Intervention de Valérie Guillard

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Valérie Guillard, professeur à l'Université Paris-Dauphine :

. – En préambule, je précise que je parle à travers le prisme des sciences de gestion, champ dans lequel s'inscrit mon expertise. Je le mobilise plus particulièrement en parlant du comportement du consommateur et notamment de l'analyse de ses pratiques.

Je vous présenterai les difficultés des consommateurs à réduire leur consommation de plastiques. Je parlerai essentiellement des plastiques non ou peu réutilisables, lesquels créent davantage de déchets, à travers l'alimentaire et le textile.

Je structurerai mon propos en trois points, largement interconnectés : les freins au changement des habitudes des consommateurs, l'offre des entreprises, et le rôle des pouvoirs publics, des politiques publiques et des territoires.

Je pense qu'une réduction de la consommation de plastiques passe par l'interaction entre ces trois parties prenantes. La prise en compte de ces trois acteurs permet un partage de responsabilités. Quand nous interrogeons des consommateurs, ceux-ci indiquent souvent qu'il est nécessaire de cesser de les culpabiliser et qu'ils ne sont pas les seuls à devoir agir pour la transition écologique. C'est l'interaction dans la vie sociale entre organisations non marchandes, entreprises, consommateurs, pouvoirs publics, etc., qui permettra d'avancer ensemble dans une analyse systémique.

Quels sont les freins au changement des modes de vie vers moins de consommation plastique ? J'ai structuré les raisons de ces freins – matérielles, logistiques, sociales, culturelles, psychologiques – en trois étapes qui caractérisent la façon de consommer : le savoir, le vouloir et le faire. Dans le faire se trouve le pouvoir faire. Ces étapes doivent être prises en compte pour transformer les modes de vie.

Première étape, celle du savoir : le consommateur sait-il qu'il consomme du plastique ? Le consommateur a-t-il conscience qu'il consomme du plastique et surtout de ce qu'il génère en consommant du plastique ? Évidemment, l'information ne relève pas du même concept que la prise de conscience. Le consommateur sait-il que ses vêtements de fast fashion contiennent du plastique ? Un véritable travail des marques et aussi des organisations doit être mené, notamment sur les étiquettes et sur l'information associée. Parfois cette information n'est pas vraiment comprise. Le consommateur effectue-t-il ce travail de réflexivité ? Connaît-il les conséquences sur le vivant de la consommation de certains vêtements en « plastique » ? Sait-il que l'usage de matières recyclées dans ces vêtements n'est pas nécessairement meilleur et plus écologique ?

En effet, dans la mode, il existe un discours sur le recyclé qu'il convient certainement de mieux expliquer aux consommateurs. Dans une perspective de transition écologique, pour un mode de vie plus sobre et pour réduire les conséquences de notre consommation sur le vivant, nous devons restreindre notre consommation aux besoins et ne pas utiliser des détours comme la mode avec du textile recyclé pour se donner un bon argument pour continuer à consommer au même rythme. L'information du consommateur pose une question aux pouvoirs publics. Cette information doit être claire et inviter à s'orienter vers des pratiques plus adaptées sur le plan environnemental et social.

La deuxième étape correspond au vouloir. Le consommateur souhaite-t-il utiliser moins de plastique ? Cette question est importante, car la transformation des modes de vie demande un effort cognitif (s'informer, chercher à substituer le plastique par d'autres matières) et un effort physique : le plastique est pratique, léger et donne confiance. Avec la crise de la Covid, nous avons observé une résurgence d'emballages plastiques.

Quelle pourrait être une alternative au plastique ? Faire des courses dans un magasin de vrac est un peu plus contraignant que dans une grande surface où les emballages plastiques sont plus nombreux. Dans un magasin de vrac, il faut penser à prendre ses sacs et ses pots en verre. La logistique doit ainsi être repensée. Le consommateur est-il prêt à repenser sa logistique ? Comment les organisations, les entreprises et les grandes surfaces peuvent-elles l'accompagner dans ce changement pour qu'il ne soit pas seul et qu'il ne subisse pas tous les coûts ? Par exemple, en grande distribution, les suremballages sont nombreux. Quelles actions mène la grande distribution pour encourager les consommateurs à prendre leurs propres contenants ? On observe que la grande surface ne fournit pas beaucoup d'efforts pour faciliter l'initiative du consommateur à venir avec ses contenants. La grande surface doit-elle valoriser ce type de comportement avec une gratification par exemple, comme une carte de fidélité ?

Le consommateur se situe aujourd'hui dans un certain confort et dans une certaine habitude. Changer n'est pas sa priorité, parce que cela demande du temps et une vraie réflexion sur l'utilité du changement. Prenons-nous le temps de repenser nos modes de vie vers moins de plastique et d'autres formes alternatives de consommation ? Le processus doit être facile et faire l'objet d'un véritable accompagnement, notamment par les entreprises. Le consommateur seul ne pourra pas changer ses modes de consommation.

La dernière étape correspond au pouvoir faire. Le consommateur peut-il changer son mode de vie pour moins de plastique ? Cela pose la question des aspects matériels et économiques. Parfois, une absence de dispositif rend impossible le changement de consommation. Par exemple, si les offres de stylos qui ne sont pas en plastique sont de plus en plus nombreuses, il n'est pas toujours aisé de trouver la bonne marque et le bon produit. Aujourd'hui, les solutions alternatives au plastique, comme le vrac, restent onéreuses. Le vrac reste coûteux, parce qu'il est bio ou vendu dans des magasins en centre-ville. Nous pouvons légitimement penser que dans de tels cas, le prix des loyers se répercute sur les produits. Mais le consommateur rencontre beaucoup de difficultés à comprendre cette différence de prix. Il est toutefois possible de trouver du vrac sur les marchés pour des prix moins élevés. Cependant, le consommateur est peu encouragé par des prix souvent plus chers à se rendre en centre-ville, à repenser sa logistique et sa façon de faire les courses alimentaires.

C'est également vrai dans le domaine du textile. La fast fashion est beaucoup moins coûteuse qu'un vêtement de mode plus éthique et plus durable. Un t-shirt de fast fashion coûte environ 6 euros et un t-shirt de mode durable entre 18 et 20 euros. La question de la justice sociale est posée. Comment permettre aux différentes catégories sociales un accès aux alternatives qui utilisent moins de plastique et qui sont beaucoup plus coûteuses pour le consommateur ?

La question de la démocratisation du vrac est posée. Le territoire encourage-t-il certaines initiatives ? Par exemple, en région parisienne, une initiative appelée « la tournée » permet aux consommateurs de se faire livrer des courses avec des contenants en verre. Comment valoriser ce type d'initiative ? Comment faire valoriser ces initiatives par les territoires ?

En conclusion, je pense qu'une diminution drastique de la consommation de plastique passe par un accompagnement du consommateur, en termes d'information notamment. Il s'agit d'une question systémique. Elle questionne, certes le consommateur, remet en cause ses modes de vie, mais également l'offre des entreprises. Comment les entreprises peuvent-elles proposer des alternatives ? Les pouvoirs publics doivent s'interroger, certainement en termes d'information, voire en termes d'orientation. En effet, parfois le consommateur aimerait mieux consommer, mais il est nécessaire de lui indiquer quel chemin prendre. Cela pose également la question de la valorisation par les territoires. Comment les territoires peuvent-ils aider à la mise en place de ces pratiques alternatives ?

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