. – Je vous suis reconnaissant de m'avoir convié à cette séance à la fois pertinente et nécessaire, qui sonne comme un véritable prélude à la réunion que Paris accueillera dans deux à trois semaines, où plus de 2300 experts de 163 pays se réuniront pour discuter d'un prochain instrument juridiquement contraignant.
Le terme de « pollution plastique » a évolué dans le temps. À l'origine, il s'agissait d'une accumulation des débris plastiques dans l'environnement physique et le biota. Deux rapports phares présentés par l'OCDE en 2022 donnent une définition de la pollution plastique qui pourrait être celle choisie à Paris comme base de travail : « De manière générale, toutes les émissions et tous les risques résultant de la production, de l'utilisation, et de la gestion des déchets et des fuites de matière plastique. » Le terme « émission » peut être appréhendé à travers les rejets dans l'atmosphère, ainsi qu'à travers les rejets dans les écosystèmes aquatiques et les sols. Le terme « fuite » limite juridiquement la définition. Parler de « rejets » serait donc plus convenable.
La pollution plastique doit être mise en perspective des neuf processus biophysiques qui régulent la stabilité et la résilience du système terrestre : les limites planétaires. Nous passons de l'holocène à l'anthropocène, période où les activités humaines ont une forte répercussion sur les écosystèmes de la planète et la biosphère, et les transforment à tous les niveaux. En 2009, nous avions déjà transgressé trois limites planétaires. En 2022, les données montrent que nous avons désormais transgressé six limites planétaires. L'année dernière, la limite relative à la contamination par des produits chimiques (introduction de nouvelles entités dans la biosphère) a été transgressée.
Pourquoi l'avons-nous transgressée ? Comment résoudre cette problématique ? Est-il possible de revenir en arrière, vers l'holocène ? Il n'est pas possible de revenir en arrière selon les études, mais il est toutefois possible d'arrêter les dommages causés dans le futur.
Qu'entendons-nous par nouvelles entités ? Il s'agit de nouvelles substances, de nouvelles formes de substances existantes, de formes de vies modifiées, de nouveaux types de matériaux ou d'organismes manufacturés inconnus auparavant du système terrestre, ainsi que d'éléments naturels (par exemple les métaux lourds) mobilisés par les activités anthropiques.
Le modèle de la tête de la Méduse place huit limites planétaires de part et d'autre et positionne, au centre, les plastiques. Cette représentation montre comment l'interaction avec les plastiques exacerbe les autres limites planétaires. Je me concentrerai à cet égard sur la partie liée au changement climatique.
Le graphique présenté dans le sixième rapport d'évaluation du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) montre les changements de température mondiale. Un graphique de l'OCDE envisage un triplement de la production annuelle de plastiques. La production actuelle équivaut à 400 millions de tonnes par année. D'ici 2060, nous passerons à une production de 1,2 milliard de tonnes par an. Si nous n'arrivons pas à gérer la production actuelle, qu'en sera-t-il dans un monde plus chaud avec plus d'un milliard de tonnes de productions plastiques par an ? Il est donc nécessaire d'agir. C'est pourquoi les Nations Unies et l'ensemble des États ont construit l'année dernière un plan pour traiter la pollution plastique de manière holistique en se concentrant sur l'ensemble de son cycle de vie.
Le plastique a un effet sur le climat et menace la possibilité d'envisager un monde où le réchauffement ne dépasserait pas 1,5°C. Un de nos rapports récents montre que d'ici 2050, les émissions de gaz à effet de serre provenant du plastique pourraient atteindre plus de 56 gigatonnes, soit 10 à 13 % de l'ensemble du budget carbone restant. Certaines études indiquent qu'au lieu d'augmenter de 4 % par an la production de matières plastiques, nous devrions diminuer la demande de 3 % par an pour réduire de moitié la consommation annuelle du budget carbone imputable à l'industrie du plastique d'ici 2050.
Il est possible de parler de plastique à différentes échelles parmi lesquelles figurent : les matières premières utilisées dans les plastiques ; les précurseurs plastiques, c'est-à-dire les produits chimiques basiques utilisés pour la préparation des monomères, des polymères et des additifs nécessaires ; les résines ou les matières plastiques ; les produits plastiques ; les déchets plastiques.
Ainsi, il est nécessaire de distinguer les matières plastiques (upstream), les produits plastiques (midstream) et les déchets plastiques (downstream).
Par ailleurs, nous approchons de la fin de la négociation de la conférence des parties pour les conventions de Bâle, Rotterdam et Stockholm. Un rapport a été publié sur la dimension chimique du plastique et démontre que plus de 13 000 produits chimiques sont utilisés pour la production des plastiques. Nous disposons de données pour près de 7000 de ces produits, dont presque 3200 sont des substances préoccupantes selon les scientifiques.
Si nous prenons la Convention de Minamata, les protocoles de Montréal et la Convention de Stockholm, 128 produits seulement sont régulés parmi les 3200 produits chimiques préoccupants. Désormais, ces produits régulés seront au nombre de 130, car la semaine dernière la Convention de Stockholm a décidé de prendre en considération deux produits chimiques supplémentaires. Ces produits sont utilisés comme retardateur de flammes et comme filtre UV (il s'agit de l'UV 328).
Nous sommes dans une approche au cas par cas dans laquelle plusieurs années sont nécessaires pour évaluer et classer les différentes substances. Il sera important de regrouper les substances par grandes familles, comme cela se fait déjà au niveau de l'Union européenne pour les PFAS (plus de 10 000 substances) et les bisphénols (plus de 156 substances). En effet, plus de 350 000 produits chimiques sont produits, dont 200 000 sont des polymères. Nous avons besoin du droit et de la volonté politique pour rationaliser cela. Nous ne parlons pas d'éliminer le plastique, mais de contrôler une substance qui est hors de contrôle aujourd'hui. En outre, un rapport publié récemment met en avant les Dirty 10, soit les dix groupes de substances chimiques que le traité devra s'attacher à contrôler.
Par ailleurs, la science nous suggère de plafonner la production des plastiques vierges : il s'agit d'une des options, si ce n'est l'une des premières options documentées par l'UNEA. Elle sera mise sur la table lors des discussions à Paris. Une autre option est la simplification chimique : limiter le nombre de substances mises sur le marché dans une logique de no data no market : si les données sont absentes, les substances chimiques ne doivent pas pouvoir accéder au marché. Il faut également regrouper l'évaluation et le contrôle des produits chimiques utilisés dans les matières plastiques.