La réforme des retraites, quant à elle, se traduira par une amélioration du taux d'emploi des seniors, comme cela avait été le cas après la réforme Fillon de 2010 – il avait augmenté de 15 points.
En 2022, pour la troisième année consécutive, l'État a été non plus débiteur mais créancier de la sécurité sociale, à hauteur de 100 millions d'euros, alors qu'il avait accumulé, au cours de la décennie passée, des dettes atteignant parfois 1 milliard. Cela constitue un progrès en matière de transparence des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
Durant l'année écoulée, la sécurité sociale a aussi continué à rembourser ses dettes, à travers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui a amorti 19 milliards d'euros et continuera à fonctionner jusqu'en 2033, date prévue pour son extinction aux termes de la loi organique du 7 août 2020.
Par ailleurs, nous prenons acte du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille pour l'année 2022. Ce n'est pas le premier refus de certifier prononcé par la Cour : il y en a eu huit depuis 2006, dont deux concernaient la branche famille. Toutes les majorités successives ont été confrontées à une telle situation. Cela dit, nous prenons les observations de la Cour très au sérieux et nous nous mobilisons sans attendre pour y répondre.
La majorité des erreurs de calcul soulignées par la Cour concernent le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité. La fiabilisation de la liquidation sera notre priorité, à travers le dispositif de ressources mensuelles (DRM), qui sera généralisé d'ici au début de 2025. Concrètement, les caisses d'allocations familiales (CAF) disposeront d'informations plus fiables, ce qui réduira drastiquement les erreurs de calcul. Dès le mois de juillet, le montant net social que doivent déclarer les allocataires sera inscrit sur les bulletins de paie, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.
À ce propos, je ne saurais conclure sans confirmer l'intention du Gouvernement de lutter inlassablement et implacablement contre toutes les fraudes aux finances publiques. En matière de fraude sociale, j'ai annoncé un plan complet : cet arsenal de mesures permettra de combattre le travail non déclaré ainsi que les fraudes aux prestations de santé et aux prestations sociales.
L'an dernier, nous avons déjà obtenu des résultats historiques en matière de lutte contre la fraude. Plus généralement, depuis la première élection d'Emmanuel Macron, en 2017, les redressements concernant la fraude sociale ont progressé de 35 % : plus 50 % du côté des redressements des Urssaf, plus 30 % de préjudices détectés et évités par l'assurance maladie, les CAF et les caisses de retraite. Il en va de même en matière fiscale, même si ce n'est pas l'objet de cette audition : les mises en recouvrement par la direction générale des finances publiques ont atteint 14,6 milliards d'euros l'an dernier – un record.
Si nous avons déjà fait beaucoup, nos ambitions dans ce domaine sont encore plus élevées. C'est le sens du plan que j'ai présenté ce matin : nous entendons changer d'échelle. Après une progression de 35 % des redressements au cours des cinq années précédentes, je veux que nous progressions de 100 % durant les cinq années à venir, c'est-à-dire que le montant de la fraude redressée soit doublé en 2027 par rapport à 2022.
Cette politique nécessite des moyens supplémentaires. À cet égard, j'ai annoncé 1 000 postes de plus pour le personnel chargé des contrôles dans les caisses de sécurité sociale, soit une augmentation de 20 %. Cela suppose aussi un investissement technique. Pour ce faire, nous avons élaboré un plan, doté de 1 milliard d'euros sur cinq ans, ayant pour but de moderniser les systèmes d'information, ce qui permettra de croiser plus efficacement les données. Nous avons également annoncé de nombreuses mesures concernant les cotisations sociales, l'assurance maladie et les allocations sociales.
C'est un enjeu de finances publiques ainsi que de cohésion nationale : garder le contrôle de notre modèle social suppose de maîtriser les prestations et de savoir à qui nous les versons. Or, depuis longtemps, les gouvernements successifs avaient perdu ce contrôle, au moins dans une certaine mesure.
Financer notre modèle social par le travail : tel est le choix que nous assumons depuis 2017. C'est la condition essentielle pour assurer sa pérennité.