Intervention de Stanislas Guerini

Réunion du mardi 23 mai 2023 à 19h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Stanislas Guerini, ministre :

Vous avez raison d'aborder les questions de l'attractivité et de l'efficacité des services publics comme deux faces d'une même pièce. Comme vous l'avez dit, madame la rapporteure spéciale, mettre les agents publics en condition de bien faire leur métier, c'est investir pour se doter de capacités à répondre aux attentes de nos concitoyens en matière d'accès aux services publics, de qualité et d'efficacité.

S'agissant de la mobilisation pour la qualité des services publics, l'ensemble du Gouvernement s'est réuni autour de la Première ministre, il y a quelques jours, dans le cadre du CITP. Nous avons retenu une approche en trois temps.

Il faut, d'abord, investir dans les services publics fondamentaux, les grandes politiques publiques que sont l'emploi, l'éducation, la transition écologique, le logement, la sécurité, la justice ou la santé, en suivant une approche aussi décloisonnée que possible. Nous souffrons parfois de la déclinaison en silos de nos politiques publiques pour les grands enjeux de transformation. C'est particulièrement vrai en matière de numérique et de mobilisation de la donnée, qui est une question absolument considérable.

Nous avons acté le fait qu'il fallait partir des attentes qui viennent de la vie des gens, de la naissance au décès, en ayant une approche par moment de vie. Il faut regarder quelles sont les démarches administratives liées à ces moments, en mettant la priorité sur ceux où nos concitoyens nous attendent le plus fortement. La Première ministre a ainsi fait le choix de donner la priorité à l'accès aux titres d'identité, sujet qui revient tout le temps dans le débat public – nous devons faire mieux, en suivant une logique de résultats –, à la rénovation du logement, politique publique aujourd'hui complexe, à l'accès aux études supérieures, aux départs à l'étranger ou encore à la perte d'un proche – chaque année, entre 8 et 10 % des Français perdent un proche. L'administration n'est pas tout le temps à la bonne hauteur ou ne fait pas preuve de toute l'humanité qu'il faudrait. Nous avons prévu une mobilisation interministérielle pour apporter dans l'année 2023 des résultats visibles lors de chacun de ces moments fondamentaux dans la vie des gens.

Le deuxième temps concerne toutes les démarches essentielles de nos concitoyens – les 250 à 300 démarches réalisées chaque année par plus de 200 000 Français. Il faut aligner toutes les énergies pour pouvoir bien numériser, répondre à la promesse du « Dites-le-nous une fois », qui date des discussions autour de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance dite « Essoc », et faire du numérique accessible. Aujourd'hui, seuls 40 % des démarches numériques sont pleinement accessibles au regard des référentiels en vigueur, ce qui est évidemment insuffisant. J'ai fixé l'objectif, que nous tiendrons, d'atteindre dès cette année un taux de 80 % pour les démarches essentielles, et de 100 % à la fin du quinquennat.

Nous devons également faire mieux, pour ces démarches essentielles, s'agissant de l'accès par téléphone. C'est une demande de nos concitoyens, qui souhaitent avoir une solution alternative en parlant à quelqu'un. Le taux d'appels décrochés doit remonter à plus de 80 % à court terme.

Par ailleurs, bon nombre de concitoyens ont besoin que quelqu'un soit physiquement présent derrière un guichet, parce qu'une démarche numérique ne fonctionne pas ou parce que certains sont éloignés du numérique, comme les personnes âgées ou des jeunes qui passent beaucoup de temps sur leur téléphone portable mais ne sont pas toujours à l'aise lorsqu'il faut faire des démarches administratives. Nous devons avoir un service public beaucoup plus accessible et beaucoup plus humain pour eux. C'est l'investissement que nous faisons notamment dans le cadre du réseau France Services : nous avons ouvert 2 600 espaces, et nous continuons à investir pour en ouvrir 150 de plus dès cette année. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Pour réussir tout cela, il faut aussi que la fonction publique retrouve de l'attractivité. Je regarde la situation avec lucidité, mais sans fatalisme. Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique a globalement été divisé par deux en dix ans. Nous devons avancer de façon équilibrée, à la fois pour ce qui concerne les enjeux de la rémunération, qui sont incontournables, particulièrement aujourd'hui – je dirai également un mot des questions plus conjoncturelles de l'inflation et du pouvoir d'achat – et pour tout ce qui se trouve autour des fiches de paie. Les agents et ceux qui pensent à rejoindre la fonction publique regardent la question des conditions de travail et celle du sens. Nous avons engagé, d'une façon structurelle, des programmes dans ces domaines.

