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Intervention de Mathieu Plane

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9h05
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Mathieu Plane, économiste, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :

La baisse du PIB français par rapport à la moyenne de la zone euro est mesurée depuis la fin de l'année 2019 dans les graphiques que je vous ai présentés. Durant la crise Covid, les pays qui avaient le plus souffert en termes de PIB étaient l'Italie, le Royaume-Uni, la France et l'Espagne, compte tenu des politiques sanitaires particulièrement restrictives observées par ces pays durant le premier confinement. La croissance de 7 % en 2021 en France est ainsi survenue après une baisse de 8 % en 2020. Cela est assez notable, dans la mesure où la France connaît généralement des variations moins cycliques que les autres pays. Depuis l'été 2020, nous étions sur une trajectoire de reprise assez semblable à celle de la zone euro, jusqu'à la fin 2021. Depuis, l'aplatissement est plus marqué en France, quand certains pays du sud de la zone peuvent bénéficier d'un rattrapage plus élevé.

S'agissant de l'emploi et de la croissance endogène, des efforts importants ont été accomplis en matière d'apprentissage et de formation. Depuis la fin de l'année 2019, les effets liés à l'apprentissage correspondent à la création nette de 256 000 emplois. Une partie des créations d'emplois s'explique donc par la politique liée à l'apprentissage, dont le coût budgétaire a été relativement élevé.

Il n'est pas facile d'aborder la question de la croissance endogène. Normalement, les réformes portent sur la productivité. On peut essayer de la faire diminuer de manière temporaire, par exemple à travers les allègements sur les bas salaires. Cependant, les réformes dites structurelles ont souvent vocation à augmenter la productivité, à travers une meilleure confrontation de l'offre et de la demande sur le marché du travail.

On peut imaginer que ces effets soient temporaires dans les créations d'emploi et qu'à mesure qu'ils s'estomperont, on pourra récupérer de la productivité. Au-delà, si les créations d'emploi constituent un paradoxe français, de nombreux pays développés subissent un affaissement des gains de productivité, même si les États-Unis s'en sortent un peu mieux.

Sur le long terme, la dynamique de croissance est nourrie par deux facteurs clefs : la productivité et l'évolution de la population active. Les périodes de croissance très élevées, comme les Trente Glorieuses ou la fin des années 1990 en ont été l'illustration. À l'heure actuelle, les tendances sont très différentes dans la mesure où elles sont marquées par un vieillissement des populations et des gains de productivité de plus en plus faibles.

Le grand débat entre les économistes consiste donc à savoir si nous sommes dans une situation de stagnation séculaire, y compris pour des raisons de transition écologique : on pourrait contraindre l'économie et par là même affecter la croissance. Un autre discours est plus positif : il considère que nous sommes à l'aube d'une révolution technologique, notamment en raison de l'intelligence artificielle, qui pourrait entraîner le remplacement de la moitié des emplois. Au fond, nous constatons une faible productivité et un ralentissement de la croissance, bien que les politiques fiscales portent sur l'offre et que des réformes structurelles soient intervenues sur le marché du travail.

Le déficit commercial hors énergie témoigne d'un choc important sur l'économie française, qui peut être transitoire, notamment sur les biens d'équipement et les matériels de transport. L'aéronautique, le fleuron industriel français, produisait 30 milliards d'euros d'excédents commerciaux avant la crise, mais ceux-ci ont depuis été divisés par deux. La question consiste donc à savoir quelles seront les conséquences structurelles de ces différents chocs (Covid et énergie). En effet, ces chocs ont entraîné des modifications sur le commerce international, la manière de travailler et les investissements réalisés.

Par ailleurs, il est exact que la balance des paiements pourrait également être regardée dans sa globalité. Dans la balance commerciale que je vous ai présentée figure la balance des services, dont les résultats sont nettement meilleurs que ceux de la balance industrielle. En effet, la France présente la particularité de présenter un grand excédent de la balance des services, qu'il s'agisse des services financiers, des transports ou du tourisme.

Il est vrai que l'attractivité témoignée par les IDE ne se retrouve pas dans les chiffres macroéconomiques. C'est effectivement surprenant : le niveau d'investissement est élevé, mais il ne se traduit pas en parts de marché. La politique industrielle est compliquée à mettre en œuvre et nous avons fréquemment procédé par des politiques fiscales. Se posent également les questions du financement de l'innovation et de la formation, dont les effets se font sentir sur le long terme. Le système éducatif, de recherche et d'enseignement constitue enfin une autre composante de la compétitivité hors coût.

