Intervention de Stanislas Guerini

Réunion du mardi 23 mai 2023 à 19h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Merci pour vos questions riches et nombreuses, qui démontrent tout l'intérêt que nous portons collectivement, par-delà tout clivage partisan, à la fonction publique.

Monsieur Cazenave, peut-être n'a-t-on pas su appréhender suffisamment les attentes des agents en matière d'évolution dans le cadre des politiques salariales menées au cours des dernières décennies. On a beaucoup raisonné en fonction du niveau de rémunération à l'instant « T », sans envisager la pente de la courbe, alors qu'il s'agit d'une question qui revient souvent. Je pense en particulier à certains personnels soignants qui se demandent s'ils vont faire quinze années supplémentaires pour gagner 150 euros de plus par mois. C'est ce que j'entendais par le deuxième principe, à savoir offrir des perspectives d'évolution salariale et d'accélération des carrières.

Je ne crois pas que le statut soit un frein pour cela. On peut rénover en profondeur la fonction publique sans toucher à celui-ci, dès lors qu'on le considère comme un socle de droits et de devoirs correspondant à un engagement. Les catégories en tant que telles ne sont pas un problème. D'ailleurs, il existe une forme de catégorisation dans le privé aussi, à travers les conventions collectives. Le problème, c'est qu'une fois qu'on est entré dans la fonction publique dans une certaine catégorie, on a du mal à évoluer, du fait de l'existence de sortes de « plafonds de verre », à moins de préparer pendant un an un concours administratif. Il faut donc apporter aux agents une certaine souplesse, notamment en prenant mieux en considération la formation professionnelle, en valorisant la validation des acquis de l'expérience et en aidant à franchir les étapes successives.

Ce chantier, je veux l'engager de manière structurelle ; probablement aurons-nous à en débattre dans le cadre d'évolutions législatives. Toutefois, je veux aussi m'y atteler sans attendre s'agissant de métiers dans lesquels on manque particulièrement de perspectives d'évolution. Celui de secrétaire de mairie, cheville ouvrière de la vie communale, rencontre par exemple des difficultés d'attractivité. Un tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite dans les huit prochaines années. On a du mal à valoriser ce type de profil. Je proposerai donc de permettre, par validation des acquis de l'expérience après un certain nombre d'années passées sur le terrain ou grâce à une formation de professionnalisation, un passage de la catégorie C à la catégorie B en dérogeant aux quotas de promotion, et de faire en sorte que l'exercice de telles fonctions agisse comme un accélérateur de carrière. Cet exemple me semble assez représentatif de la réforme que je me propose d'engager.

Monsieur Lottiaux, si l'on veut améliorer l'attractivité de la fonction publique, cessons de dévaloriser l'administration. On parle toujours de la raréfaction des services publics et de la désertification des territoires, alors que ce n'est pas la réalité. Portons un regard lucide sur la situation, mais admettons aussi que les lignes bougent. France Services n'est pas un pis-aller, c'est un véritable investissement au service de nos territoires. Le président de la République avait pris l'engagement de mettre en place des points d'accès physique à un service public généraliste plus pointu que celui proposé par les maisons de services au public. Aujourd'hui, France Services, ça marche, tant du point de vue de la granularité – 92 % de nos concitoyens se trouvent à moins de vingt minutes d'un tel espace – que sur le plan qualitatif : plus de huit fois sur dix, l'usager s'en va avec sa démarche administrative effectuée, ce qui est une différence fondamentale avec le dispositif précédent. Nous allons persévérer dans cette voie.

