Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Véronique Gayrard

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Véronique Gayrard, professeur de physiologie à l'École nationale vétérinaire de Toulouse, membre de l'UMR Toxalim :

. – Le bisphénol A est majoritairement utilisé pour produire des polymères. Ces derniers entrent dans la composition des polycarbonates, lesquels sont à la base des plastiques. Ils sont durs et transparents et constituent donc de bonnes alternatives au verre. Le bisphénol A est également un composant des résines époxy-phénoliques. Il est utilisé en particulier dans des résines pour le revêtement interne des boîtes métalliques.

Moins de 5 % du bisphénol A est utilisé en tant que monomère, additif à des plastiques de type PVC, additif à papier ou à papier thermique pour révéler l'encre, ou en tant que moyen pour produire d'autres produits chimiques (par exemple les retardateurs de flammes ajoutés au mobilier).

En principe, à moins que les polymères soient fragmentés en microplastiques et nanoplastiques, ils ne sont pas considérés comme dangereux. En effet, ils ne peuvent pas entrer dans l'organisme. En revanche, dans le cas des polymères de bisphénol A, la polymérisation peut ne pas être complète. Une hydrolyse peut se produire et libérer progressivement du bisphénol A dans les aliments ou dans les boissons, et ceci de façon plus importante, en présence notamment de détergent qu'on chauffe ou lorsque le plastique est usé. Ce processus est à l'origine de l'image très choquante du biberon en polycarbonate chauffé au micro-ondes.

Un rapport de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a évalué la production de bisphénol A dans le monde : plus de 7 millions de tonnes en 2019. La production et les besoins en bisphénol A continuent d'augmenter.

En ce qui concerne les émissions dans l'environnement, le graphique montre les concentrations moyennes de bisphénol A dans les eaux de surface européennes. La tendance est à la diminution à partir de 2012, peut-être en raison des mesures de restriction. Mais globalement, l'Agence européenne des produits chimiques constate qu'en 2020, le bisphénol A est toujours émis. Même si la contribution de chaque utilisation individuelle est faible, la totalité de toutes les utilisations conduit à une situation qu'elle juge inacceptable.

Nous sommes tous exposés au bisphénol A. L'exposition est d'abord orale. Elle est liée à l'ingestion d'aliments et de boissons contaminées par du bisphénol A. Une fois ingéré, il entre dans l'organisme, parce que l'absorption est très efficace. Heureusement, le bisphénol A est également rapidement éliminé de l'organisme dans les urines. C'est pourquoi la quantité de bisphénol A présente dans les urines constitue un marqueur de la quantité qui est entrée dans l'organisme.

Qu'en est-il de la population ? L'étude Esteban, étude française réalisée entre 2014 et 2016, a évalué l'imprégnation de la population française au bisphénol A chez 900 adultes et 500 enfants. On trouve le bisphénol A dans la totalité des échantillons d'urine. Comme il est éliminé très rapidement, l'exposition n'est pas permanente, mais au moins quotidienne. À partir de cette étude, les auteurs ont évalué la quantité moyenne de bisphénol absorbée quotidiennement. Elle paraît faible : 0,005 microgramme par kilogramme de poids corporel et par jour. Jusqu'à présent, cette quantité était jugée sans risque. Mais dans sa récente évaluation, l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a abaissé très fortement la dose journalière admissible, c'est-à-dire la quantité qu'on peut ingérer quotidiennement sans danger pour la santé toute sa vie. Désormais, la quantité moyenne absorbée quotidiennement est considérée comme 100 fois supérieure à cette nouvelle dose sans danger. L'EFSA en a conclu que l'exposition humaine au bisphénol A était préoccupante.