Il serait effectivement important d'observer le revenu disponible brut (RDB) ajusté des ménages, qui représente un pouvoir d'achat élargi. Dans ce cas, il faut intégrer les transferts qui interviennent en matière d'éducation et de santé. Ces transferts dits transferts en nature représentent environ 1 000 euros par ménage tous les mois, soit un montant assez considérable. Je précise que l'Insee mène effectivement un travail important pour publier ce RDB ajusté.

Il n'existe pas de mimétisme à proprement parler qui conduirait la politique monétaire de la BCE à se caler sur celle de la banque centrale américaine. Simplement, si une zone du monde présente des taux à rendement élevé, elle aura tendance à attirer des capitaux au détriment d'autres zones proposant des rendements plus faibles. Or la zone euro était plus exposée au choc énergétique que les États-Unis en raison de la guerre en Ukraine, qui fait partie de l'Europe élargie. De leur côté, les États-Unis ont mis en place l' Inflation reduction act (IRA), qui constitue une réponse puissante à l'inflation en termes de politique industrielle, notamment énergétique, et de transition écologique. En outre, ils bénéficient du gaz de schiste sur leur sol : le prix du gaz aux États-Unis n'a strictement rien à voir avec celui que nous connaissons en Europe.

Par conséquent, notre continent était beaucoup plus exposé. Il est vrai que la remontée des taux ne représentait pas une bonne réponse à un choc sur l'énergie. Mais si la BCE ne l'avait pas fait, elle aurait pu prêter le flanc à des critiques sur la crédibilité de sa politique monétaire et la dépréciation de la monnaie unique, ce qui aurait par conséquent contribué à affaiblir la confiance dans la zone euro. Dans ce domaine, il n'existe pas de bonne réponse évidente.

Ensuite, la spirale inflationniste est partielle puisque les salaires augmentent moins vite que les prix. Cependant, les salaires nominaux sont plus élevés qu'auparavant. Avant la crise, la hausse des salaires nominaux s'établissait ainsi à 2 %, contre 4 à 5 % à l'heure actuelle, selon les critères retenus. En outre, un effet de rattrapage avec retard peut parfois intervenir, compte tenu de l'inertie initiale des salaires vis-à-vis de l'inflation.

Par ailleurs, la mesure du pouvoir d'achat s'effectue à partir de concepts fixés par la comptabilité nationale. Or il existe autant de pouvoirs d'achat différents qu'il existe de ménages, en raison des différences dans l'exposition à l'inflation et dans l'évolution des revenus. La perception du pouvoir d'achat peut donc être différente de celle offerte par les chiffres macroéconomiques.

Dans ce domaine, je tiens à défendre l'Insee, dont le travail est assez remarquable. J'ajoute que l'Insee prend en compte le pouvoir d'achat arbitrable, c'est-à-dire ce qui reste après les dépenses contraintes. Se pose alors ici la question du périmètre de ces dépenses contraintes, par exemple pour l'alimentaire. Un ménage modeste se serre la ceinture pour ses dépenses alimentaires, qui sont alors considérées comme contraintes. En revanche, les courses effectuées chez Fauchon par un ménage aisé ne peuvent être considérées comme des dépenses contraintes.

Certains d'entre vous m'ont interrogé sur la nécessité d'augmenter ou d'indexer des salaires. Comme pour les taux, il n'existe pas de solution idéale par définition. Un choc extérieur négatif doit être partagé et toute la question est de savoir qui va le prendre à sa charge. Il peut s'agir de l'État, comme cela est le cas dans le cadre du bouclier tarifaire. Mais dans ce cas, les finances publiques se voient dégradées. Si la prise en charge est assurée par les entreprises, elles sont alors confrontées à des problèmes de rentabilité. Pour le moment, les ménages en prennent une partie à leur charge et l'État une grande partie. De plus, seulement certains secteurs sont touchés.