Nous devons d'abord répondre, c'est vrai, à une forte inflation pour la deuxième année consécutive. Nous avons pris l'année dernière la décision importante de rehausser de 3,5 % la valeur du point d'indice. Cela faisait suite, il ne faut pas se raconter d'histoires, à un niveau d'inflation qui était lui aussi inédit, en tout cas depuis des décennies, mais c'était tout de même la plus forte augmentation du point d'indice depuis le début du premier septennat de François Mitterrand – depuis 1983 –, et cette mesure était attendue. Nous nous retrouvons avec une deuxième année d'inflation forte. Même si la France fait tout ce qu'elle peut pour essayer de la maîtriser, et elle le fait plutôt mieux que ses voisins, le niveau global de l'inflation reste important, en particulier pour les produits du quotidien, l'alimentation, ce qui a l'impact le plus direct sur les bas de grille et, je dirais, les classes moyennes de la fonction publique.

Face à cela, nous avons pris des décisions qui correspondaient à la loi, c'est-à-dire de suivre l'augmentation du Smic (salaire minimum de croissance) en relevant l'indice minimum de traitement dans la fonction publique, ce qui a été effectif au 1er mai, afin qu'aucun agent ne soit rémunéré en dessous du Smic, mais j'ai bien indiqué que cela ne pouvait pas être pour solde de tout compte. Il y a aussi un effet particulier d'écrasement des grilles : 20 % des agents sont rémunérés au niveau du Smic, et les perspectives d'évolution quand on entre dans la fonction publique, au sein de la catégorie C, font qu'on franchit des échelons sans augmentation indiciaire. Cette question doit être une priorité.

J'ai effectivement repris cette semaine les discussions avec les organisations syndicales, dans un format bilatéral pour commencer, afin de poser ces questions, de bien voir quelles sont les revendications des différentes organisations syndicales et de dire mon ambition d'apporter des réponses, de façon anticipée par rapport aux rendez-vous salariaux, qui sont traditionnellement fixés un peu plus tard, à la mi-année. Je veux réunir dès le mois de juin les organisations syndicales de façon plénière, ainsi que l'ensemble des employeurs – j'ai ainsi rencontré ce matin la Coordination des employeurs publics territoriaux –, afin d'apporter des réponses qui prennent en considération la question de l'inflation, sa structuration particulière et son impact sur les bas de grille et les classes moyennes de la fonction publique.

Il faut que ces réponses conjoncturelles nous permettent aussi d'enclencher un chantier beaucoup plus structurel, dans le cadre d'un programme que j'ai appelé « Accès, carrières et rémunérations ». Trois principes fondent mon action et les transformations que je souhaite apporter en ce qui concerne la manière de rémunérer les agents de la fonction publique.

Le premier est la « réoxygénation » des bas de grille et de l'entrée dans la fonction publique, pour qu'il y ait plus de perspectives d'évolution quand on démarre sa carrière.

Le deuxième principe, plus structurel, est d'offrir des perspectives d'évolution de carrière plus dynamiques en assumant des différenciations. Quand nous avons conduit la réforme de la haute fonction publique, nous avons ainsi introduit un dispositif d'accélération des carrières. C'est une attente des agents de la fonction publique. Je ne veux pas être tout le temps enfermé dans des quotas de promotions, dans des mécaniques uniquement à l'ancienneté. Nous devons discuter de ces questions.

Le troisième principe est la récompense de l'engagement et de la performance, individuelle et collective. Ce ne sont pas des gros mots dans ma bouche, et j'insiste sur la dimension individuelle et collective. Il existe des outils de mesure de la performance – je pense au RIFSEEP, le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel –, mais ils sont timides, et parfois timidement utilisés par les employeurs, notamment en raison d'un manque de marges de manœuvre, par exemple du côté des employeurs territoriaux, ce qui conduit un peu à un dévoiement de ces outils. Je souhaite qu'on puisse discuter, dans le cadre de la réforme, de l'instauration de plans d'intéressement dans la fonction publique, qui seraient des objets de dialogue social au sein des instances mises en place à la suite des élections professionnelles, autour d'objectifs qui peuvent être liés, par exemple, à la transition écologique et à la réussite de l'action publique en matière de planification écologique.

Les enjeux de rémunération et d'attractivité tiennent aussi aux conditions de travail. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé le programme que vous avez évoqué. Après avoir essayé de pivoter dans notre stratégie d'accès aux services publics – c'est le sens de Services publics +, qui vise à mettre l'usager au centre –, mon raisonnement est que, dans une logique de symétrie des attentions, nous devons aussi mettre l'agent public au centre et répondre, en tant qu'employeur public, à un certain nombre de promesses. Cette logique est organisée autour de six grands engagements.

