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Intervention de Olivier Gabut

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Olivier Gabut, professeur à Centrale Lille Institut, chargé des matières écoresponsables pour le Groupe Legrand :

. – J'interviendrai avec une double casquette, puisque je suis salarié du Groupe Legrand au sein duquel je développe l'utilisation des matières plastiques recyclées. Je travaille depuis quelques années maintenant sur le recyclage des matières plastiques. Cette activité chez Legrand est couplée à une activité au sein de l'école Centrale de Lille où je suis enseignant associé.

Le Groupe Legrand est une société française qui fabrique des équipements électriques et électrotechniques de différentes catégories et dans différents domaines. Il est localisé à Limoges. C'est une société qui est largement spécialisée dans la transformation de matériaux, des matériaux métalliques et des matériaux plastiques, à partir desquels nous construisons des sous-ensembles. Une fois assemblés, ils arriveront à l'état de produits finis et deviendront des composants électriques et électrotechniques. Ces produits finis seront in fine commercialisés. Ainsi, l'activité de Legrand est essentiellement une activité de transformation de matériaux métalliques et plastiques.

Depuis quelques années maintenant, Legrand est fortement orienté vers l'incorporation de matières plastiques recyclées dans ses produits. Je pense que nous pouvons réellement parler de recyclage, parce que lorsque nous avons intégré de la matière plastique dans des composants, il s'agissait de composants initialement fabriqués en plastique. Nous n'avons donc pas remplacé du bois ou des matériaux classiques par de la matière plastique. Aujourd'hui, nous disposons de différentes sources et de différentes origines de matériaux recyclés qui nous permettent de fabriquer différents composants intégrés dans des produits finis. Ces composants sont porteurs d'une certaine quantité de matières plastiques recyclées. Nous consommons chaque année à peu près 5 000 tonnes de matière plastique recyclée avec l'objectif d'amener cette quantité à 8 000 tonnes d'ici 2024. Par ailleurs, je travaille depuis 7 à 8 ans sur le développement et le déploiement de l'utilisation des matières plastiques recyclées dans le groupe.

Comment l'écoconception peut-elle aider à l'incorporation de matière plastique recyclée ? Il m'a paru important d'en redéfinir un certain nombre de principes. L'écoconception est une démarche qui consistera à intégrer des considérations environnementales dès la conception d'un produit, d'un bien ou d'un service. Surtout, elle permettra de maintenir les considérations environnementales tout au long de la phase de fabrication et d'utilisation. Généralement, l'écoconception va de pair avec l'analyse de cycle de vie.

L'analyse de cycle de vie est une approche à travers laquelle on considère qu'un produit nait et finit par mourir à l'issue de différentes étapes qui ponctueront sa vie. Le produit est d'abord à l'état de matériaux bruts. Puis, il est fabriqué, distribué, utilisé et arrive en fin de vie. Ensuite, nous essayons de modéliser ou d'estimer l'ensemble des impacts environnementaux associés à ces différentes étapes, et ceci, au travers de différents indicateurs environnementaux.

Les indicateurs environnementaux sont plus ou moins en lien avec les impacts environnementaux. Il est possible de considérer par exemple l'épuisement des ressources naturelles, la consommation énergétique, les consommations en eau, les impacts sur le réchauffement climatique au travers du global warming. Nous avons donc à disposition un ensemble d'indicateurs environnementaux qui sont pris en compte dans la modélisation de type ACV.

L'analyse de cycle de vie consiste à croiser pour chacune des étapes du bien ou du produit considéré la modélisation ou l'estimation de la valeur d'un impact. Ensuite, par une forme de cumul, nous aboutissons à un total, lequel nous fournit l'analyse de cycle de vie globale du produit.

