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Intervention de Nathalie Gontard

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Nathalie Gontard, directrice de recherche à l'INRAE :

. – Je vous présenterai un décryptage des différentes stratégies de recyclage. Je vous parlerai d'empreinte plastique, de décyclage, d'économie tire-bouchon et de prévention à la source.

Le plastique est un matériau qui dure très longtemps. Il s'inscrit typiquement dans une économie linéaire, avec un épuisement des ressources. Il présente également un comportement très particulier, extrêmement différent de tous les matériaux que l'humain utilise, du fait de son accumulation dans tous les compartiments de notre environnement, sa durée de vie très élevée, sa fragmentation, sa capacité à absorber des polluants, sa diffusion dans notre écosystème et sa translocation possible dans les organes des êtres vivants.

Il est nécessaire d'être vigilant quant à l'utilisation de certains termes. Il est préférable de parler de chaîne de vie plastique, plutôt que de cycle de vie. De fait, jusqu'à nouvel ordre, la vie du plastique ne constitue pas un cycle. Quatre grandes étapes structurent cette chaîne de vie parmi lesquelles figurent l'élaboration, l'usage et le post-usage (gestion des déchets et recyclage). La dernière étape est la plus inquiétante : la fin de vie et le vieillissement sur le long terme, lequel inclut le réservoir de microplastiques et de nanoplastiques en train de se constituer. Les plastiques que nous n'avons pas détruits au niveau moléculaire vieilliront sur un temps plus ou moins long et grossiront ce réservoir, lequel commence à se diffuser dans l'environnement.

Les matériaux jetés ou qui présentent une durée d'usage très courte ne sont pas les seuls à être dangereux et à produire des micros et des nanoplastiques. L'ensemble des plastiques vieillissent, que ce soit après leur usage en tant que déchet (par exemple dans les stations d'enfouissement) ou pendant leur usage (plastiques utilisés dans les bâtiments). Ce sont ces mêmes micro et nanoplastiques que nous trouvons aux côtés d'autres microplastiques et nanoplastiques au fin fond des glaces de l'Arctique par exemple.

Actuellement, nous avons une connaissance correcte des émissions et des conséquences de ce plastique sur une durée assez longue. Nous disposons d'outils tels que les analyses de cycle de vie (ACV) pour évaluer leur impact environnemental. Les ACV permettent d'évaluer l'empreinte carbone d'un procédé, d'un matériel, etc. Cependant, les connaissances actuelles ne permettent pas de quantifier les impacts des plastiques et notamment de ces micro et nanoplastiques. Le principal danger lié au plastique, à savoir sa persistance ou sa fragmentation, n'est pas comptabilisé dans les ACV. Or, actuellement la grande majorité des raisonnements sont basés sur des empreintes carbone du plastique, lesquelles proviennent des ACV. Ce n'est pas par mauvaise volonté, car nous ne disposons simplement pas des connaissances nécessaires pour quantifier ces effets. Pourtant, ils existent et sont relativement effrayants. Ainsi, le processus sur le très long terme, avec une accumulation dans tous les compartiments (atmosphère, biosphère, hydrosphère, sols) constitue une empreinte plastique. Nombre de scientifiques se battent pour faire reconnaître cette notion d'« empreinte plastique » et pour sensibiliser au fait qu'il n'est pas possible d'établir des raisonnements, en ce qui concerne les matériaux plastiques, seulement sur une empreinte carbone et sur une ACV, dans la mesure où le principal danger est oublié.

Nous parlons donc d'une économie linéaire qui comporte des problèmes d'empreinte plastique. Au départ, des macrodéchets deviennent des microdéchets, puis des nanodéchets. Mais il est difficile de définir l'échelle de temps associée.

Nous essayons de trouver des solutions et avons construit une sorte de concept autour de l'économie circulaire. Le plus bel exemple d'économie circulaire nous est offert par la nature avec toutes les matières organiques biodégradées et régénérées par photosynthèse à l'identique. La stratégie européenne sur la matière plastique a été essentiellement focalisée sur le recyclage et la mise en place d'une économie circulaire. La logique est de recycler et de régénérer à l'identique. Par exemple, une bouteille en plastique après usage redeviendra une même bouteille en plastique. Ainsi, les déchets disparaîtront, les ressources ne s'épuiseront plus et l'empreinte plastique disparaîtra. Le principal danger serait alors écarté.

Nous sommes particulièrement efficaces dans le recyclage des bouteilles en PET. Elles sont broyées, nettoyées et décontaminées. En effet, le plastique n'est pas un matériau inerte et absorbe des polluants. Ensuite, il est possible de refabriquer une bouteille. Cependant, le plastique se dégrade et la chaîne d'approvisionnement doit être contrôlée. Le processus est donc très limité et ne peut être appliqué qu'aux bouteilles en PET, lesquelles ne représentent que 1 à 2 % des plastiques. Le processus peut être appliqué sur 2 à 3 cycles et permet de diminuer la consommation de plastiques vierges et de déchets. Mais l'impact sur l'empreinte plastique demeure très limité.

Cet emballement pour l'économie circulaire et le recyclage relève ainsi d'une stratégie de décyclage et non de recyclage. En effet, la bouteille n'est pas transformée en bouteille et il en est de même pour une barquette. Elles sont transformées en un autre objet qui trouvera une certaine utilité. Par exemple, la bouteille sera transformée en pull, ou la barquette en brique de construction, en meuble pour remplacer le bois, en pot de fleur pour remplacer la terre cuite, etc.