Le premier est un engagement managérial. J'assume également ce terme : il faut plus de responsabilité managériale dans la fonction publique. Le droit à l'erreur, la prise d'initiative pour les agents publics, l'évaluation et la formation sont intimement liés aux enjeux managériaux.

Le deuxième engagement concerne la simplification en matière de RH pour les agents, tous les irritants du quotidien, comme la première fiche de paie en cas de mutation de poste. Il faut appréhender ces sujets, sinon on n'est pas à la hauteur des attentes des agents, notamment quand ils comparent leur situation avec ce qui existe dans le privé.

Le troisième enjeu est relatif à la santé au travail, qui me semble absolument essentielle aujourd'hui. Nous essayons d'avancer sur ces questions, comme nous l'avons fait, de façon très concrète, il y a quelques semaines, en supprimant le jour de carence pour les femmes qui ont subi une fausse couche. Ce n'est que le début des améliorations : je me rendrai demain à SantExpo, où je prendrai des engagements pour avancer dans le cadre d'un plan de prévention des maladies chroniques, singulièrement celles qui touchent les femmes dans la fonction publique – je pense à l'endométriose ou aux cancers féminins.

Le quatrième engagement porte sur l'environnement de travail. Il faut essayer de mettre en cohérence un certain nombre de transformations qui concernent l'ensemble des employeurs et de lier les questions de télétravail, de transformation des espaces de travail – nous avons engagé 15 millions d'euros pour financer des projets de transformation des lieux de travail, ce qui était jusque-là un angle mort de nos politiques RH –, d'organisation du travail et de temps de travail, afin de donner plus de souplesse et de marge de manœuvre. J'ai dit que j'étais ouvert à la question de la semaine de quatre jours. Il faut structurer les possibilités existantes et les mettre en cohérence avec nos politiques RH. Je pense aussi à la sobriété énergétique, qui est liée à l'organisation du travail et au temps de travail.

Le cinquième engagement concerne l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous aurons bientôt à discuter, cela a été confirmé ce matin par le bureau de l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat, il y a quelques semaines, qui vise à améliorer les dispositifs de nominations équilibrées, issus de la loi du 12 mars 2012 dite « Sauvadet », adoptée il y a bientôt douze ans, en fixant des objectifs encore plus ambitieux pour les postes d'encadrement et en instaurant un index d'égalité afin de mesurer la situation et de la corriger. Je vous proposerai dans quelques semaines d'avancer très concrètement sur ces questions.

Enfin, on ne peut pas parler d'attractivité sans parler du logement des fonctionnaires. Nous devons être en mesure de prendre un certain nombre d'engagements en ce qui concerne l'amélioration de la mutualisation des politiques de logement – là aussi, nous fonctionnons beaucoup trop en silos –, l'accès des agents publics au logement social et intermédiaire, qui doit peut-être faire l'objet de réflexions au niveau législatif, et la production de logement dédié aux agents publics. Les lignes bougent, des avancées sont en cours : je pense notamment à ce que font la fonction publique hospitalière et l'ARS – agence régionale de santé – Île-de-France, avec l'APHP – Assistance publique-Hôpitaux de Paris –, qui mobilise 80 millions d'euros pour un programme partenarial avec d'autres acteurs visant à construire des logements et à réserver des programmes aux agents de la fonction publique. On a beaucoup parlé des métiers de première ligne et de deuxième ligne lors de la crise sanitaire : ce sont des métiers pour lesquels nous devons apporter des réponses en matière de logement. Pouvoir vivre près de l'endroit où on travaille, quand il s'agit, par exemple, d'un hôpital ou d'un commissariat, est une question non seulement de pouvoir d'achat, mais aussi de qualité de vie. Nous devons avancer dans ces domaines extrêmement pluridisciplinaires.

Vous m'avez posé une question, monsieur le président, sur la rénovation énergétique. Cela fait partie de la qualité de vie au travail. Nous avons engagé un programme qui a été, effectivement, un peu décalé en matière d'exécution, relatif à la rénovation du bâti public et qui comporte un effort particulier pour les cités administratives. Je peux vous rassurer : ce programme est très largement en cours. Je suis notamment allé inaugurer à Poitiers l'installation de panneaux photovoltaïques et d'un premier projet d'autoconsommation collective : nous en déploierons plus de 300 dans les mois qui viennent. Ces centrales font partie des programmes de rénovation énergétique de nos bâtiments qui sont peut-être un des défis les plus grands et les plus ardus que nous aurons à relever dans les prochaines années en matière de mobilisation et de financement.

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