Par ailleurs, non, la création de l'INSP n'est pas une mesure cosmétique. Elle est étroitement liée à la réforme de la haute fonction publique que nous avons engagée et qui rejoint la réforme générale de la fonction publique, parce qu'à travers ses cadres dirigeants, c'est la fonction publique tout entière que nous souhaitons mettre en mouvement. Ce que nous voulons, c'est que l'INSP soit non pas une école tournée entièrement vers un classement de sortie qui conditionnerait l'intégralité d'une carrière administrative, mais une école d'application de très haut niveau inscrite dans une logique de professionnalisation. Nous ne renonçons pas à l'ambition ni à la sélectivité au concours. Je l'ai dit tout à l'heure : jamais on n'a enregistré autant de candidats depuis la création de l'ENA. J'assume de rester dans une logique d'élite républicaine. Cependant, il ne s'agit pas de refaire, parfois en moins bien, ce qu'on a déjà fait à Sciences Po ou dans d'autres écoles du service public, il convient de préparer un parcours administratif, en se recentrant sur un tronc commun correspondant aux compétences nécessaires à l'ensemble des cadres dirigeants du pays, à savoir la maîtrise des enjeux de la transition numérique, ceux de la transition écologique, des fondamentaux du management. Si nous avons supprimé le classement de sortie, c'est précisément pour privilégier une logique d'appariement des étudiants engagés dans un certain parcours administratif à travers une orientation, des stages et une expérience sur le terrain avec les employeurs publics, à l'aide d'un référentiel de compétences que la Diese est en train de mettre en place.

Pour ce qui concerne la Dinum, oui, les tensions se sont apaisées. La direction était, il faut le dire, en profonde mutation. Il est nécessaire de la repositionner dans un rôle de chef d'orchestre du numérique de l'État. Sa mission est non seulement de produire des services administratifs en ligne et du numérique accessible mais aussi et surtout d'apporter des conseils et d'accompagner les grands projets numériques. Indépendamment de l'obligation de saisine en cas de projet supérieur à 9 millions d'euros, elle doit faire moins de contrôle de gestion et plus de service et d'accompagnement. D'où son repositionnement autour de la qualité des services publics, de la politique publique de la donnée et des ressources humaines de la filière numérique de l'État, dans une logique de réinternalisation.

On a plutôt bien fait les choses, ces dernières années, en matière d'ouverture des données. Comparativement à d'autres pays européens, la France est plutôt bonne élève. Toutefois, il reste des points à améliorer. D'abord, les administrations ne partagent pas assez les données. La question n'est plus d'ordre législatif ou réglementaire : un décret, publié il y a quelques semaines, donne sans ambiguïté à la Dinum le droit de demander à telle ou telle administration de partager des données, de manière sécurisée bien entendu. Ensuite, il faut insister davantage sur les cas d'usage. On n'a pas assez mis en relation les travaux effectués en interne, par les entrepreneurs d'intérêt général et par les start-ups d'État, avec les politiques prioritaires du gouvernement. Enfin, il convient d'améliorer la gouvernance de la donnée. Pour certaines politiques publiques, comme celle de la santé, on a bien avancé – notamment en matière de partage des données et d'infrastructures –, mais, pour d'autres, on est encore au milieu du gué. Je pense notamment à la transition écologique : imaginez les conflits d'usage potentiels si l'on ne dispose pas de référentiels partagés sur des questions aussi essentielles que l'artificialisation des sols ! Telle est la nouvelle mission confiée à la Dinum.

Madame Maximi, ma feuille de route n'est pas fondée sur la suppression de postes, et c'est une grande nouveauté. Voilà des années qu'à chaque fois qu'on parlait des fonctionnaires, c'était pour dire combien de postes on souhaitait supprimer. Nous avons évolué sur cette question. Le programme du candidat Macron en 2017 comportait 120 000 suppressions de postes, à raison de 70 000 dans la territoriale et de 50 000 dans la fonction publique d'État. Ce n'était plus le cas en 2022. Je crois qu'on peut réinvestir dans la fonction publique. Il convient notamment de la déconcentrer, d'une part, en envoyant un plus grand nombre d'agents d'administration centrale en administration déconcentrée – nous avons prévu de déconcentrer 2 600 postes dans soixante-six communes à l'horizon 2026 –, d'autre part, en renforçant l'administration déconcentrée. À la fin du dernier quinquennat, nous avons ainsi donné aux préfets, notamment de région, une marge de manœuvre de 3 % pour effectuer des redéploiements d'effectifs. Il faut que nous rendions cette mesure pleinement effective. Cela passe par des investissements, notamment dans les plateformes régionales de gestion des ressources humaines et les systèmes d'information de gestion des ressources humaines. Ce sont des questions très techniques mais essentielles.