Cette économie du décyclage ne contribue absolument pas à réduire la pollution plastique. Les nouveaux objets remplaceront des matériaux qui ne posaient pas de problèmes environnementaux majeurs comme la laine, le bois, la terre cuite, etc. De plus, ces nouveaux objets continueront à se dégrader. Par exemple, le pull en polyester recyclé libérera des fibres lors du lavage, finira par être jeté et continuera à se dégrader. La chaise en plastique recyclé continuera à se dégrader en microplastiques et en nanoplastiques. Cela est d'autant plus grave que nous nous créons une dépendance aux déchets plastiques. Nous construisons des filières entières que nous devons alimenter. Nous nous créons une double dépendance, car nous faisons ainsi disparaître des filières entières de matériaux locaux traditionnels qui ne posaient pas de problème. Actuellement, la filière de la laine en souffre beaucoup.

Nous nous interrogeons sur l'intérêt de cette économie du décyclage. Par exemple, certains pays osent afficher des taux de recyclage de 50 %, comme l'Autriche et l'Allemagne. Mais s'ils recyclaient 50 % de leur plastique, ils auraient dû diminuer par deux leur consommation de plastiques vierges. Or, cette consommation n'a pas diminué, mais continue à augmenter. Il est donc nécessaire de rester vigilant vis-à-vis de ces discours qui ne sont pas ancrés dans la réalité. Nous assistons à une sorte de décollage où nous construisons des concepts qui n'ont pas de prise avec la réalité. Nous ne pouvons pas construire des concepts si nous ne possédons pas les principes de base que la réalité de la matière doit respecter.

D'après les chiffres de Plastics Europe, les emballages plastiques en Europe se répartissent de la façon suivante :

- 34 % sont incinérés : l'empreinte plastique est nulle dans ce cas, mais l'incinération contribue à l'empreinte carbone ;

- 16 % sont enfouis : le géotextile en plastique de l'enfouissement se dégradera au même rythme que les plastiques qu'il contient. Cela contribue au réservoir de plastiques. Un jour ou l'autre ces plastiques se retrouveront sous forme de particules plastiques. Les générations à venir en souffriront ;

- 10 % ne sont pas répertoriés ;

- 32 % sont décyclés ;

- 5 % sont recyclés en boucle fermée : il s'agit d'un chiffre optimiste. En effet, les chiffres actuels ne sont pas précis ni cohérents.

Parmi les plastiques que nous utilisons, 60 % grossissent le réservoir de microplastiques et de nanoplastiques que nous sommes en train de constituer pour les générations à venir. Ainsi, le terme de « bombe à retardement » n'est pas exagéré.

Au cours de notre travail, nous avons ciblé le déchet. Nous sommes partis des discours sur l'économie circulaire qui ne fonctionnent pas. L'empreinte plastique est en train de générer des effets secondaires, notamment sur les efforts effectués en termes de transition numérique, agroécologique et énergétique. En effet, nous assistons au développement de solutions technologiques qui cherchent à se libérer de l'empreinte carbone en s'engouffrant dans l'empreinte plastique, mais sans la comptabiliser. Lorsque nous réduisons l'utilisation de pesticides ou l'arrosage, c'est avec l'utilisation de matériaux plastiques. Il en est de même pour les énergies vertes.

Il est important que nous sortions de notre déni. Même en mettant bout à bout l'ensemble des solutions technologiques que nous développons (développement biodégradable, réduction de l'utilisation des plastiques dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire), nous n'arriverons jamais à couvrir qu'une infime partie de l'inondation plastique que nous cherchons à éponger. Nous continuons à travailler sur ces solutions, mais le combat doit maintenant avoir lieu en amont. Ainsi, j'espère que ce traité contraignant sera en mesure de mener le combat en amont.

Nous devons réduire notre consommation. Nous ne fermerons pas le robinet, parce que le plastique est un matériau qui nous a apporté des progrès. Cependant, les trois quarts des plastiques utilisés actuellement encombrent notre vie. Ils nous mettent en danger et leur consommation doit être réduite. Pour ce faire, il ne faut pas détourner notre attention et nos moyens vers des solutions qui n'en sont pas. Je citerai à titre d'exemple les filtres à la sortie des machines à laver. En effet, pourquoi ne pas cesser ou diminuer notre consommation de vêtements en fibres synthétiques ? Mais comment savoir si ce que nous achetons est en fibre synthétique ? Il est quasiment impossible de le savoir, car les étiquettes sont complexes.

En outre, il est important d'interdire les mouvements transfrontaliers de déchets plastiques, pour nous éviter de penser qu'il suffit d'éduquer les pays du Sud pour que les problèmes disparaissent. La consommation de plastique est parfaitement corrélée au PIB d'un pays. Plus nous sommes riches et plus notre empreinte plastique est élevée, même si la grande majorité de ces déchets part ailleurs. Une grande partie des déchets qui se trouvent dans les pays du Sud sont nos déchets. Je pense que les déchets comme le plastique ne devraient pas avoir le droit de passer les frontières. Si nous les avons utilisés, c'est à nous de les gérer. Nous ne pouvons pas demander à des pays de gérer des matériaux que nous-mêmes nous ne sommes pas en mesure de gérer. Il est important d'informer le citoyen. Il est également très important que nous disposions des moyens de savoir où se situe ce plastique. Bien entendu, tout ne peut pas reposer sur les épaules du consommateur, il faut encourager tous les secteurs industriels à se poser la question de la réduction de leur empreinte plastique et de l'utilisation du plastique. Cependant, cette question n'a pas encore été posée.

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