Ces résultats nous poussent à nous interroger sur l'origine de ce bisphénol A, puisque les restrictions ont été nombreuses. En tant que scientifique, je me suis également demandé si la réglementation était suffisante. Le bisphénol A, comme tous les produits chimiques, relève du règlement européen REACH, acronyme des termes enregistrement, évaluation, autorisation et restriction. Selon ce règlement, tous les fabricants etimportateurs de substances chimiques, à hauteur de plus d'une tonne par an, doivent enregistrer ces substances. Ils doivent identifier les risques et transmettre leur dossier à l'Agence européenne des produits chimiques qui vérifiera leur conformité. Selon le risque, un plan d'action communautaire, le CoRAP, demandera à l'un des États membres de l'Union européenne d'évaluer cette substance. Une proposition de classification de cette substance dans le règlement CLP peut ensuite intervenir. De plus, l'inclusion dans l'annexe VI de cette réglementation permettra d'identifier la substance et de montrer aux utilisateurs ses dangers. Si cette substance est cancérigène, mutagène, persistante ou reconnue comme perturbateur endocrinien, elle peut être identifiée comme substance très préoccupante (substance SVHC). Elle sera dans ce cas inscrite dans une liste d'autorisation de l'annexe XIV du règlement. Dès lors, elle ne sera pas interdite, mais son utilisation sera soumise à autorisation. Enfin, les États membres peuvent également proposer des restrictions particulières.

Le bisphénol A a été intégré dans le premier plan d'action communautaire en 2012. L'Allemagne a réalisé l'évaluation. Il a ainsi été inclus dans l'annexe VI du règlement CLP en raison de sa toxicité pour la reproduction, pour les yeux et la peau. En 2017, le bisphénol A a été classé dans l'annexe XIV du règlement comme substance très préoccupante pour ses propriétés toxiques pour la reproduction et reconnu comme perturbateur endocrinien.

Enfin, la France a souhaité proposer une restriction, désormais en œuvre depuis 2020. Il s'agit d'une restriction de la teneur en bisphénol dans les papiers thermiques. L'Allemagne est en train de déposer d'autres restrictions.

En termes de limites de la réglementation, il faut noter que les polymères sont exemptés de l'enregistrement et de l'évaluation dans le cadre du règlement REACH. Moins de 5 % du bisphénol A est donc concerné par cette réglementation. De même, des substances qui seraient importées ou fabriquées en France et destinées à élaborer des polymères ne sont pas concernées par l'autorisation.

La réglementation REACH paraît en contradiction avec un autre règlement sur les substances qui entrent dans la composition des matériaux en matière plastique destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires. Ce règlement européen dresse la liste des substances autorisées pour la fabrication de ces matériaux. Le bisphénol A fait partie de cette liste et est donc autorisé à être utilisé comme polymère avec une limite de migration spécifique fixée en 2015 à 0,05 milligramme par kilogramme d'aliments.

De plus, la procédure d'autorisation REACH a pour objectif de remplacer des substances dangereuses par d'autres substances ou technologies moins dangereuses. C'est la raison pour laquelle, très précocement, les industriels ont remplacé le bisphénol A par d'autres bisphénols, majoritairement le bisphénol S, en particulier dans les papiers thermiques. Actuellement, le bisphénol S est identifié comme un potentiel SVHC, soit une substance très préoccupante. Il pourrait ainsi prochainement entrer dans l'annexe XIV et être soumis à régulation.

Notre équipe a publié en 2019 une étude qui montrait que le bisphénol S est plus persistant dans l'organisme que le bisphénol A. Dans ce cas-là, nous sommes face à une substitution tout à fait regrettable.

Enfin, la réglementation REACH évalue les composés individuellement, ce qui se révèle chronophage. Les toxicologues estiment que cette évaluation est insuffisante. D'une part, nous sommes exposés à des milliers de composés. D'autre part, combinés, même à faible dose, les effets de certaines molécules peuvent non seulement s'additionner, mais également se renforcer ou s'amplifier. Il s'agit de l'effet cocktail. L'évaluation des risques associés aux effets cocktails constitue un enjeu scientifique et de santé publique auquel nous devrons répondre.

Une étude publiée l'année dernière dans la revue Science a identifié un cocktail de polluants du quotidien, qui aurait des effets délétères dans la construction du cerveau des jeunes enfants. Cette étude a été basée sur une cohorte suédoise mère-enfant. Le cocktail de substances a été associé à un retard dans l'acquisition du langage chez les enfants de deux ans. Dans ce cocktail se trouvent le bisphénol A et d'autres substances dérivées du plastique, par exemple les phtalates. L'étude concluait que les enfants nés des 10 % des femmes les plus exposées avaient un risque trois fois plus important d'avoir un retard dans l'acquisition du langage, que les enfants nés des femmes les moins exposées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.