Les sous-exécutions sont réelles – une perte de 6 000 ETP au lieu de la création des 700 prévus –, mais elles ne découlent pas d'une volonté politique. Elles sont liées à des difficultés de recrutement, ainsi qu'à de graves problèmes de démographie, notamment du fait du départ à la retraite de la génération entrée au début du septennat de François Mitterrand. Lors du débat sur les retraites, on a parlé du ratio actifs-retraités qui était passé de 4 à 1,7, et bientôt à 1,5, mais il faut avoir conscience que pour la fonction publique d'État, le ratio est de 0,86 ! Je ne veux pas relancer le débat, mais c'est une des raisons qui nous a poussés à réformer le système. À cela s'ajoutent des effets liés à l'évolution du périmètre, puisque les agents de la poste et des télécommunications ne sont plus fonctionnaires. D'où l'importance de renforcer l'attractivité de la fonction publique.

Le Gouvernement ne promeut pas une philosophie du contrat. Bien souvent, le recrutement au contrat répond à des situations de fait et à des agents qui préfèrent ce mode de recrutement. Je voudrais pour ma part qu'on prenne des mesures qui permettent de titulariser des agents contractuels. Dans le cadre du débat sur les retraites, on a souhaité améliorer la situation des contractuels titularisés dans des catégories actives, en considérant que leurs années passées sous contrat compteraient dans leur durée de service. La mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel, mais elle était la démonstration de notre volonté de fidélisation. Il serait bon qu'elle finisse par s'appliquer.

Madame Louwagie, je ne dispose pas dans l'immédiat des chiffres demandés sur la santé au travail : je vous répondrai par écrit.

S'agissant de la revue des dépenses publiques, la Première ministre nous a demandé de réduire ou de verdir un certain nombre de dépenses – non de ressources humaines, je m'empresse de le dire, mais d'intervention. Je me prêterai évidemment à cet exercice, notamment dans une logique de verdissement, en utilisant le Fonds pour la transformation de l'action publique. Mon ministère est au service de tous les autres. À travers les politiques que nous menons, comme la numérisation, la meilleure utilisation des données, la gestion prévisionnelle de l'emploi ou la transformation des espaces de travail – la fonction publique d'État utilise 22 millions de mètres carrés de bureaux : il y a là un enjeu à la fois d'économies, de qualité de vie au travail et de transition écologique –, nous pouvons être force de proposition. Il n'y a pas de double discours de la part du Gouvernement.

Madame Goulet, les « Prépas talents » sont un dispositif encore jeune, qu'il convient de mieux faire connaître. Pour ce qui concerne la réussite aux concours et l'intégration des bénéficiaires, ça marche plutôt bien. Il y a évidemment des choses à améliorer, comme le versement des bourses, qui doit être plus rapide : j'ai enclenché le processus de leur mensualisation. De même, il faut un meilleur accompagnement des élèves redoublant à la suite d'un premier échec au concours. Nous sommes en train de lever ces freins.

Les difficultés d'attractivité doivent être l'occasion de faire bouger les lignes et d'être plus pragmatique, dans le respect du statut. Les modalités de recrutement sont parfois diamétralement opposées dans des versants différents de la fonction publique. Par exemple, dans le centre hospitalier universitaire (CHU) d'une grande agglomération, on peut recruter sur titres, alors que pour intégrer un établissement médico-social, il faut passer un concours. Certains CHU ont ainsi pris des agents à la municipalité parce qu'ils sont plus pragmatiques. Nous sommes en train de remettre à plat les modalités de recrutement pour les recentrer sur les compétences, notamment celles acquises sur le terrain. Les difficultés d'attractivité sont particulièrement importantes pour ce qui concerne les métiers de la petite enfance, du soin et du lien. Faire trois fautes dans une dictée ne devrait pas être disqualifiant pour exercer ces métiers, surtout si l'on dispose de quinze années d'expérience sur le terrain et de toutes les compétences nécessaires.

