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Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Pour revenir sur différents éléments de votre présentation, et notamment sur la forme, je tiens à préciser, puisque vous mentionnez la mission confiée à Messieurs Niel et Doroszczuk sur la préparation d'un travail relatif à la fusion entre l'ASN et l'IRSN, que ces deux amendements ont été préparés dans le cadre de cette mission. Le résultat de leurs travaux a donc été présenté en commission des affaires économiques. Il s'agit bien de la continuité de cette mission qui comportait deux temps.

Le premier temps était consacré à l'établissement de propositions pour des amendements dans le cadre d'un projet à court terme. Le deuxième temps consistait à préparer le projet de loi de finances 2024, dans le cadre de cette potentielle réforme.

Sur le fond, ces amendements tiraient un premier renseignement puisqu'il ne s'agissait pas de supprimer l'IRSN, comme je l'ai beaucoup entendu, ni de supprimer des moyens, mais tout simplement de reconnaître la capacité d'expertise de l'ASN et de permettre un rapprochement entre les deux institutions. C'est le fruit d'un premier enseignement des rapports répétés de la Cour des comptes depuis 2007.

Je rappelle que l'ASN a été créée en 2006 et l'IRSN en 2002. Ce qui avait conduit initialement à la séparation entre ces deux organismes, alors qu'ils sont le fruit de regroupements successifs d'institutions, c'est le fait que l'ASN, devenue une autorité administrative indépendante, était une direction d'administration directement placée sous l'autorité d'un ministre. Vous pouvez mesurer le chemin parcouru par l'ASN en prenant cette dimension d'autorité administrative indépendante. Effectivement, dans la notion de travail et de prise de décision et d'accompagnement de la décision de la régulation, cette dimension d'autorité administrative indépendante est fondamentale et change complètement la donne.

Que dit la Cour des comptes, de manière répétée ? Je cite quelques extraits de son rapport de 2014 : « les recommandations formulées par la Cour à l'occasion de ses précédents contrôles ont globalement été suivies d'effets. Néanmoins, des efforts restent à réaliser pour rationaliser les implantations de l'établissement, pour mieux hiérarchiser et prioriser la stratégie de recherche et pour que la communication externe soit menée de façon plus concertée avec l'ASN. Les coûts complets par action nourrissent un conflit latent entre l'ASN et l'IRSN. Les relations entre ASN et IRSN sont difficiles et nourrissent une tension permanente. Tous les rapports de la Cour de ces dernières années ont mis en exergue cette tension jusqu'à considérer qu'il serait utile de rechercher des voies pour améliorer la collaboration entre les deux organismes. Les relations entre l'ASN et l'IRSN sont fondées sur une complémentarité qui n'exclut pas tensions et dysfonctionnements. »

Je ne vais pas rentrer dans les différents éléments, mais je constate qu'en dépit de la bonne volonté déployée, cela n'a pas empêché ces dernières années des actions de communication autonomes de l'IRSN qui posent des problèmes de principe. Ces constats sont documentés par la Cour des comptes. Nous ne partons pas d'un problème qui n'existerait pas, mais d'une situation qui demande à être traitée.

Quant à l'organisation de la sûreté nucléaire au plan international, le modèle le plus proche du nôtre est celui de l'Allemagne. Vous m'accorderez, compte tenu des décisions qui appartiennent au gouvernement allemand et qu'il ne nous appartient pas de commenter, ce n'est pas forcément l'organisation qui correspond le mieux à nos intentions pour la filière nucléaire. Si maintenant nous considérons la réalité des organisations d'autres pays (Japon, États-Unis, Canada, Royaume-Uni), nous pouvons constater que cette dualité n'est pas du tout organisée de la même manière et qu'en plus, on a un sujet de concentration des ressources ou de manque de concentration des ressources, pour l'ASN, pour accompagner la sûreté nucléaire, alors même que nous sommes en train de travailler à la relance d'un programme nucléaire, que la question de la prolongation des réacteurs en sûreté est une question majeure, et qu'un certain nombre de projets innovants émergent de la part d'acteurs qui n'ont pas cette forcément complètement cette culture du nucléaire qu'avaient les trois grands opérateurs internationaux, Westinghouse, EDF et la Korea. Ces acteurs devront réaliser des processus de validation, pour lesquels ils seront peut-être un peu inexpérimentés. Dans ce contexte, se poser la question de la meilleure organisation de notre sûreté nucléaire me paraît assez fondé.

Vous affirmez que les compétences sont clairement séparées entre l'ASN et l'IRSN, mais ce n'est pas le cas. Je rappelle que les compétences d'expertise sur ce qui fait les éléments les plus centraux d'un réacteur nucléaire, en particulier les équipements sous pression et la cuve, se trouvent à l'ASN. Faut-il donc couper l'ASN et la renvoyer à l'IRSN ? C'est ce que vous sous-entendez. Or, à ce jour, personne ne s'est jamais plaint du fait que cette expertise soit à l'ASN, alors qu'elle porte sur les équipements les plus critiques. Vous voyez bien qu'il y a des marges de progrès et des marges d'organisation à revoir sur l'organisation de la sûreté nucléaire.

