Intervention de Jeroen Sönke

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeroen Sönke, directeur de recherche au CNRS, spécialisé en géochimie de l'environnement :

. – À Rio Las Vacas, au Guatemala, lors de pluies intenses, les crues mobilisent une quantité phénoménale de déchets plastiques depuis un bassin versant urbanisé qui vont ensuite dans la mer. Des dispositifs de captage de ces plastiques sont en cours de développement. Les quantités de déchets plastiques en jeu dans les pays du sud sont incroyables.

Depuis les années 1950, la production plastique connaît une croissance continue, avec aujourd'hui 450 millions de tonnes produites chaque année. Une tonne représente le poids d'une voiture. Ainsi, l'équivalent du poids de 450 millions de voitures est produit en plastique chaque année.

Par ailleurs, 12 % du pétrole est converti chaque année en polymères, majoritairement pour des emballages à usage unique. Depuis les années 1950, au total, 8 300 millions de tonnes de plastiques ont été produites. Cela suffirait à tapisser la France entière avec une couche de 50 centimètres de polymères.

Parmi ces 8 300 millions de tonnes de plastiques produits, 30 % sont toujours en utilisation (pare-chocs, coques de téléphone, ordinateurs, etc.). Deux tiers étaient à usage unique, dont la moitié se trouve en décharge, parfois à ciel ouvert, parfois gérée de manière correcte. L'autre moitié est rejetée directement dans l'environnement. 10 % des plastiques sont incinérés et génèrent du CO2 et environ 8 % des plastiques sont recyclés. Mais après le recyclage, le plastique peut rejoindre l'incinérateur, la décharge ou être rejeté dans l'environnement.

Dans le cycle des plastiques à l'échelle de la planète, on distingue les macroplastiques, dont la taille est supérieure à 5 millimètres, et les microplastiques, dont la taille est comprise entre 1 micromètre et 5 millimètres. Certains microplastiques primaires sont produits pour être utilisés tels quels dans les produits cosmétiques ou la peinture par exemple.

Les plastiques en utilisation peuvent être rejetés vers les décharges, les milieux urbains, industriels et les sols agricoles. Les fleuves transportent lentement les microplastiques et les plastiques et les dispersent vers le milieu marin. D'abord, ils dérivent vers la surface de l'océan. Ensuite, ils se sédimenteront, pénétreront dans les océans profonds et se retrouveront dans les sédiments côtiers ou seront déposés sur les plages.

Il existe également un cycle atmosphérique. Par exemple, les microparticules résultant de l'abrasion des pneus et les émissions de l'océan vers l'atmosphère se redéposeront plus loin sur l'océan, les sols naturels, les glaciers et autres milieux terrestres.

L'enjeu ces dernières années a été de quantifier les stocks et les flux de ce cycle de vie des plastiques. Pour ce faire, nous avions besoin d'observations avec nos équipes. À l'observatoire Midi-Pyrénées, nous avons travaillé sur l'atmosphère. Nous avons regardé la neige au-dessus des Pyrénées, l'air en haute altitude sur le pic du Midi ou encore la brume marine.

D'autres collègues ont exploré l'océan profond. Il s'agissait jusque-là d'un domaine d'études assez peu connu. Jusqu'à 10 000 mètres de profondeur, dans la fosse des Mariannes, il est possible de trouver du plastique. Des centaines d'études permettent aujourd'hui d'affiner et de comprendre la dispersion des plastiques et microplastiques. Depuis 10 ans, nous connaissons la quantité de plastiques qui flotte à la surface des océans : 0,3 million de tonnes. Ce nombre paraît faible au regard des 82 millions de tonnes de plastiques qui ont gagné les océans profonds, soit 300 fois plus qu'à la surface. Dans l'océan côtier, plus de 100 millions de tonnes de plastique ont déjà été déposées.

On découvre également que les émissions marines et terrestres ont alimenté les sols naturels en plastiques, à hauteur de 28 millions de tonnes, lesquels ont rejoint, avec la pluie, les océans, dans une sorte de boucle infernale de microplastiques. Le bilan montre que 97 % des plastiques produits se retrouvent toujours en milieu terrestre, dans les décharges ou dans la nature, en utilisation, et seulement 3 % des plastiques et microplastiques ont été dispersés vers le milieu marin ou les sols naturels.

Nous avons ensuite traduit ce premier bilan en modèle numérique mathématique pour estimer les échelles de temps impliquées dans la dispersion et la fragmentation des microplastiques dans cet écosystème. On est obligé d'effectuer des simplifications dans ce modèle. Ainsi, nous avons supposé un taux de fragmentation de 3 % par an. Nous avons simulé un scénario d'arrêt de production en 2040. Les déchets plastiques terrestres décroissent à cause de la fragmentation en microplastiques. Un siècle après, les déchets microplastiques se dispersent vers l'océan, l'atmosphère et les sols naturels. En parallèle, au cours des prochains siècles, les microplastiques augmenteront dans les milieux marins, l'océan profond et dans les sols naturels. Cette simulation doit être prolongée jusqu'à 20 000 ans pour que les microplastiques se déposent dans les sédiments marins et se stabilisent hors des écosystèmes de surface. Cette échelle de temps, à cause de cette fragmentation lente, est très longue. Le risque est que pendant des millénaires nous devions faire face à des plastiques déjà produits aujourd'hui.

Ainsi, 12 % du pétrole est converti chaque année en polymères, une quantité très importante qui risque de s'accroitre encore. 3 % des plastiques ont été mobilisés des milieux terrestres vers les milieux marins et les sols naturels. La majorité des plastiques se trouvent toujours en milieu terrestre. À cause de cette fragmentation lente, leur impact peut être aggravé pendant des millénaires. Afin de limiter cette dispersion et cette fragmentation, il est absolument nécessaire de limiter la production. Revenir à un niveau zéro est probablement irréaliste, mais il faut améliorer la gestion des déchets dans les pays du sud et chez nous, et probablement assainir les déchets déjà présents en milieu terrestre afin de limiter la dispersion.

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