Je tiens d'abord à répondre à vos nombreuses questions sur mon indépendance. Michaël Zemmour a été nommé au HCFP : c'est la richesse du HCFP que de rassembler des experts qui défendent des visions politiques différentes.
Par ailleurs, le HCFP n'est pas un organe politique : son objectif principal est de vérifier la crédibilité des prévisions macroéconomiques du Gouvernement, en particulier concernant la loi de finances. Sa dimension politique est sans doute moindre que celle que vous lui prêtez.
Le CAE, que j'ai présidé, est un conseil indépendant. Je crois avoir l'avoir démontré par de nombreuses notes. D'ailleurs, nombre de députés, issus tant de la majorité que de l'opposition, les ont utilisées pour alimenter leur propre argumentaire politique.
Nous avons effectué un travail économétrique pour montrer que la C3S, en particulier, avait un impact fortement négatif sur la productivité, la compétitivité et les exportations. Nous montrions que les entreprises ayant bénéficié d'une diminution de la C3S exportaient davantage et importaient moins que celles qui n'avaient pas été touchées par la réforme. J'ai donc défendu la suppression de la C3S. Je n'ai pas défendu, en revanche, la baisse de la CVAE : je n'étais pas sur la même ligne que le Gouvernement. Comme je l'ai publiquement exprimé à diverses reprises, l'objectif était une réduction de 3 et non de 10 milliards d'euros. Le CAE a également publié une note sur l'allègement des charges sur les salaires supérieurs à 1,6 Smic. Cette mesure ne me semblait pas des plus utiles. Notre position était en réalité très éloignée de celle du Gouvernement. Le CAE, enfin, a produit un travail sur la légalisation du cannabis. Là encore, je ne crois pas que le Gouvernement ait apprécié nos recommandations !
Pendant les cinq années durant lesquelles j'ai présidé le CAE, mon objectif était de conseiller le Gouvernement : je crois avoir démontré l'indépendance de ce conseil, puisque nos avis étaient fréquemment éloignés de la ligne de l'exécutif. Je peux bien entendu m'engager solennellement devant vous à faire preuve d'indépendance mais il me semble que mon expérience au CAE en témoigne.
S'agissant des conflits d'intérêts, j'ai en effet été conseiller d'Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'économie et ai participé à sa campagne en 2017. Depuis six ans, je n'exerce aucune fonction politique : cela aurait été incompatible avec la présidence du CAE, lequel est constitué d'universitaires indépendants. Par ailleurs, je n'identifie pas de conflit d'intérêts matériels. Je suis professeur d'économie à Sciences Po, doyen de l'École d'affaires publiques. Je ne reçois pas de financements d'institutions privées ou d'entreprises.
En tant qu'universitaires, nous sommes parfois amenés à être entendus comme experts par les administrations, le Gouvernement ou les ministres. Sans cela, la séparation entre le monde universitaire et le monde politique serait complète. La France fait figure d'exception à cet égard car, dans la plupart des autres pays, ces deux mondes sont plus fortement imbriqués, ce qui est une bonne chose. En revanche, le partage des rôles doit être clarifié.
Certaines de mes opinions rejoignent celles du Gouvernement, d'autres en diffèrent. Ainsi, je me considère comme un orphelin de la réforme systémique des retraites. Pour ma part, je n'étais pas un ardent défenseur de l'option qui a été retenue.
Je suis macroéconomiste et non expert en finances publiques, comme certains d'entre vous l'ont souligné. Toutefois, l'un des rôles du HCFP est de vérifier la crédibilité des prévisions macroéconomiques. C'est de ce point de vue que je considère avoir les compétences requises pour y siéger. Le HCFP a précisément besoin d'une pluralité d'experts, afin de couvrir l'ensemble des sujets qu'il traite.
Je suis favorable à l'élargissement des compétences du HCFP. L'analyse de la soutenabilité de la dette devrait ainsi être intégrée à son mandat, comme dans certains États membres de l'Union européenne. Il est possible que la révision des règles budgétaires proposée par la Commission européenne intègre une extension du rôle des institutions budgétaires indépendantes.
