Monsieur Salmon, savoir si les étrangers qui n'ont pas encore déposé leur demande d'asile sont en situation régulière ou non n'est pas une opinion. C'est déterminé par le droit – sauf à décider de ne plus se conformer à la Déclaration universelle des droits de l'homme, à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ni à notre Constitution : c'est un choix politique…
Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. » En vertu de ce principe, on ne peut refuser à un demandeur d'asile l'accès au territoire français, hexagonal ou ultramarin. Les emprises consulaires ne sauraient représenter un substitut. Les membres du Rassemblement national, mais aussi des Républicains devront faire sortir la France de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et modifier en profondeur sa Constitution s'ils souhaitent externaliser les demandes d'asile. Vous ne citez d'ailleurs jamais de pays qui ait appliqué ce type de mesures. Il faudrait au moins avoir l'exemple d'un État démocratique qui en ait accepté le principe !
Les 120 à 140 000 demandeurs d'asile annuels ne constituent pas une difficulté majeure pour un pays de 70 millions d'habitants. La vraie question est de savoir de quelle manière on traite les demandes, dans quel délai et comment on reconduit les personnes déboutées. Si vous étiez aux responsabilités, vous ne feriez pas autre chose que nous, car un triple Frexit – de la CEDH, de la Constitution et de la Charte des Nations unies – nous placerait au ban des nations.
Monsieur le président, vous avez parfaitement raison, je dresse les mêmes constats que vous quotidiennement. Toutefois, si des gens ne sont ni régularisables, ni expulsables, ils ne figurent pas dans le dispositif national d'accueil géré par le ministère de l'intérieur. Les personnes sans abri dépourvues de titres de séjour sont prises en charge par le ministère du logement : je ne parle ici que des crédits budgétaires de mon ministère, qui gère les demandeurs d'asile. Ce qui est certain, c'est qu'entre 15 et 20 % des personnes qui se trouvent dans le DNA ne devraient pas y être, et qu'elles prennent donc la place de demandeurs d'asile. C'est une difficulté majeure à laquelle est confronté mon ministère. Il faut orienter ces personnes vers un autre dispositif géré, par exemple, par le ministère du logement. Pour reprendre votre exemple, il faut que l'intéressé se retourne vers ses parents, et l'État peut l'aider à le faire. Quant aux personnes qui ne sont ni expulsables ni régularisables, elles font l'objet du projet de loi qui vient d'être présenté au Parlement, que tous les groupes d'opposition n'ont pourtant pas déclaré soutenir.
Monsieur le rapporteur général, vous avez raison, les demandeurs de certaines nationalités n'ont à peu près aucune chance de l'obtenir l'asile, ce qui est un défaut de notre système. Alors, faut-il poursuivre la politique des pays sûrs ou non ? Je signale que leurs ressortissants sont susceptibles de remplir d'autres critères justifiant l'octroi de l'asile. Par exemple, les personnes homosexuelles ou transgenres, qui sont susceptibles de faire l'objet d'une condamnation pénale dans quasiment tous les pays de droit musulman, pourraient à ce titre demander l'asile dans notre pays. D'autres critères que la nationalité sont pris en compte lors de l'examen des dossiers par l'Ofpra – qui est indépendant – et par la CNDA – qui est un juge administratif.
Monsieur le président, je peux vous rejoindre en ce qui concerne le souhait d'avoir des centres d'accueil dignes de ce nom. Je pense que vous noircissez un peu le tableau, même si je peux comprendre votre impression compte tenu de l'état des centres en Île-de-France et singulièrement dans votre département. Depuis trois ans, le Gouvernement a créé des sas d'accueil. On peut certes discuter pour savoir s'ils sont assez nombreux ou assez équipés. Il faut faire attention à la manière dont nous accueillons les demandeurs d'asile, qui parfois attendent un accompagnement individualisé, ou parfois peuvent chercher à séjourner dans notre pays par un moyen détourné – c'est une des difficultés auxquelles il faut faire face. Cela étant dit, je suis d'accord avec vous et avec les propositions des rapporteurs : ces sas peuvent être mieux organisés.
Associer l'éducation nationale est une proposition intéressante pour mieux accompagner les enfants, monsieur le rapporteur général. La possibilité d'inscrire ses enfants est un sujet très important dans la répartition territoriale des demandeurs d'asile. Ces enfants font parfois face à de grandes difficultés éducatives, notamment lorsqu'ils ont dû effectuer des trajets très durs et qu'ils ont subi des sévices sexuels, comme c'est le cas d'une partie des jeunes filles que nous accueillons. L'éducation nationale devant ensuite s'en occuper, mieux vaut qu'elle soit associée en aval à la mise en place du dispositif, afin de pouvoir déterminer les endroits où le bon accompagnement pourra être organisé.
