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Intervention de Muriel Mercier-Bonin

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'INRAE, UMR Toxalim, centre de recherche en toxicologie alimentaire :

. – Je vous présenterai un exemple de recherche interdisciplinaire que nous menons à Toxalim sur l'impact des microplastiques, voire des nanoplastiques dans l'environnement digestif humain. Parmi les trois sources potentielles d'exposition chez l'homme figurent l'ingestion, l'inhalation et le contact par la peau. Mon exposé sera centré sur l'ingestion.

Un microplastique a une taille comprise entre 1 micromètre et 5 millimètres, même si les travaux ne sont pas nécessairement consensuels par rapport à la notion de taille, en ce qui concerne les nanoparticules. Les nanoplastiques sont définis de manière récente comme une particule qui a une taille inférieure à un micromètre. Un nanoplastique ne correspond ni à un microplastique ni à une nanoparticule au sens des nanomatériaux comme le dioxyde de titane. Cependant, un microplastique est également lié au type de polymère qui compose les particules plastiques, ainsi qu'aux notions d'additif, de morphologie et de vecteur. En effet, un micro ou nanoplastique pourra durant son cycle de vie absorber certains composés chimiques ou toxines (polluants environnementaux ou métaux lourds).

La santé humaine constitue selon moi une thématique très émergente, mais très active au niveau français et européen, voire international. Une enquête réalisée par l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2019 avait pour but d'étudier la façon dont les citoyens européens percevaient la sécurité sanitaire des aliments. Un eurobaromètre portait sur une quinzaine de sujets d'étude : additifs, contaminants alimentaires, pesticides, nanomatériaux, etc. Un panel de citoyens avait été interrogé sur sa perception de la présence des microplastiques dans l'alimentation. Les réactions dépendaient des pays. Les citoyens d'Europe du Nord étaient très conscients des enjeux liés à la présence des microplastiques dans l'aliment, contrairement à ceux d'autres pays comme la Grèce ou Chypre. Le niveau d'éducation pouvait également intervenir dans cette perception. Cette thématique des microplastiques et nanoplastiques dans la santé est en lien avec des enjeux politiques, économiques et sociétaux autour de la pollution plastique.

En 2015, nous n'avions aucune connaissance sur les impacts en santé humaine des microplastiques. Depuis 2017, l'acquisition des connaissances s'est accélérée. Plus spécifiquement, un embryon de recherche sur les nanoplastiques est apparu. Les communautés commencent à se structurer, mais ce sujet reste très émergent. Cette connaissance scientifique doit s'articuler sur les enjeux politiques, économiques et sociétaux, déclinés à l'échelle européenne via l'EFSA, la stratégie européenne pour l'économie circulaire ou encore le pacte vert, mais également déclinés au niveau français avec la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire du 10 février 2020), le rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) ou l'ambition pour 2040 de zéro emballage en plastique à usage unique. Nous nous inscrivons également dans la négociation d'un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique et prendre en compte les enjeux des impacts en santé humaine.

Quel est le risque pour notre santé d'être exposé quotidiennement aux microplastiques et aux nanoplastiques ? L'évaluation du risque est à ce stade impossible au regard des connaissances scientifiques. Ce sujet a fait l'objet d'une publication dans le journal Science en 2021. Il existe encore des verrous cognitifs et méthodologiques autour des dangers liés à l'exposition, aux effets toxicologiques, à la difficulté de détecter des microplastiques et des nanoplastiques dans les fluides biologiques. Il s'agit de freins à la connaissance. Toutefois, la Commission européenne a financé en 2020 cinq projets qui ont pour objectif d'améliorer l'évaluation du risque en santé humaine.