La dette a fortement augmenté, pour atteindre environ 110 points de PIB. Le programme de stabilité annonce une stabilisation de la dette en pourcentage du PIB vers 2027. La dette est aujourd'hui soutenable mais la situation reste préoccupante : nous sommes sur le fil du rasoir. Notre déficit public fait partie des plus élevés de la zone euro.
Il n'existe pas de définition scientifique de la soutenabilité de la dette. Comme le précisait M. Coquerel, plusieurs critères doivent être étudiés. Le pourcentage de la dette sur le PIB est une définition problématique, puisqu'elle compare un stock et un flux. Les économistes considèrent que ce ratio est intéressant : une dette est généralement définie comme soutenable dès lors que ce rapport reste stable, puisque le PIB forme la base taxable d'un pays. Par ailleurs, les paiements d'intérêts de la dette doivent être scrutés, tout comme le coût marginal de l'endettement. Ce taux devrait atteindre 2 % à l'horizon 2027. C'est un niveau élevé mais nous en avons déjà connu de plus hauts, lorsque les taux d'intérêt étaient importants.
Par ailleurs, si le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance d'une économie, les paiements d'intérêts augmentent plus rapidement que le PIB : c'est l'effet « boule de neige ». La seule solution pour stabiliser le ratio entre la dette et le PIB est alors une politique d'austérité budgétaire, afin d'assurer un excédent primaire, hors paiement des intérêts.
C'est d'ailleurs ce qui s'est passé en 2011-2012. Je suis assez critique envers la politique d'austérité qui a alors été conduite : menée à contretemps, elle a aggravé la crise plus qu'elle ne l'a résolue. Les ajustements budgétaires doivent être opérés de manière très graduelle. Je suis un macroéconomiste keynésien : selon moi, les politiques d'austérité budgétaire à court terme ont très clairement un effet négatif sur le PIB.
Les règles budgétaires actuelles sont également inadéquates, puisqu'elles ne tiennent pas compte de l'inflation. Le ratio entre la dette et le PIB a fortement diminué juste après la seconde guerre mondiale, lorsque les taux d'inflation étaient très élevés : en cas d'inflation, la dette, qui est un stock, augmente beaucoup plus lentement que le PIB. La plupart des économistes estiment donc que les règles budgétaires selon lesquelles le déficit public annuel doit rester inférieur à 3 % et la dette publique à 60 % n'ont pas de sens. Le seul intérêt de ces critères est que chacun les a bien en tête.
La dynamique et la nature de l'inflation ont changé au cours du temps. Très clairement liée à un choc des coûts par le passé, elle s'est diffusée tout au long des chaînes de valeur. Il est donc difficile de la faire diminuer rapidement. Pour ce faire, il faudrait plonger l'ensemble de la zone euro dans la récession en augmentant très fortement les taux d'intérêt. Je ne suis pas certain que le coût économique et social en vaille la peine.
Les politiques monétaires qui utilisent le taux d'intérêt comme instrument ont un impact sur la soutenabilité des dettes publiques, par deux canaux : le premier, direct, est lié aux taux d'intérêt à court terme mais aussi à dix ans ; le second, indirect, est le risque de récession en cas de politique monétaire trop restrictive.
Il est difficile d'examiner les prévisions macroéconomiques de la loi de programmation et des lois de finances sans analyse de la crédibilité des recettes fiscales ou des dépenses publiques. Elles forment en effet un équilibre. La séparation des deux exercices me paraît complexe. C'est la raison pour laquelle nous cherchons plutôt à analyser conjointement la prévision macroéconomique, qui est le cœur de la mission du HCFP, les dépenses et les recettes, ainsi que la soutenabilité de la dette.