Selon l'ACV, dès lors qu'une analyse de cycle de vie présente au moins un indicateur amélioré, il est possible de prétendre que le produit a été écoconçu. Vous pouvez choisir n'importe lequel de ces indicateurs, sans transfert de pollution sur les autres indicateurs. Plus précisément, les indicateurs améliorés ne doivent pas causer de préjudices sur d'autres aspects. Par exemple, pour le cycle de vie d'un produit, je peux choisir d'améliorer mon procédé de fabrication. Je diminue ainsi un certain nombre d'indicateurs environnementaux. Si la conséquence de ces améliorations se traduit par une dégradation des indicateurs associés à la phase d'utilisation, j'ai généré un transfert de pollution et je ne me situe donc pas dans une démarche d'écoconception.

Dès lors qu'un impact est amélioré, l'écoconception peut être affichée comme atteinte, mais avec un certain nombre de limites. En effet, nous nous appuyons sur un certain nombre d'indicateurs environnementaux, mais il n'existe pas d'indicateurs pour tous les impacts environnementaux. L'impact toxicologique sur l'humain, l'impact sur la biodiversité ou l'empreinte plastique ne sont, par exemple, pas pris en compte dans l'analyse du cycle de vie. Ainsi, l'ACV et l'écoconception constituent de bons outils, mais ils ne sont pas toujours suffisants.

Pouvons-nous tout de même relier l'utilisation de matières plastiques recyclées à une meilleure écoconception ? Nous nous focaliserons sur la partie matériaux de mon analyse de cycle de vie d'une matière plastique. Nous ferons l'hypothèse que cette utilisation de matière plastique recyclée n'aura pas d'impact ni sur la fabrication et la distribution, ni sur aucune des autres étapes du cycle de vie. En toute rigueur, si nous voulons prétendre que l'utilisation de la matière plastique recyclée contribue à une meilleure écoconception, il est nécessaire de disposer de la modélisation environnementale de la matière plastique recyclée. Plus précisément, il faut disposer de l'analyse de cycle de vie de notre propre matière plastique recyclée. Aujourd'hui, cette analyse est extrêmement compliquée à établir, parce que les données ne sont quasiment pas disponibles. Nous pouvons malgré tout émettre des hypothèses. Si nous considérons que la matière plastique recyclée permet d'éviter de consommer du pétrole, le facteur consommation de ressources épuisables sera amélioré. L'épuisement en matières premières ( raw material depletion - RMD) risque d'être proche de zéro. En revanche, le recyclage d'une matière plastique entraîne des étapes de collecte, de tri, de lavage notamment. Pour laver une matière plastique, il est nécessaire de consommer de l'eau. Cependant, l'épuisement en eau ( water depletion - WD) n'est pas toujours correctement pris en compte. Des centres de tri ne sont pas forcément équipés de centrales de récupération et de traitement des eaux. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une certaine forme d'incertitude autour de l'impact réel en termes d'ACV d'une matière plastique recyclée. Cela ne veut pas dire que les impacts sont négatifs, seulement ils ne sont pas documentés et sont en cours de construction.

En fonction des types de produits, modifier un élément sur la phase matériaux ne présente pas nécessairement le même impact. Prenons par exemple une prise électrique avec l'ensemble des composants qui la constituent. L'analyse de cycle de vie d'un système de ce type aboutit à un tableau de données. Pour l'indicateur « contribution au réchauffement climatique », c'est la partie utilisation qui pèse le plus : 77 % de la contribution de ce système au réchauffement climatique est portée par la phase d'utilisation. Cette phase d'utilisation, pour la plupart des indicateurs, pèse le plus dans l'analyse de cycle de vie global. Par conséquent, si vous fabriquez cette prise avec une matière plastique recyclée et que vous cherchez à capitaliser l'utilisation de cette matière plastique recyclée au travers de l'analyse de cycle de vie, le résultat sera faible. La phase d'utilisation étant la phase la plus importante, vous pouvez agir de n'importe quelle façon en amont, les changements ne seront pas majoritaires et peu impactants. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas utiliser de matière plastique recyclée pour fabriquer une prise électrique, mais si nous voulons valoriser l'utilisation de cette matière plastique recyclée dans la prise électrique, il est nécessaire de choisir d'autres vecteurs de consolidation et de capitalisation que l'analyse de cycle de vie ou l'écoconception. Ce constat est valable pour tous les produits pour lesquels la phase d'utilisation est la phase la plus impactante.