De même, nous avons engagé ces dernières années une révolution culturelle en introduisant l'apprentissage dans la fonction publique : on comptait 30 000 apprentis l'an passé. Le problème, c'est qu'au bout de la période d'apprentissage, même s'il y a une volonté conjointe de la collectivité et du jeune, il faut passer un concours. Souvent, cela décourage les apprentis, qui préfèrent rejoindre une société privée. Nous sommes en train de consulter le Conseil d'État pour savoir comment faire, mais je souhaite que l'apprentissage devienne une vraie voie de pré-recrutement dans la fonction publique et qu'il soit possible de titulariser les jeunes apprentis, et pas seulement ceux en situation de handicap.

Monsieur Tellier, nous avons eu au Sénat un débat de très haute tenue sur l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, dans une volonté commune de renforcer l'État. Je n'ai pas attendu d'éventuelles évolutions législatives pour avancer dans cette voie. La clé, c'est la transparence. J'ai pris l'engagement que soit désormais annexé au projet de loi de finances un « jaune » budgétaire consacré à la question. Ce document a été publié pour 2023 et sera amélioré pour 2024. Il indiquera la totalité des recours aux prestations de conseil dans l'ensemble des ministères, en mentionnant à chaque fois l'intitulé de la mission, le ministère commanditaire et le montant correspondant. Les cas de non-publication devront être circonscrits et justifiés – je pense aux sujets liés à la sécurité du pays et relevant du secret-défense. La représentation nationale aura ainsi les moyens de contrôler le recours aux sociétés de conseil.

Nous avons réduit en 2022 ces recours pour le conseil en stratégie au-delà de l'engagement pris par le gouvernement du Premier ministre Jean Castex, à savoir à hauteur de 35 % contre 15 %. Nous allons poursuivre dans cette voie et mieux encadrer ces interventions. La DITP a publié un nouvel accord-cadre qui prévoit de ne pas avoir recours systématiquement au même cabinet de conseil, interdit plus d'un droit de suite par mission, renforce les exigences en matière de déontologie et de conflit d'intérêts, et encadre l'utilisation des données.

Le véritable défi reste la réinternalisation des ressources : il faudrait ne pas avoir besoin de recourir à des cabinets de conseil. Pour ce qui concerne le conseil en stratégie, nous aurions besoin d'une meilleure cartographie des compétences internes. D'où, madame Dalloz, le rôle de la Diese : il s'agit par exemple de mobiliser les cadres dirigeants de la fonction publique quand ils se trouvent entre deux emplois fonctionnels, pour éviter d'avoir recours à un prestataire de conseil. D'autre part, nous avons prévu vingt postes supplémentaires au sein de la DITP dans le PLF pour 2023, de manière à renforcer nos compétences en la matière. Il faut admettre que nous rencontrons sur ce plan des difficultés de recrutement, en partie liées à l'existence de règles trop contraignantes à l'entrée et à la sortie, ce qui contrarie l'embauche de personnes issues du monde du conseil. Enfin, la Première ministre a demandé que soient mieux utilisées les missions d'inspection, afin qu'il n'y ait pas de redondances entre elles ou avec les travaux de prestataires de conseil.

Des transferts ont été réalisés afin de financer par l'intermédiaire du CNFPT l'apprentissage dans la fonction publique territoriale. Il s'agit d'un engagement qui avait été pris et que j'ai maintenu pour les trois années à venir de manière à apporter un soutien aux collectivités territoriales et à renforcer l'apprentissage.

La Diese et la DGAFP n'ont pas du tout les mêmes missions. La seconde établit le cadre statutaire ; il s'agit d'une administration transversale qui fixe les règles du jeu. La première gère les ressources humaines en matière d'encadrement supérieur de l'État et, prochainement, de corps techniques. Nous avions besoin d'un tel pilotage.

Monsieur Laqhila, s'agissant du « Dites-le-nous une fois », les choses ont progressé, notamment en matière réglementaire, mais on doit pouvoir faire mieux. Nous devons recentrer nos objectifs sur le partage des informations concernant les 250 à 300 démarches les plus communément effectuées par les Français. Nous devons rapidement tenir cette promesse.

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