Il existe une forme de décalage entre certaines annonces sur l'attractivité, les IDE réalisés et l'état de l'industrie. De fait, la valeur ajoutée est très différente selon les types de secteurs. En France, les services ont été les plus touchés par la crise Covid, mais ont aussi connu le rattrapage le plus fort a posteriori. Cette même crise Covid a remis en lumière la politique industrielle pour des motifs à la fois économiques mais aussi stratégiques et de transition écologique.
L'industrie soulève également des questions relatives à la concurrence internationale et à sa consommation d'énergie. Le différentiel des prix de l'énergie entre l'Europe et les États-Unis ou d'autres zones du monde joue en notre défaveur, à un moment où tous les pays cherchent à relocaliser et à réindustrialiser. En outre, les États-Unis ont mis en œuvre des outils de réindustrialisation très puissants, notamment à travers l'IRA, et la Chine est traditionnellement interventionniste. Par conséquent, il semble pertinent de mettre en place en France un amortisseur spécifique pour les secteurs les plus exposés au choc énergétique et à la concurrence internationale. Naturellement, il convient également d'évaluer son coût budgétaire.
Ensuite, je précise que nous ne disposons pas des éléments techniques pour identifier 30 % des créations d'emplois intervenues, soit 346 000 emplois. Cela est notamment le cas dans l'industrie, où les chaînes d'approvisionnement ont été beaucoup plus touchées que les services. Par exemple, les industriels n'ont pas licencié des personnels au moment où ils manquaient de pièces : l'activité a chuté mais l'emploi a été conservé. Cependant, au bout d'un moment, la valeur ajoutée doit malgré tout remonter. Dans le BTP, il a été dit que le nombre de travailleurs détachés avait diminué. Or ces travailleurs détachés ne sont pas répertoriés dans l'emploi résident. La valeur ajoutée et le nombre d'emplois n'ont pas changé, mais la nature de ces emplois était donc différente. Enfin, selon certains, le travail non déclaré a également diminué, notamment dans la restauration.
Les secteurs qui ont créé un grand nombre d'emplois nets après la crise Covid ont été la construction (mais la valeur ajoutée n'est jamais revenue à son niveau d'avant crise), l'hôtellerie-restauration et les services à la personne, dont les activités de loisir et les activités artistiques. Tous ces secteurs ont subi des chocs importants sur la valeur ajoutée. Enfin, parmi les autres facteurs figure peut-être un effet organisationnel des entreprises, comme le télétravail, qui peut être encore compliqué à mesurer.
Ensuite, les apprentis font désormais partie des statistiques d'emploi, ce qui n'était pas forcément le cas auparavant. Ici, la question porte sur la difficile valeur ajoutée à leur appliquer : un apprenti est par définition en formation et ne génère pas immédiatement de la valeur ajoutée, ce qui contribue effectivement à la diminution de la productivité observée. Selon nous, l'apprentissage expliquerait ainsi 25 % du choc de productivité négatif ou des emplois nets créés.
La consommation alimentaire a connu une diminution inédite, de plus de 10 %. Cette diminution peut être à la fois quantitative et qualitative : certains ménages ont modifié la composition de leurs paniers de course pour acheter des produits moins onéreux. L'élasticité de la consommation alimentaire aux prix est donc en réalité assez forte, alors que l'on imagine d'habitude qu'elle est plus rigide. Paradoxalement, la consommation alimentaire en restauration est plus élevée qu'avant crise. En résumé, les ménages ont réagi fortement à l'inflation en adaptant à la baisse leur consommation énergétique et alimentaire.
Dans un premier temps, le choc inflationniste a été importé. Dans un second temps, cette inflation est devenue plus autonome, à travers l'augmentation du prix de la valeur ajoutée, laquelle a ensuite fait augmenter le prix du PIB. Cependant, les charges d'intérêt sont pour partie fixes. Par conséquent, l'inflation permet de se désendetter plus facilement, puisque la charge d'intérêt augmente moins rapidement. L'inflation constitue de fait une taxe sur les épargnants.
En matière de soutenabilité, l'essentiel concerne l'écart critique, c'est-à-dire l'écart entre la croissance et les taux d'intérêt. Or la croissance nominale a bien plus augmenté que les taux apparents, qui concernent le stock de dette. Par conséquent, le ratio dette/PIB diminue parce que le dénominateur (le PIB) augmente plus rapidement en raison de l'inflation. L'exercice consistant à extraire l'inflation devrait donc porter à la fois sur le PIB et la dette.
S'agissant de la qualité des emplois, on observe que la part des embauches en CDI a eu tendance à augmenter, ne serait-ce que pour des questions d'attractivité. Je ne suis pas assez spécialiste de la Pologne pour porter un jugement suffisamment pertinent sur le taux de croissance de ce pays. Parfois, la croissance est surtout le fait d'un rattrapage, particulièrement après un choc. Nous l'observons en ce moment dans les pays d'Europe du Sud, qui ont en outre particulièrement profité du plan de relance européen.
Le choc sur le déficit commercial est assez important, mais un certain nombre de facteurs peuvent être fortement conjoncturels. Par exemple, de nombreuses importations ont été liées au restockage des entreprises et à l'investissement. A priori, ces phénomènes devraient désormais diminuer et simultanément, l'aéronautique semble regagner une partie des parts de marché perdues. Le commerce extérieur devrait donc augmenter sa contribution à la croissance. De plus, comme je l'ai déjà indiqué, l'effet prix relatif nous est plutôt favorable puisque les prix augmentent moins vite en France qu'ailleurs.
La question du new normal sur l'inflation est effectivement essentielle. Je rappelle que la zone euro connaissait une trop faible inflation avant la crise. Aujourd'hui, le choc énergie a entraîné une hausse de l'inflation, qui est également nourrie structurellement par la transition écologique, la décarbonation et la relocalisation de l'industrie. De fait, compte tenu de ces éléments, on peut se demander si les mandats des banques centrales sur un objectif de 2 % d'inflation sont aujourd'hui bien calibrés.