Le risque se définit comme l'association d'un danger (effet toxicologique) et d'une exposition humaine. En 2019, une information s'est répandue selon laquelle un humain consommait cinq grammes de microplastique par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit. L'impact médiatique de ce chiffre fut très fort. Ce résultat n'a eu de valeur, pour nous scientifiques, qu'avec la publication de l'article qui y fait référence, intervenue en 2021. Les conclusions étaient en fait plus mitigées. En fonction des scénarios d'exposition, on se situait plutôt dans une fourchette de 0,1 à 5 grammes par semaine de microplastiques ingérés. Cependant, depuis un ou deux ans, ces chiffres sont discutés.

Un article publié très récemment par un collègue autrichien estime qu'il faut 23 000 ans pour ingérer 5 grammes de microplastiques. Les travaux de Nor en 2021 se sont basés sur différents types d'aliments : poissons, mollusques, crustacés, eau du robinet, eau en bouteille, bière, lait, sel et air. L'étude estimait les doses de microplastiques ingérées à 4 microgrammes par semaine. Une autre étude, en 2023, basée sur une population coréenne, a étudié 80 produits issus de différents types d'aliments : sel, sauces, fruits de mer, algues, miel, bière, boissons. L'ordre de grandeur du plastique ingéré se situait entre 140 et 310 microgrammes par semaine.

Ainsi, les incertitudes sur l'exposition sont nombreuses. En fonction des sources de données ou des méthodes d'estimation, les écarts sur les doses d'exposition quotidiennes peuvent être importants.

Chez l'adulte, les sources d'exposition sont les microplastiques dans l'eau, les boissons, les produits de la mer, les poissons, le sel, la bière, les fruits et les légumes, et dans les emballages (sources directes d'émission de microplastiques). Un microplastique est également vecteur d'autres polluants environnementaux, causant un effet « cheval de Troie ».

Chez l'enfant, les sources d'exposition sont aussi présentes, car on peut trouver des plastiques dans les biberons, les tétines, les jouets, la poussière. Des travaux récents tendraient à montrer que des microplastiques se trouvent aussi dans le lait maternel.

En ce qui concerne les microplastiques, les données sont encore très peu nombreuses. Un article récent est paru sur l'eau du robinet et certains emballages.

Il existe une diversité des polymères au regard de leurs tailles et de leurs formes. Une fois que ces formes sont ingérées, une dégradation physicochimique sera déclenchée ou non en fonction du type de polymère, au niveau des premières étapes de la digestion, de la bouche jusqu'aux parties hautes du tractus intestinal. Une couronne biomoléculaire peut se former autour des microplastiques. Elle pourra avoir un impact sur les mécanismes de translocation au niveau de la barrière intestinale. Il a été montré in vitro une altération de la digestion des lipides qui peut avoir ensuite un impact sur l'homéostasie au niveau de la digestion.

Des travaux menés à partir de 2019 montrent qu'on trouve des particules de microplastiques avec différentes chimies (PET, polypropylène) dans les selles excrétées. Chez certaines populations sensibles, notamment les enfants, une augmentation des microplastiques est observée, notamment en PET. Une augmentation similaire a été trouvée chez certains patients MICI (maladie inflammatoire chronique de l'intestin). Les pathologies de type maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique sont ici concernées.

En laboratoire, nous travaillons sur la barrière intestinale, c'est-à-dire la barrière protectrice indispensable à l'homéostasie. Elle est composée de trois acteurs : l'épithélium, le mucus et le microbiote. Nous travaillons également sur des modèles in vivo, avec des animaux, et des digesteurs in vitro chez l'adulte et l'enfant.

Quand nous avons commencé nos travaux, il existait une seule étude qui portait sur des digesteurs à partir de selles humaines. Il s'agissait uniquement d'un modèle colique avec des microplastiques en polyéthylène téréphtalate. Dans le cadre d'une exposition aiguë, des effets compartiments et donneurs dépendants avaient été mis en évidence.