Individuellement, on peut comprendre la nécessité de préserver le pouvoir d'achat des salariés, mais d'un point de vue macroéconomique, l'indexation ne fonctionne pas. En effet, cette indexation aboutit à une spirale autoentretenue, que nous avons déjà connue par le passé lors des épisodes de stagflation dans les années 1970. Ce choc importé avait finalement duré dix ans d'une inflation deux chiffres. À cette époque, il n'y a pas eu de perte de pouvoir d'achat, mais cela s'est terminé au début des années 1980 avec la désindexation des salaires mise en place par Jacques Delors à l'occasion du tournant de la rigueur. Je rappelle qu'aux États-Unis, les taux d'intérêt sont remontés à 19 % au début des années 1980. En revanche, il faut s'intéresser à des indexations partielles pour des salaires qui sont juste au-dessus du SMIC, d'autant plus que la pyramide entre le SMIC et le salaire médian est déjà fortement écrasée en France.

Le Président de la République a effectivement parlé de baisses d'impôts de 2 milliards d'euros, soit 0,1 point de PIB, pour les classes moyennes, si les conditions le permettent. Ce montant relativement modeste (la suppression de la redevance audiovisuelle représentait par exemple 3,2 milliards) et à répartir sur un grand nombre de ménages tient donc compte des contraintes budgétaires. La question du périmètre n'a pas non plus été précisée : on ignore par exemple s'il s'agit uniquement des salariés du privé ou également des fonctionnaires. En outre, les indépendants et les retraités seront-ils concernés ? Pour le moment, nous manquons des éléments techniques pour y répondre.

Par ailleurs, le choc inflationniste présente des effets de diffusion hors de l'alimentaire. Ensuite, si les IDE ne sont pas négligeables, ils ne constituent pas l'essentiel de la politique industrielle. De plus, si l'industrie est importante en matière d'indépendance stratégique, d'aménagement du territoire ou de transition écologique, elle n'est pas forcément très créatrice d'emplois, notamment parce qu'elle se fonde sur des gains de productivité et une forte mobilisation du capital. En revanche, les services créent plus d'emplois.

Les États-Unis ont connu une reprise plus prononcée que l'Europe, laquelle a d'ailleurs suscité des phénomènes inflationnistes, compte tenu de sa vigueur. Le marché américain de l'automobile d'occasion avait par exemple gagné 40 % au début de l'année 2021 puisque l'offre n'arrivait pas à satisfaire la demande.

Les difficultés d'approvisionnement en début de crise ont ensuite entraîné des phénomènes de restockage de la part des entreprises, en prévision de difficultés futures. À un moment donné, il sera donc nécessaire de procéder à un déstockage, lequel entraînera des effets sur la conjoncture.

L'investissement demeure très élevé, comme je l'ai déjà indiqué. En revanche, il concerne en grande partie les services, notamment le numérique. De plus, la décarbonation de l'industrie peut entraîner des investissements dans la chaîne de production, qui n'offrira pas de gains en productivité monétaire, mais en productivité écologique, dont le rendement est plus faible.

L'apprentissage a pu quant à lui susciter des effets d'aubaine. Par conséquent, la réduction de la prime à l'apprentissage devrait mécaniquement entraîner une diminution du nombre d'apprentis.

Les évolutions de niveau de vie à moyen terme sont difficiles à cerner. La productivité a diminué et l'inflation a augmenté, compressant les marges sur les salaires. Il faudrait donc un nouveau choc de productivité permettant d'augmenter les salaires sans dégrader la compétitivité. Ensuite, une plus grande contrainte écologique pourrait également jouer sur les niveaux de vie à terme, l'énergie décarbonée étant plus coûteuse.

L'OFCE éprouve des difficultés à évaluer le risque climatique à court et moyen terme, faute d'outils disponibles pertinents. Cependant, il n'est pas négligeable.

Il est toujours séduisant d'envisager des indicateurs différents du PIB. Mais ce dernier présente un avantage majeur : il offre une représentation comptable. Certes, il ne prend pas en compte des considérations environnementales comme les émissions de CO2. En revanche, 25 % du PIB est constitué d'éléments non marchands comme l'éducation ou la santé. La comptabilité nationale évolue, le PIB doit être enrichi par d'autres indicateurs, mais il demeure central.

La surépargne représentera 200 milliards d'euros à la fin de l'année 2024, soit deux fois le plan de relance. La question de son utilisation sera donc capitale.

Le sujet du chèque alimentaire est pertinent : des moyens importants ont été consacrés à la limitation du choc inflationniste lié à l'énergie, mais l'alimentaire a été moins analysé. Il faut néanmoins reconnaître que les outils sont plus limités dans ce domaine, alors que l'État est fréquemment au capital des entreprises qui produisent de l'énergie, notamment de l'électricité.

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