L'écoconception permet-elle de mieux recycler une matière plastique d'un produit en fin de vie ? Autrement dit, en choisissant correctement la manière dont je vais concevoir mon produit, suis-je susceptible de favoriser un traitement optimal de sa fin de vie avec idéalement des opérations de recyclage facilitées ? Cela dépend de la durée de vie du produit. Si le produit a une durée de vie courte, nous pouvons facilement l'anticiper dès la phase de conception. En effet, nous nous projetons sur quelques semaines, quelques mois, voire quelques années. Nous pouvons facilement penser un produit pour faire en sorte que lors de son arrivée à l'état de fin de vie, nous puissions le recycler et le valoriser de la meilleure manière qui soit. C'est le cas le plus facile.

Pour un produit avec une durée de vie longue, de plusieurs dizaines d'années, un autre problème se pose car une matière plastique n'est pas un matériau inerte. Avec l'effet du temps, des contraintes environnementales et des événements climatiques, le plastique aura tendance à se dégrader et à vieillir. Avant qu'il ne devienne un microplastique, le plastique reste un objet compact, mais il aura vécu et sera porteur de petites dégradations. Lorsque ce matériau arrivera en fin de vie et sera récupéré, la dégradation dans la plupart des cas sera tellement avancée, qu'il deviendra compliqué à recycler mécaniquement. À cette dégradation, s'ajouteront potentiellement des phénomènes de contamination : la matière peut être souillée, avoir rencontré des environnements agressifs ou polluants, être porteuse d'huile, etc. Tout ceci conduira à ce que cette matière soit difficile à recycler. Vous pouvez envisager toutes les modalités d'écoconception que vous voulez, vous pouvez faire en sorte que le produit soit démantelable le plus facilement possible, que les choix de matériaux aient été faits de la manière la plus judicieuse possible – c'est le cas des produits électrotechniques – le matériau sera partiellement dégradé après plusieurs dizaines d'années d'utilisation. Tout n'est pas perdu, mais l'ensemble des matières plastiques que nous consommons aujourd'hui n'ont pas été pensées dans une logique de recyclage. La pétrochimie a développé nombre de solutions pour servir un certain nombre de besoins. Mais jusqu'à très récemment, personne n'a réellement pensé recyclage dès la phase de conception ou de fabrication ou de synthèse d'une matière plastique recyclée.

Le hasard fait que certaines s'avèrent être plus aptes que d'autres à des formes de recyclage chimique : les polystyrènes, les polyamides, les PET, les PVT. Des entités sont déjà en train d'utiliser les technologies nécessaires. À titre d'exemple, Michelin est en train de s'équiper d'unités de dépolymérisation pour récupérer du styrène et le réintégrer dans ses pneus. Des unités en Italie sont aujourd'hui capables de dépolymériser des polyamides. Autour de Clermont-Ferrand, des structures sont en train de se déployer pour dépolymériser des PET par voie enzymatique. Nous sentons que des matériaux sont aujourd'hui aptes au recyclage chimique. Nous savons également que d'autres matériaux sont en gestation et seront probablement pensés pour être recyclés chimiquement. Mais si nous souhaitons nous orienter vers cette approche, des compromis devront être faits. Par exemple, peut-être devrons-nous accepter des émissions environnementales supplémentaires résultant de la valorisation des déchets. L'arbre est un système qui fonctionne très bien, parce que l'ensemble des intrants sont gratuits. L'arbre bénéficie de l'énergie du soleil gratuite et de l'eau qui est également une énergie gratuite. De plus, il est aidé par des multitudes de travailleurs indépendants qui sont dans le sous-sol : des micro-organismes qui ne demandent pas de salaire. Mais si nous voulons construire le même mode de circularité que celui de l'arbre, il est nécessaire d'accepter de payer la totalité des éléments en lien avec ces activités. La question du coût risque alors de se poser : le coût des solutions de recyclage chimique en comparaison du coût des solutions issues des technologies pétrochimiques classiques.

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