Par rapport à cette synthèse, nous avons travaillé sur des modèles in vitro. Ils correspondent globalement à un bioréacteur instrumenté où nous régulons l'ensemble des paramètres physico-chimiques et microbiens qui régissent l'écosystème digestif humain au niveau du côlon. Nous l'avons appelé le Mucosal ARtificial COLon. Nous avons travaillé chez l'adulte et l'enfant. Nous avons pris à chaque fois quatre donneurs : deux femmes et deux hommes ou deux filles et deux garçons. Nous avons travaillé sur des microplastiques en polyéthylène d'origine commerciale. Ils avaient une forme sphérique. La dose journalière d'ingestion était de l'ordre de 21 milligrammes. Nous avons étudié quatorze jours d'exposition avec une administration quotidienne dans le bioréacteur. Nous avons observé le microbiote intestinal, qui est l'ensemble des micro-organismes abrités dans notre côlon. Nous avons travaillé sur la composition et l'activité métabolique du microbiote. En effet, le microbiote produit des métabolites qui peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur notre santé.

On trouve des signatures microbiennes communes à l'adulte et à l'enfant. Une augmentation des pathobiontes a été relevée. Il s'agit de bactéries potentiellement pathogènes sous certaines conditions. Au niveau d'un microbiote luminal, nous avons détecté l'augmentation de deux populations : les dethiosulfovibrionaceae et les enterobacteriaceae. Il s'agit de pathobiontes.

S'ajoutent des signatures microbiennes spécifiques à l'adulte et à l'enfant. Pour la population adulte, nous avons observé l'augmentation d'un composé organique volatile : le scatole. Elle avait déjà été constatée chez des patients atteints d'encéphalopathie hépatique. Chez les enfants, contrairement à l'adulte, nous avons mis en évidence une diminution du butyrate, acide gras à chaîne courte qui a un effet bénéfique pour notre santé. Cette diminution pose question par rapport à l'impact des microplastiques.

Le microbiote peut être impacté par les microplastiques et peut également avoir des capacités de biodégradation des microplastiques faits de polyéthylène. Nous avons commencé à réaliser de la microscopie électronique. Nous avons repéré des bactéries adhérant à la surface des microplastiques. Peuvent-elles dégrader le polyéthylène ? Pour répondre à cette question, nous avons effectué de la spectroscopie Raman avec des collègues chimistes et analystes. Il s'agit d'une spectroscopie vibrationnelle qui permet d'obtenir une signature chimique des microplastiques. Dans le cas du polyéthylène, les modifications physicochimiques des microplastiques étaient peu nombreuses. Nous avons également mis en contact les digestats avec des modèles cellulaires qui miment la barrière mucus épithélium. Nous avons observé des effets mineurs et donneurs dépendants sur l'épithélium et le mucus.

Ce sujet constitue un défi interdisciplinaire. J'ai choisi de l'illustrer au niveau de la toxicologie et de la chimie.

Pour la toxicologie, de nouveaux modèles expérimentaux seront nécessaires pour mieux appréhender cette problématique complexe et mimer d'autres problématiques autour de la communication entre les organes. En effet, l'intestin est central. Il communique avec le foie, le cerveau et le poumon. Nous devons également nous intéresser à des populations à risque, avec la notion d'exposome. En effet, durant tout le cycle de vie, l'humain est exposé à un certain nombre de facteurs environnementaux. Nous espérons que l'ANR financera un projet portant sur l'impact chez des populations soumises à un régime occidental et qui ont à la fois une barrière intestinale fragilisée et un microbiote disbiotique (déséquilibré).

Pour la chimie, il est important d'avoir accès aux différentes sources de contamination par les microplastiques et nanoplastiques afin d'avoir de meilleures donnéessur l'exposition humaine.

Il est également nécessaire de travailler avec nos collègues chimistes sur des modèles représentatifs en termes de forme, taille, polymère, additifs et effets vecteurs. Il faut également développer des méthodes analytiques fiables et robustes pour détecter dans les fluides biologiques les petites particules. Nous avons noué sur ce sujet une collaboration avec des collègues en Sicile.

Dans une logique interdisciplinaire, je finirai par ces mots : « Things happen when we share our visions ».

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