Il est vrai que les conseils budgétaires indépendants ont été créés avec une dimension européenne. Ils existent dans tous les pays. Dans une zone monétaire, la surveillance multilatérale des finances publiques des États membres est nécessaire. En effet, comme la crise de la zone euro l'a montré, si un pays fait face à un problème de soutenabilité de sa dette, c'est l'ensemble de la zone qui est affectée : des transferts seront nécessaires et la BCE sera contrainte de modifier sa politique monétaire. L'union monétaire appelle à une forme de cohérence : si on accepte l'euro, on accepte en même temps des règles budgétaires partagées et une surveillance budgétaire des uns et des autres.
D'un autre côté, le débat budgétaire doit se tenir à l'échelle nationale. Trop longtemps, des gouvernements, dont celui de la France, ont attribué la responsabilité des politiques budgétaires rigoureuses à Bruxelles. Je crois que certains débats budgétaires ont été trop européanisés. Il revient notamment au HCFP de leur rendre une dimension nationale.
Ces débats sont en effet techniques : pour qu'ils soient plus largement partagés, il importe qu'ils fassent l'objet d'échanges avec la représentation nationale mais aussi dans les sphères médiatiques. En tant que membre du HCFP, je pourrais aussi être présent dans les médias mais je m'y exprimerais alors en tant qu'économiste, et pas au nom de l'institution.
Vous m'avez interrogé sur les moyens du HCFP, notamment dans l'hypothèse d'un élargissement de ses compétences. Les institutions budgétaires indépendantes de plusieurs pays en Europe, ainsi que l' Office for Budget Responsibility au Royaume-Uni, sont chargées des prévisions macroéconomiques du Gouvernement ; en France, ce rôle est celui du Trésor, tandis que le HCFP en vérifie ensuite la crédibilité. Dans la note du CAE, nous notions qu'il serait bon que le HCFP engage des économistes et des conjoncturistes pour réaliser ce travail indépendant sur les prévisions macroéconomiques car il demande une grande technicité et la définition d'un modèle économétrique de prévision. Les moyens dont est doté le HCFP sont actuellement insuffisants pour répondre aux missions supplémentaires qui pourraient lui être attribuées.
Le HCFP se plaint en effet des délais trop courts dont il dispose pour examiner les lois de finances. Je regrette que la LPFP ne puisse pas être examinée par le HCFP.
La gestion de la dette écologique est une question centrale mais absente des règles budgétaires. J'y vois, là encore, une bonne raison de les réformer. Certains proposent d'exclure des règles budgétaires les dépenses dites vertes. Toutefois, cette manière de procéder ne règlera pas la question de la soutenabilité de la dette car il est légitime que ces dépenses soient financées par de la dette, comme le soutenait M. Pisani-Ferry, puisqu'elles créent un actif dans le futur – la réduction de nos émissions de CO2. Il faut cependant que la dette soit soutenable : nous ne devons pas nous retrouver dans une situation où nous n'arriverions plus à la refinancer.
Par ailleurs, la dynamique de la dette financière dépend aussi des investissements publics en faveur de la soutenabilité environnementale. Si un pays refusait d'y procéder afin d'améliorer sa situation financière, il serait légitime que les institutions budgétaires indépendantes ou que l'institution européenne des conseils indépendants prennent en compte ces manquements dans la dynamique de soutenabilité de la dette publique car ces investissements devront de toute façon être réalisés. Il faut donc avoir une approche intégrée de ces deux soutenabilités, financière et écologique. Or ce chantier n'a pas encore été ouvert, ni en France ni en Europe.
Les règles budgétaires rédigées au moment du traité de Maastricht me paraissent dépassées : premièrement, nous avons vu à quelles erreurs elles pouvaient donner lieu. Deuxièmement, elles ne prennent pas en compte l'inflation. Enfin, elles n'intègrent pas la dimension écologique. Le CAE a proposé plusieurs réformes de ces règles budgétaires dans une note datée de 2019. Il conviendrait pour moi de supprimer les objectifs de seuil de déficit public à 3 % et de dette publique à 60 % et d'intégrer une dimension environnementale à l'analyse de la soutenabilité de la dette.