Quant à la concurrence du privé, elle induit une très bonne question relative à l'attractivité des métiers et des rémunérations. J'ai pris une mesure à court terme, en intervenant personnellement auprès des acteurs de notre filière pour leur demander de ne pas recruter, de ne pas faire la chasse aux compétences au sein de l'IRSN puisque l'ASN applique strictement une déontologie de transfert de l'ASN vers les opérateurs. Les mailles du filet sont un peu plus lâches en matière de déontologie de l'IRSN vers les opérateurs, ce qui d'ailleurs pourrait être une question qu'on pourrait se poser, dans la mesure où d'un point de vue juridique, les deux organismes relèvent des mêmes textes.

Il est vrai qu'il existe des écarts de rémunération entre les deux institutions. Par ailleurs, certains écarts de rémunération pourraient être appelés à se creuser si effectivement nous relançons un programme, puisqu'il va y avoir des appels d'air de recrutement, et donc probablement des tensions sur un certain nombre de fonctions. Ce sujet-là doit être traité, à la fois dans la dimension parcours de carrière, c'est-à-dire comment permettre des évolutions au sein d'une institution qui gère la sûreté nucléaire, permettant de passer d'une entité à l'autre et d'avoir des parcours de carrière complets et passionnants, mais aussi sous l'angle de la rémunération et de ses modalités.

Le dernier point porte sur les moyens supplémentaires. Sur ce plan, je partage votre vision. A priori, si la filière nucléaire estime avoir besoin de 100 000 recrutements supplémentaires dans les années qui viennent, afin de couvrir les départs à la retraite et le recrutement de compétences supplémentaires nécessaires à la réalisation d'un nouveau programme nucléaire, à la mise en œuvre d'une prolongation des réacteurs et au fait de demeurer proactif sur les sujets d'amont du combustible, d'aval de combustible des déchets et des nouveaux réacteurs qui font l'objet d'innovations technologiques, il apparaît clairement que nous allons devoir renforcer les compétences de l'ASN et de l'IRSN. Dans quelle mesure ? Je n'ai pas les chiffres à ce jour, mais une analyse est en cours.

C'est un exercice que nous devons faire, comme nous le faisons pour toutes les filières. Cette analyse relève en réalité d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences en réel, que nous avons précisément fait pour le nucléaire. J'ai demandé que cet exercice soit réalisé pour la filière énergies renouvelables et pour les réseaux. Ce sujet nous concerne également dans les différents espaces administratifs, la délégation interministérielle au nouveau nucléaire, la question de l'ASN, de l'IRSN, de la direction générale Énergie Climat. Ces organismes travaillent sur des sujets absolument stratégiques dans le cadre de la transition énergétique. On leur demande de faire plus, mais ils vont avoir besoin de compétences supplémentaires.

Quant au retard que vous avez évoqué sur les énergies renouvelables, je précise qu'en 2022, nous avons connecté cinq gigawatts d'énergies renouvelables, soit le niveau maximal réalisé par la France au cours de son histoire énergétique. Ce chiffre est intéressant. Par ailleurs, le rythme de la France entre 2012 et 2021 est exactement identique à celui de l'Allemagne sur les énergies renouvelables, pays qui est plutôt présenté comme un bon élève en matière de déploiement des énergies renouvelables. En France, nous avions 13 % de la consommation finale en énergies renouvelables en 2012, comme l'Allemagne, et nous étions à 19,4 % en 2021, contre 19,2 % pour l'Allemagne. Chaque année, les résultats sont proches entre ces deux pays, l'écart n'excédant pas 0,3 %.

L'Espagne présente certes un meilleur résultat que nous, alors que l'Italie se trouve derrière nous. Parmi les pays les plus peuplés, nous nous positionnons effectivement juste derrière l'Espagne. Cela permet de remettre en perspective la perception que nous avons des énergies renouvelables en France et de leur déploiement. Il est vrai que, lors de sa présidence européenne, la France s'était engagée à atteindre un objectif plus élevé, 23 %, ce qui explique cet écart de perception au regard de l'engagement politique pris en 2010, qui n'a pas été tenu et qui aurait pu l'être par le biais de l'achat de transferts statistiques, comme de nombreux autres pays l'ont fait. Cinq pays ont ainsi procédé à des achats de transferts statistiques de mégawatts pour revenir sur leur production.

Nous sommes en discussion avec la Commission européenne, puisque nous considérons avoir su développer des énergies renouvelables. Il convient probablement de trouver un dispositif qui nous rassemble afin de tenir notre engagement politique et de faire en sorte que les mesures prises bénéficient à la filière des énergies renouvelables française.

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