Pour répondre à Mmes Karamanli et Goulet, je dirai qu'agir plus vite est bien sûr notre problème principal. Je peux comprendre l'affirmation du président Coquerel : oui, il y a un problème d'accueil, personne n'a jamais dit le contraire. L'immigration pose plusieurs problèmes, dont une crise de l'accueil. Pour expliquer cette crise, vous allez me dire que nous n'avons pas dégagé suffisamment de moyens, je vais vous dire que nous mettons trop de temps pour répondre aux demandes d'asile. Ce délai excessif handicape aussi bien la personne à qui sera accordé l'asile que celle à qui il sera refusé.
Attendre un an et demi pour obtenir une réponse lorsque l'on cherche à faire valoir ses droits constitutionnels et conventionnels est inacceptable, car pendant cette période très longue l'intéressé ne peut pas travailler et ne peut pas se projeter dans l'avenir. C'est également inacceptable pour celui à qui l'on refusera l'asile, car entre-temps il aura pu faire sa vie en France, eu ou scolarisé un enfant, voire aura commencé à travailler clandestinement, autrement dit à se faire exploiter. On crée une situation où la personne n'est ni expulsable, ni régularisable.
La réponse réside dans la rapidité.
L'Ofpra et les préfectures ont fait d'énormes efforts, grâce d'ailleurs aux moyens budgétaires que vous leur avez accordés. Je suis fier que vous m'interrogiez désormais sur la répartition des demandeurs d'asile sur le territoire national, et non plus comme il y a trois ans sur le point de savoir pourquoi l'Ofpra met neuf mois pour examiner un dossier. Le délai de réponse aux demandeurs d'asile a été ramené à cinq mois, et parfois beaucoup moins.
Le problème, c'est la juridiction administrative. Ce n'est pas pour dire du mal de la CNDA en tant que telle, mais elle met encore, elle, entre neuf et douze mois pour répondre à une demande de l'Ofpra ou, le plus souvent, d'un demandeur d'asile débouté. Ces délais posent un problème d'accueil des personnes. L'objet du projet de loi que nous soumettons donc au Parlement est précisément de les réduire : il ne s'agit pas de limiter les possibilités de recours des demandeurs d'asile mais de faire en sorte qu'ils interviennent dans des délais raisonnables, compatibles avec nos capacités d'accueil – dont je crains qu'elles ne puissent pas être considérablement élargies.
L'immigration n'est pas une opinion. Être pour ou contre n'a pas beaucoup de sens puisque, quoi qu'il arrive, il y aura des vagues migratoires très importantes. Il a déjà été question ce soir des migrations climatiques auxquelles nous serons évidemment confrontés dans les prochaines années.
Bref, s'agissant des délais et puisque cela n'a pas été relevé, je constate que l'Ofpra a fait des efforts considérables, conformes aux engagements du Président de la République.
Je termine avec la protection que nous avons accordée aux Ukrainiens. J'entends parfois dire que nous avons fait beaucoup d'efforts pour eux et moins pour les autres réfugiés.
Premièrement, cette comparaison me paraît un peu douteuse. Je rappelle que les États européens ont décidé ensemble d'accorder une protection temporaire, qui présente beaucoup d'avantages par rapport à la demande d'asile classique. Car ce n'est pas un asile. Lorsque certains me demandent de donner à tous ce que nous avons accordé aux Ukrainiens, je veux bien dire chiche, mais je ne suis pas certain que cela rende beaucoup service aux intéressés. Ce que nous disons aux Ukrainiens, c'est qu'ils n'obtiendront pas l'asile, car leur pays ne sera plus en guerre dans quelques années, et qu'ils bénéficient de trois ans de protection. Est-ce que cela servirait la cause des Syriens, des Afghans et des Pakistanais ?
Deuxièmement, la protection accordée autorise les Ukrainiens à travailler immédiatement. Or, lorsque ce sujet a été évoqué récemment, j'ai compris que certains n'étaient pas favorables au fait que les demandeurs d'asile travaillent. Il faut être cohérent et se décider pour l'un ou l'autre. Pour notre part, nous pensons que les ressortissants de certains pays, comme les Afghans, qui sont à peu près certains d'obtenir l'asile, doivent pouvoir travailler sans attendre. C'est un débat politique. Mais on ne peut pas demander tout et son contraire.
Troisièmement, les situations ne sont pas comparables. Les Ukrainiens présents sur le territoire national sont moins de 100 000, et il s'agit pour 90 % de femmes avec des enfants, qui restent à quatre heures de trajet de leur pays et de leur famille. Cela n'a rien à voir avec les centaines de milliers de personnes qui ont traversé les mers pour venir, qui n'ont parfois absolument pas la même culture que nous et qui sont surtout des hommes, les familles venant dans un second temps.